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Henri Malosse : « La lutte contre l’érosion du littoral corse doit être la priorité immédiate ! »


Nicole Mari le Samedi 17 Janvier 2015 à 22:40

L’association Action Littoral Corse, créée par des professionnels du tourisme pour sauver les plages de la plaine orientale rongées par l’érosion, a convié, samedi matin, Henri Malosse, président du Conseil économique et social européen (CESE), à une visite guidée in situ pour prendre le pouls de l’urgence de la situation. Suivie d’un déjeuner avec Alain Rousseau, le préfet de Haute-Corse, qui prône la mise en place d’un syndicat mixte, Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, et des membres d’Action Littoral*. Henri Malosse explique, à Corse Net Infos, que la lutte contre l’érosion du littoral doit être la priorité immédiate de la Corse et pourrait bénéficier de fonds européens en tant que fer de lance du développement économique.
Réactions, en vidéo, d’Alain Rousseau et de Gérard Romiti.



Henri Malosse, président du Conseil économique et social européen (CESE), Alain Rousseau, préfet de Haute-Corse, Don-Louis Cipriani, président de l'association Action Littoral Corse, Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, et Karina Goffi, vice-président de l'UMIH (Union des métiers de l'industrie hôtelière) de Haute-Corse. *Etaient également présents, 3 membres d'Action Littoral Corse, professionnels du tourisme balnéaire sur la Plaine orientale : Aurèle Goffi, Bernard Cabot et Carole Biolchini.
Henri Malosse, président du Conseil économique et social européen (CESE), Alain Rousseau, préfet de Haute-Corse, Don-Louis Cipriani, président de l'association Action Littoral Corse, Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins, et Karina Goffi, vice-président de l'UMIH (Union des métiers de l'industrie hôtelière) de Haute-Corse. *Etaient également présents, 3 membres d'Action Littoral Corse, professionnels du tourisme balnéaire sur la Plaine orientale : Aurèle Goffi, Bernard Cabot et Carole Biolchini.
- Pourquoi avez-vous effectué une visite du littoral de la Plaine orientale ?
- J’étais invité par l’association Action Littoral Corse qui fait un travail remarquable pour alerter les pouvoirs publics sur le fait que le littoral est en train de perdre son atout touristique. N’oublions pas qu’une partie de la Corse s’est développée, économiquement autour des plages qui sont des lieux de vie et d’accueil pour les enfants et les familles. J’ai visité quatre sites touristiques à partir de Cap Sud jusqu’à Aleria. Sur ces sites, les propriétaires des établissements (hôtels, bungalows, restaurants, campings) ont, avec leurs propres moyens, consolidé ou reconstitué des plages qui étaient, soit en voie d’être inondées, soit totalement détruites. Ceci, pour empêcher leur activité de bord de mer de disparaître.
 
- Qu’avez-vous constaté ?
- J’ai constaté qu’il y a un problème de survie des activités économiques et des emplois inhérents. Ce problème est, jusqu’à présent, traité par chacun avec les moyens du bord, en général des moyens privés, en posant des sacs de sable pour consolider la plage. Ces moyens sauvent des saisons touristiques à court terme, mais n’offrent aucune garantie à long terme et supposent que l’action soit continue dans le temps. L’érosion du littoral est un phénomène généralisé, qui peut être retardé, mais qui a été largement aggravé sur le cordon de la Plaine orientale par des travaux d’infrastructures datant des années 70. La création d’un port et l’établissement de digues ont, même, rendu la situation dangereuse dans certains endroits qui ont été submergés.
 
- Que faire, selon vous ?
- Une action concertée qui sera rendue possible par la création d’un syndicat mixte intercommunal associant tous les acteurs, notamment les professionnels, les défenseurs de l’environnement, la Chambre de commerce, le département et la Collectivité territoriale de Corse (CTC). Ce syndicat peut être le fer de lance d’un développement économique, d’une politique d’aménagement du littoral visant, à la fois, à reconstituer les plages, à promouvoir l’activité touristique, mais aussi à aménager, à replanter des genévriers, donc à préserver l’environnement. J’avais suggéré à Action Littoral de rencontrer des associations de protection de l’environnement. Je suis très heureux d’apprendre que cette rencontre a eu lieu, il y a quelques temps, à Corte et qu’elle s’est bien passée.
 
