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Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, a reçu à Bilbao le prestigieux prix Sabino Arana


Nicole Mari le Dimanche 26 Janvier 2020 à 21:23

C’est un prix prestigieux, le prix international de la fondation Sabino Arana, qu’a reçu le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, dimanche à Bilbao. La cérémonie en grande pompe, qui s’est tenue au théâtre historique Arriaga, a réuni près de 1200 personnes, dont les membres du gouvernement et les décideurs politiques et économiques du Pays Basque. Cette distinction, qui récompense « le travail bien fait », a distingué un « homme de consensus, symbole d’un nationalisme ouvert et solidaire ». Gilles Simeoni, ovationné, raconte, à Corse Net Infos, son émotion, les liens anciens entre les deux nationalismes, et l’enjeu actuel de la coopération entre les deux territoires. Il rencontrera à cet effet, lundi matin, le chef du gouvernement Basque, le lehendakari Iñigo Urkullu.



Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, sur la scène du théâtre historique Arriaga de Bilbao, entouré du chef du gouvernement basque, du ministre de la culture, du président de la fondation Sabino Arana et des lauréats des quatre autres prix.
Le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, sur la scène du théâtre historique Arriaga de Bilbao, entouré du chef du gouvernement basque, du ministre de la culture, du président de la fondation Sabino Arana et des lauréats des quatre autres prix.
Chaque année, depuis 1985, lors d'une cérémonie solennelle qui se tient le dernier dimanche du mois de janvier en présence du chef du gouvernement, des ministres et des décideurs économiques et politiques du Pays-Basque, Sabino Arana Fundazioa - du nom du fondateur du nationalisme basque (1865 – 1903) - rend ce qu’elle appelle, « un hommage sincère et profond aux nombreuses organisations ou personnes, à titre individuel, ayant su se distinguer à travers leur souci constant de service rendu à la société ». Cinq prix sont décernés. « Des prix de reconnaissance et de distinction visant à souligner le travail et le dévouement de chaque personne à différentes causes, à travers sa participation dans la vie politique, économique, culturelle, sportive, ou bien dans des projets coopératifs ou des actions de toute autre nature, mais également destinés à la promotion des valeurs de la paix, de l'égalité et du vivre ensemble ».

Des lauréats célèbres
En 30 ans, le prix international, décerné cette année au président corse, a récompensé des institutions, des organisations, des associations comme le processus de paix israélo-palestinien, les Grands-Mères argentines de la Place de Mai ou encore la Communauté de Sant'Egidio, une association catholique engagée dans la lutte contre la pauvreté et pour la paix qui rassemble aujourd'hui 60 000 personnes dans 74 pays. Mais surtout des personnalités telles que le prêtre Rédemptoriste irlandais Alec Reid qui a joué un rôle clé dans les accords de paix d'Irlande du Nord, l’Américain Pete Cenarrusa, politicien et secrétaire d’Etat de l’Idaho, l’avocat et politicien américain Dave Bieter, le congressiste californien John Garamendi, le président italien Francesco Cossiga, le dirigeant historique du Parti communiste espagnol, Santiago Carrillo, figure-clé de l’Espagne du 20ème siècle, le maire d’Anvers, Bart de Wever, le Cardinal Roger Etchegaray, le célèbre pathologiste colombien Manuel Elkin Patarroyo, l'architecte canadien et dessinateur du Musée Guggenheim de Bilbao Frank Gehry, l’ex-premier ministre écossais, Alex Salmond, ou encore l’économiste et ex-directeur du FMI, Michel Camdessus…

Un homme de consensus
« Sabino Arana Fundazioa souhaite reconnaître et récompenser Gilles Simeoni, Président du Conseil exécutif de Corse, la plus haute instance de gouvernement de ce territoire qui aspire à une plus grande autonomie politique et institutionnelle à l’égard de l’Etat français. Nationaliste, Gilles Simeoni représente la voie exclusivement démocratique et non-violente dans la lutte pour la reconnaissance de l’identité nationale corse et l’approfondissement de son autonomie et des outils pour le bien-être et le développement politique, socioéconomique et culturel de la Corse ; aspirations avec lesquelles le peuple basque se sent pleinement identifié. Homme de consensus et symbole d’un nationalisme ouvert et solidaire, Gilles Simeoni représente, aujourd’hui, les aspirations et le combat de tout le peuple corse ». C’est en ces termes que la fondation Sabino Arana a « motivé » le prix international 2019 qu’elle a décerné au président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. « Cette distinction témoigne des liens fraternels entre Nationalistes corses et basques pour apporter des réponses politiques pour l’avenir de nos deux peuples en Europe ». Elle s’inscrit dans le droit de fil de la précédente visite de Gilles Simeoni en Euskadi, le 29 septembre dernier où il était déjà invité d’honneur de l’Alderdi eguna, la grande fête annuelle du PNV, le parti nationaliste historique actuellement au pouvoir qui réunit, chaque année, en plein champ, près de 50 000 personnes. Cette précédente rencontre avait acté le principe d’un renforcement des liens entre les deux territoires, notamment à travers la formalisation d’un partenariat institutionnel.
 

Gilles Simeoni : « Je suis fier et heureux, mais au-delà de ma personne, c’est le combat de la Corse et de son peuple qui est récompensé et reconnu »

Comme en septembre dernier à l’Alderdi eguna, le président corse a fait une entrée triomphale sur la scène du théâtre de Bilbao, entouré du Lehendakari, Iñigo Urkullu, et du président de la fondation. Il n’a pas caché son émotion.
 
