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Fouilles archéologiques : Découverte exceptionnelle d’un village du néolithique à Aleria


Nicole Mari le Mardi 20 Février 2018 à 21:40

Un village néolithique datant de plus de 5 000 ans a été découvert lors d’une fouille archéologique préventive effectuée par l’INRAP (Institut national de recherche archéologique préventive) sur une parcelle du hameau de la gare, au lieu-dit Lindinacciu sur la commune d’Aleria en Plaine Orientale. Une découverte exceptionnelle, notamment des architectures inédites, des puits, les premiers de cette période trouvés en Corse, et des flacons votifs à analyser. Explications, pour Corse Net infos, de Pascal Tramoni, spécialiste de la préhistoire méditerranéenne, du Néolithique de la Corse, et responsable scientifique de la fouille d’Aleria en archéologie préventive.



Pascal Tramoni, spécialiste de la préhistoire méditerranéenne, du Néolithique de la Corse, et responsable scientifique de la fouille d’Aleria en archéologie préventive, sur le site du village néolithique Lindinacciu.
Pascal Tramoni, spécialiste de la préhistoire méditerranéenne, du Néolithique de la Corse, et responsable scientifique de la fouille d’Aleria en archéologie préventive, sur le site du village néolithique Lindinacciu.
- Qu’avez-vous découvert à Aleria ?
- Au hameau de la gare, nous avons découvert un village de la fin du Néolithique que l’on peut observer sur une surface assez importante. Qui plus est, c’est un village de plaine avec des architectures particulières, adaptées au contexte géologique, environnemental et paysager. Ces traces d’une architecture nous révèlent des choses que nous n’avions jamais observées dans l’île auparavant.
 
- Y-a-t-il peu de sites néolithiques en plaine ?
- Non ! Il y a en beaucoup, mais aucun ne peut être fouillé sur 1000 m2 d’un seul tenant. Cette fenêtre de fouilles est tributaire de la procédure d’urbanisme, donc positionnée au hasard. C’est un peu le cas de toutes les fouilles archéologiques : on ne tape pas forcément au bon endroit, on tatonne… Ce village, au lieu-dit Lindinacciu à Aleria, était complètement inconnu, il ne figurait sur aucune carte archéologique avant que nous fassions les fouilles. C’est pourquoi il est d’un intérêt patrimonial très fort. Ce type d’archéologie préventive permet d’obtenir rapidement des données nouvelles. Cette découverte révolutionne notre façon d’appréhender ces sociétés insulaires d’il y a plusieurs milliers d’années et de comprendre cette préhistoire. On peut écrire de nouvelles pages très anciennes de l’histoire de la Corse.
 
- En quel sens ?
- Au lieu de découvrir un foyer et une petite surface de 10 ou 20 m2, nous avons identifié un village, ce qui correspond à des critères bien précis : une communauté d’hommes se regroupe et vit dans un habitat pérenne de manière sédentaire au même endroit avec des règles qu’ils partagent en commun. Cela se matérialise dans l’architecture des maisons et des bâtiments collectifs du Néolithique. On a retrouvé une partie de l’ensemble de l’architecture. On peut, donc, voir comment le village est organisé et comment son organisation a évolué au fil du temps. Ce sont des structures tout à fait inédites en Corse.

- Quelles structures par exemple ?
- Par exemple, deux puits creusés il y a 5000 ans. Je crois même que ce sont les premiers puits Néolithique trouvés dans l’archéologie corse. Egalement des structures particulières très élaborées, en fait des fours destinés au traitement du cuivre. On a déjà trouvé du cuivre dans le Niolu, dans la région de Sartène ou de Porto-Vecchio… On constate que la métallurgie du cuivre connaît en Corse un essor précoce et une très grosse dynamique avec des transferts technologiques. Les structures de traitement de cuivre, que nous avons fouillées, sont très élaborées et montrent qu’avec d’autres régions européennes continentales, comme le Sud de l’Allemagne, la région des Balkans ou la plaine du Pô, il y a eu des échanges, des contacts, des emprunts et des transferts technologiques. Cela n’a pas été inventé sur place, mais adapté. Néanmoins, des choses particulières se passent.
 