- Leurs objectifs ne sont-ils pas, en fait, opposés ?
- Ils sont, en fait, complémentaires. Tout est lié ! Préserver le sable et les dunes, c’est préserver les biotopes et l’environnement ! Empêcher que les plages soient, comme c’est le cas aujourd’hui, envahies, tous les weekends, par des 4X4 qui abîment les dunes et le sable, c’est protéger les zones humides et les marais situés en amont. Si ces zones disparaissent, c’est toute la faune et la flore qui sont menacées. Les deux parties l’ont bien compris. Personne ne veut multiplier les installations, ni bétonner le littoral qui, à quelques exceptions près, est suffisamment construit ! L’objectif, aujourd’hui, est de protéger pour conserver l’intérêt environnemental, mais aussi l’intérêt économique et la création d’emplois. Le syndicat mixte va identifier quelques projets pour traiter les causes de l’érosion et de la disparition des plages.
 
- Lesquels ?
- Par exemple, des travaux de destructions d’obstacles, digues ou d’assises de digue, peut-être le réaménagement du port de Campoloro qui est, visiblement, une des causes majeures des perturbations et des mouvements de houle. Aujourd’hui, les sacs de plage, posés par les propriétaires des établissements, ne traitent que les effets et ne permettent pas de récupérer les étendues de plage qui existaient, il y a 30 ans. Pour obtenir une solution durable, au moins pour les 50 ou 100 ans à-venir, il faut, impérativement, traiter les vraies causes.
 
- Action Littoral a sollicité votre aide. A quoi vous êtes-vous engagé ?
- Avec le préfet Alain Rousseau, nous nous sommes engagés à ce que les projets de destruction d’obstacles puissent trouver des financements, à la fois, locaux et européens. Ces fonds peuvent être débloqués, soit dans le cadre de la future programmation européenne, soit dans le cadre de programmes exceptionnels qui ont été décidés, il y a quelques mois.
 
- Existe-t-il des fonds spécifiques pour traiter ce problème ?
- Oui ! En dehors des fonds structurels, il y a des fonds spécifiques pour les zones humides et marécageuses, pour la protection des milieux naturels, pour l’aménagement du domaine maritime… Il y a, surtout, le grand plan d’investissements lancé, l’année dernière, par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avec des fonds d’un montant de 315 milliards €. Ces fonds sont mis à la disposition des Etats et des promoteurs de projets d’intérêt général, destinés à promouvoir ou maintenir l’emploi. L’idée est que l’argent public attire des capitaux privés parce qu’il y a un intérêt économique.
 
- La Corse pourrait-elle bénéficier de ce fonds ?
- Oui ! Je crois que le projet de lutte contre l’érosion du littoral de la Plaine orientale peut s’inscrire dans ce cadre-là car il est tout à fait dans l’esprit. Ce qui m’a frappé, lors de ma visite des plages, c’est que le partenariat public/privé existe déjà. Ce sont des entreprises privées qui ont financé tout ce qui a déjà été fait. Le privé peut, donc, continuer à participer et est prêt le faire. Les collectivités, la Chambre de commerce, la CTC le sont aussi. Tous attendent un coup de pouce public.
 
- Pourtant, le Préfet argumentait, il y a un an, que l’argent est le nerf de la guerre et que l’argent, il n’y en a pas ! Qu’en pensez-vous ?
- L’argent, il n’y en a pas… mais il y en a ! Tout est une question de priorité ! La priorité est quelque chose au singulier, pas au pluriel ! Où met-on la priorité ? Faut-il dépenser des sommes énormes pour construire un nouveau port à Bastia ? Là, apparemment, l’argent existe ! Il semble qu’on puisse le trouver ! Lutter contre l’érosion du littoral demande des montants bien plus modestes. Construire un port plus grand pour accueillir plus de touristes, c’est bien, mais où iront les touristes s’il n’y a plus de plages ! Si on considère que, pour le développement économique de la Corse et le maintien des activités touristiques, le renforcement du littoral est la priorité, on va trouver l’argent. Si ce n’est pas la priorité, il n’y aura pas d’argent !
 
