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L’agroécologie est-elle l’avenir de l’agriculture corse ?


Damien Bianchi le Mercredi 21 Août 2013 à 22:08

Relocaliser la production alimentaire et passer à une agriculture biologique est devenu aujourd’hui un lieu commun des discours sur l’agriculture. Mais une telle transformation au niveau local nécessiterait de changer en profondeur notre modèle agricole pour une agroécologie. L’agriculture corse a-t-elle quelque chose à espérer de l’agroécologie ?



L’agroécologie est-elle l’avenir de l’agriculture corse ?
Alors que la Corse importe la grande majorité de ses besoins alimentaires et que le modèle dominant de l'industrie agro-alimentaire ne cesse d'être mis en cause de par le monde, ils sont de plus en plus nombreux à penser que l’autosuffisance alimentaire n’est plus une utopie. La solution paraît évidente : pour manger plus sain, plus proche, plus durable, il faut cultiver bio et local. C’est en tout cas ce que proposent ces défenseurs de l’agroécologie. Mais avant que chaque corse achète ses tomates à la ferme du coin, il serait utile de savoir en quoi consisterait une telle transition ?


C'est quoi l'agroécologie ?


« Pour faire simple, c’est la science qui réconcilie l’agriculture et l’écologie. Elle vise à produire ET à protéger  les écosystèmes, au contraire de l’agriculture industrielle, productive mais destructrice de l’environnement » résume Fabien Abraini, l’un des responsables de l’association agroécologique "Una lenza da annacquà" et créateur du site "1 000 idées pour la Corse".
L’agroécologie est d’abord un ensemble de techniques agronomiques qui utilisent le fonctionnement de la nature pour augmenter les rendements plutôt que les intrants chimiques. Les insectes prédateurs remplacent les insecticides, la polyculture se substitue aux engrais industriels et fertilisent la terre et « les plantes placées judicieusement captent les nutriments et évitent qu’ils soient perdus pour l’écosystème cultivé. »


Pendant longtemps, les défenseurs de l’agroécologie ont été pris pour des illuminés, à l’image de Pierre Rabhi, l’un de ses partisans les plus réputés, invité en Corse en 2010 par l’AFC Umani. Pour ce philosophe paysan, adepte de la "sobriété heureuse", "répondre aux nécessités de notre survie tout en respectant la vie sous toutes ses formes est à l’évidence le meilleur choix que nous puissions faire, et c’est ce que préconise et applique concrètement l’agroécologie".

Stéphane Le Fol, ministre de l'agriculture
Stéphane Le Fol, ministre de l'agriculture
Aujourd’hui, l’agroécologie n'est plus regardée comme une bête curieuse et suscite même un intérêt grandissant pour les institutions.
Le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, dévoilait en Fevrier dernier son projet pour l'agroécologie et déclarait dans une interview à Terraeco vouloir défendre un nouveau modèle agricole respectueux de la nature : "A ceux qui disent qu'on ne peut pas produire autant avec l'agroécologie, je réponds : "Venez constater avec moi, sur le terrain, que l'on peut faire des rendements de 80 quintaux à l'hectare en blé ou 9 000 litres par an pour une vache laitière avec des systèmes écologiquement performants".


Rendements et convertisseur

Le chemin semble bien long avant que l’agroécologie puisse devenir une réalité. C'est justement pour mesurer l’ampleur du travail à accomplir qu'une association, Terre de Liens, a décidé de mettre à disposition des internautes un convertisseur. Cet outil permet de définir le nombre d’hectares et de paysans nécessaires à une transition vers un modèle alimentaire autonome et biologique à partir de techniques agroécologiques. Pour cela, il se base sur nos habitudes de consommation actuelles et le nombre d’habitants. Le test est disponible ici.

A l’échelle de la Corse, pour nourrir 310 000 habitants de produits locaux et bio, il faudrait au total consacrer 110 000 ha à l’agriculture biologique et faire travailler 5 700 agriculteurs. Aujourd’hui la Corse compte une surface agricole utile (SAU) de 160 000 ha dont 80 % est destiné à l’élevage (bovins (44%), ovins, caprins et porcins). Changer de modèle agricole pour une agroécologie nécessiterait de cultiver des surfaces plus petites faites de polycultures et non plus de monocultures intensives. L’avantage supplémentaire serait de créer de nombreux emplois alors que la population agricole ne cesse de diminuer. En 10 ans, la Corse a perdu 1/3 de ses agriculteurs et ne compte plus que 1 300 exploitations. (Source Agreste 2010)


Le modèle est-il adaptable à la Corse ?

Evolution de la production biologique en Corse
Evolution de la production biologique en Corse
De plus en plus de producteurs corses décident de tourner le dos au modèle productiviste issu de la révolution verte des années 1960, et expérimentent des alternatives respectueuses du Vivant.
L’association CIVAM bio regroupe 150 producteurs et s’occupe de promouvoir et d’étendre la filière locale. La production biologique corse connait une forte progression depuis 2007 et  s’étend sur 11 000 ha, soit 7% de la SAU totale. (Source agence bio) Un nombre croissant d’AMAP privilégie les circuits courts par la vente directe aux consommateurs. Dans l’association balanine « Una lenza da annacquà », qui regroupe aujourd’hui une trentaine de producteurs, on prône une démarche pleinement agro-écologique.

Cependant, pour Fabien Abraini, « l’agroécologie n'est pas aujourd'hui une option envisagée par les institutions en Corse parce qu’elle est compliquée à mettre en place et méconnue ». Pourtant, elle serait appropriée à la structure insulaire : « C’est un fait historique en Corse : châtaigneraies, jardins en terrasses, sources, systèmes d’irrigation… Il conviendrait de les sauvegarder, de les remettre en service, et d’y adapter nos techniques et connaissances scientifiques modernes. » Il est vrai que la région possède des atouts indéniables pour l'agroécologie. La production, malgré sa faiblé quantité, est toujours imprégnée d'une agriculture identitaire et écologique.

La vache tigrée corse élevée en agriculture biologique
La vache tigrée corse élevée en agriculture biologique
De nombreuses questions demeurent pour savoir si une telle transition serait possible et souhaitable : Comment augmenter la surface agricole dans un contexte de forte pression foncière ? Quelle surface agricole est-elle adaptable et convertible à la polyculture ? Comment les consommateurs réagiraient-ils ? La volonté politique au niveau européen et local sera-t-elle suivie de moyens suffisants ? En tout cas, s’il advenait, ce changement serait au service de la production locale, de l’autonomie alimentaire et de l’écologie. Mais pour l’un des responsables de l’association « Una lenza da annacquà », l’agroécologie n’est plus simplement une option mais une nécessité : « Soit nous nous y mettons, soit notre agriculture sera réduite à la portion congrue ».


Pour aller plus loin :