- Qu’avez-vous ressenti à la remise de ce prix ?
- Une immense d’émotion, bien sûr. Ce fut un moment d’une force et d’une intensité exceptionnelles. D’abord par l’hospitalité et l’amitié avec lesquelles j’ai été accueilli et qui expriment, mieux que tout discours, la force des liens qui unissent le peuple basque et le peuple corse. Ensuite, compte tenu de l’histoire du peuple basque, de sa volonté d’émancipation, de la puissance de ses institutions, recevoir ce prix a une force symbolique extraordinaire. Au-delà de ma personne, c’est la Corse qui est récompensée, c’est le combat de notre peuple qui est consacré et reconnu. Dans mon discours, je leur ai dit combien et pourquoi j’étais fier et heureux d’être là.
 
- Vous avez évoqué trois raisons, notamment ce que représente cette fondation. Et ce n’est pas rien ?
- Non ! La Fondation Sabino Arana est une institution importante. Elle incarne la volonté indomptable du peuple basque de conserver et de transmettre, vivante et ardente, la mémoire de sa lutte, pour que cette mémoire soit non seulement le reflet du passé, mais aussi la garante du présent et de l’avenir. Son action dans les domaines politique, culturel, économique, social, associatif et sociétal, est essentielle. Elle s’engage pour encourager les initiatives qui contribuent à soutenir, au Pays basque et ailleurs, la marche de notre société globale vers une Europe et un monde plus justes, plus solidaires et plus fraternels. Son action rappelle que le combat inlassablement mené pour la reconnaissance de nos peuples et de leurs droits est indissociable des valeurs universelles d’humanisme, de démocratie, de justice sociale, et d’ouverture dont notre vision politique est porteuse. Enfin, je mesure la qualité et l’engagement des femmes et des hommes que la Fondation a, depuis des années, honorés par ses différents prix.
 
- Justement, parmi ces pointures internationales, lesquelles retenez-vous ?
- Comment ne pas évoquer, par exemple, la figure d’Alex Salmond, l’ex-premier ministre écossais qui a été l’artisan de la montée en puissance du Scottish National Party et qui a été distingué en 2015 ? Ou, 20 ans avant en 1995, l’hommage rendu au processus de Paix en Israël et en Palestine ? Une paix dont nous savons, au Pays Basque et en Corse, qu’elle n’a pas de prix et que nous devons en être les artisans infatigables, y compris dans les circonstances les plus difficiles. Aujourd’hui même, je suis particulièrement honoré d’être aux côtés de récipiendaires qui, dans le domaine du sport, de la culture, de la langue basque – avec le président Urrutia de l’académie de la langue basque -, ou de l’égalité des droits, représentent une société basque forte, généreuse et innovante.

- L’Euskadi semble, toujours, pour vous, lié à votre père. Et vous l’avez, de nouveau, évoqué ?
- Oui ! Au moment où j’allais recevoir ce prix, m’est revenu à l’esprit un souvenir personnel que j’ai voulu partager avec le public, notamment avec le Lehendakari Inigo Urkullu et le Président du PNV Andoni Ontuzar qui étaient présents. En septembre dernier à l’Aberri Aguna, tous deux m’ont fait un cadeau qui m’a beaucoup ému : une photo de mon père, s’exprimant peu après sa sortie de prison devant la même foule réunie pour la même Aberri Uguna, mais en 1979. Cette photo m’a rappelé que, revenant de son voyage en Euskadi - un pays lointain dont je ne connaissais rien –  il avait raconté à l’enfant de 12 ans que j’étais, la ferveur de ce moment. Il m’avait dit à l’époque, et me l’a souvent répété ensuite, sa certitude absolue que rien ne peut arrêter un peuple qui marche vers son émancipation. Je lui avais demandé alors et souvent redemandé ensuite : « Tu crois qu’un jour, on verra ça, nous aussi, en Corse ? ». Il m’a toujours répondu : « Moi, je ne le verrai pas, mais toi, tu le verras ». Plus de quarante années ont passé. J’espère qu’il voit ça, aujourd’hui, à travers mes yeux.
 
- Est-ce pour cela que vous parlez de « force symbolique » ?
- Oui ! Recevoir ce prix est une façon de clore un long cycle dans lequel les vies professionnelles, familiales, personnelles ont souvent cédé le pas à l’engagement et aux sacrifices. Comment aurais-je pu ne pas penser à ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui, en Corse et au Pays Basque, depuis des décennies, se sont battus, quelquefois au prix de leur liberté ou de leur vie, pour obtenir que leur peuple soit reconnu dans son droit à la vie, à la dignité, à sa langue, à sa culture, à son histoire, à la démocratie, à la maîtrise de ses choix essentiels, au bonheur tout simplement ! Pour moi, ce sont eux les véritables lauréats du Prix et c’est en leur nom que je l’ai reçu.
 
- En septembre dernier, vous avez émis l’idée d’un partenariat entre les deux territoires. Où en-est-il ?
- Les Basques suivent avec attention ce qui se passe en Corse et soutiennent, bien sûr, totalement notre action. Ils prennent, eux-aussi, la mesure, à travers l’Etat espagnol et Madrid, de la politique de fermeture menée par Paris à notre encontre. Comme je l’ai déjà dit, nous avons la même volonté de travailler ensemble et de parler d'une même voix pour réussir à faire prendre en compte nos attentes, nos demandes et nos besoins. Lundi matin, je rencontrerai le lehendakari et nous allons, je pense, jeter les bases d’une coopération renforcée au plan politique, mais aussi au plan culturel.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.