- La problématique de l’érosion du littoral et ses conséquences est-elle une priorité en Europe ?
- Oui ! Dans certaines régions. Prenez l’exemple du Pays-Bas qui est un pays qui gagne, tous les jours, sur la mer. Autre exemple, le Lido italien de la côte adriatique entre Venise et Rimini a bénéficié d’un effort concerté de l’Union européenne, des collectivités locales et du secteur privé qui en ont fait leur priorité pour préserver, tout à la fois, le développement économique, la nature et l’environnement. La question est de savoir sur quoi les élus de la Corse fondent leur priorité ! En tant que président d’une institution européenne, je considère que la création d’activités et d’emplois, qui préservent l’environnement, est l’élément fondamental pour l’avenir de la Corse. Des grands travaux d’infrastructures, qui font appel à des entreprises extérieures, donc à des salariés extérieurs, et qui coûtent en frais de gestion, ne me semblent pas être la priorité immédiate !
 
- La lutte contre l’érosion des plages de la Plaine orientale l’est-elle, selon vous ?
- Oui ! Je suis sensible aux projets qui sont soutenus par la société civile, les défenseurs de l’environnement et les acteurs locaux, avant d’être soutenus par les politiques. C’est un bon signe ! Ce projet fait consensus sur une préservation de l’emploi et des milieux naturels. Il me semble tout à fait prioritaire et, surtout, tout à fait exemplaire ! Le syndicat mixte peut donner une vision d’ensemble et promouvoir le cordon littoral de la Plaine orientale pour en faire un élément de création d’emplois et de développement de l’activité économique, d’agrotourisme, d’écotourisme avec la découverte des marais, les huitres de l’étang de Diane, de nouveaux débouchés pour les pêcheurs par un réaménagement terre/mer... Je trouve ce concept intéressant.
 
- Vous faites allusion au projet controversé du port de la Carbonite. Faut-il, selon vous, revoir toute la politique d’infrastructures ?
- Oui ! Il faut repenser toute la politique de grandes infrastructures. En tant que président du CESE, j’ai beaucoup voyagé, ces derniers temps, dans les pays touchés par la crise économique. Ce qui est frappant, quand on visite la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, c’est que ces pays ne manquent pas d’infrastructures. L’union européenne leur a, grâce aux fonds structurels, financé des infrastructures somptueuses ! L’aéroport d’Athènes, qui a été construit pour les Jeux olympiques, est superbe et gigantesque, mais il est à moitié utilisé et sa gestion quotidienne coûte cher aux finances grecques ! L’Espagne, aussi, compte un aéroport magnifique, quasiment fermé par manque de passagers ! Le Portugal est couvert d’autoroutes, dont une très célèbre parce que personne ne l’emprunte ! On a construit des cathédrales dans le désert, des ports et des aéroports qui ne servent pratiquement à rien !
 
- Dans une île qui ne parvient pas à combler son retard infrastructurel, sur quelles bases, faut-il repenser cette politique ?
- Il faut se poser la question : qu’est-ce qui déclenche le développement ? L’élément essentiel est la création d’activités, d’entreprises et d’emplois. Si cette activité génère des revenus et que les collectivités de Corse ou d’ailleurs retrouvent des finances publiques excédentaires, on peut, alors, pour le bien commun, développer, renforcer, améliorer les ports et les aéroports… Ce sera sûrement nécessaire un jour ! Mais, aujourd’hui, ce n’est pas l’essentiel ! La construction de grandes infrastructures, j’en suis certain, ne fera pas reculer le chômage et ne créera pas d’emploi ! Nous avons, aussi, l’exigence de penser aux générations futures, c’est-à-dire de se préoccuper des conséquences de ce que l’on fait, notamment en matière d’environnement, et exiger de véritables études d’impact qui ne soient pas détournées.
 
- C’est-à-dire ?
- Souvent, les études d’impact sont commanditées par celui qui a intérêt à ce que le projet se fasse ! Même à Bruxelles, les études d’impact, commandées par la Commission européenne, ont souvent ce défaut. Des infrastructures mal pensées, on l’a vu avec le projet du port de Nice, ont des effets néfastes en cascade sur la pêche, le biotope marin, les plages, le paysage, l’activité touristique… Il me semble plus utile de soutenir l’activité d’associations comme Action Littoral Corse et la création du syndicat mixte, de soutenir l’action de Femu Qui et de l’entrepreneuriat qui sont les vrais leviers du développement plutôt que de très gros projets d’infrastructures que des générations vont devoir lourdement payer !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 

Réactions, en vidéo, d’Alain Rousseau et de Gérard Romiti.