- C’est-à-dire ?
- Ce village est contemporain de la momie des glaces, Ötzi, l’homme de Similaun, découvert momifié dans les Alpes italiennes. C’est une découverte extraordinaire parce que, généralement, on ne trouve que des ossements. Là, le corps entier est conservé avec ses habits et son équipement : des poignards en silex, un arc et des flèches, et une lame de hache en cuivre. Les analyses ADN montrent que nous partageons avec cette momie des glaces, en Corse et en Sardaigne, un certain pourcentage génétique plus important que d’autres régions d’Europe. Cela ne veut pas dire qu’Ötzi est notre cousin très éloigné, mais peut-être qu’en Corse, nous avons conservé, au cours du temps, un patrimoine génétique un peu différent de celui d’Europe.
 
- Qu’est-ce que cela signifie ? Les Insulaires voyageaient-ils déjà sur le continent ?
- Oui ! On sait que la navigation existe déjà à l’époque, les hommes se déplacent sur la mer qui n’est pas un espace fermé, mais au contraire produit du lien. Dans quelles conditions se font ces échanges et ces transferts technologiques, nous ne le savons pas. Néanmoins, les gens se rencontrent à un moment donné, se parlent d’une manière ou d’une autre, en tous cas se comprennent et s’expliquent des choses. La métallurgie du cuivre n’a pas complètement été inventée sur place : il y a des emprunts, des adaptations et même des réinventions.
 
- Vous parlez d’une métallurgie précoce, marque-t-elle une étape importante ?
- On peut considérer que, dans l’histoire de l’humanité, il y a eu quatre changements majeurs qui ont révolutionné la place de l’homme dans son milieu naturel. La première révolution est l’invention du feu il y a 450 000 ans. La seconde est l’invention de la domestication des plantes et des animaux, c’est-à-dire l’agriculture et l’élevage. C’est le caractère du Néolithique, la fin de la préhistoire qui a sorti l’homme de son milieu naturel puisqu’il s’est mis à dominer son environnement et à façonner les espèces vivantes à sa main pour ses besoins propres. La métallurgie n’est qu’un avatar de ces précédentes révolutions. En tant que préhistorien et historien, la troisième est, pour moi, la révolution industrielle qui est née en Europe, s’est développée dans le monde entier et a changé aussi la relation de l’homme à son environnement de manière profonde, brutale et drastique. Enfin, la dernière révolution est la révolution numérique qui change d’une autre façon les relations d’homme à d’homme et de l’homme à son environnement.
 

- Quelles autres caractéristiques particulières possède ce village ?
- Le village de Lindinacciu contient aussi des traces d’habitation, de maison familiales avec des caves creusées en sous-sol, certainement protégées par des planchers en bois. Egalement des grands bâtiments de type monumental, très impressionnants qui ne sont pas des bâtiments cérémoniels, plutôt à usage collectif. C’est comme cela qu’aujourd’hui, nous l’interprétons avec mon équipe, mais cela pourrait changer demain. Nous ne disposons que des substructures creusées dans le sol, des trous de poteaux de très grande dimension et certainement très hauts, tenus par des calages constitués avec des galets aménagés et taillés. Nous avons même trouvé l’empreinte de poteaux de diamètres supérieurs à 60 cm, ce qui revient à dire que ces poteaux sont de vrais arbres et que les architectures étaient très hautes et très grandes.
 
- Est-ce la première fois que vous rencontrez en Corse ce type d’architecture ?
- Non ! Mais, il n’y a eu que trois fouilles préventives sur un site néolithique. C’est très peu ! J’ai eu l’occasion, par deux fois, de fouiller sur la commune de Monticello des quartiers d’un site de la même époque qui nous avaient déjà livré des traces incomplètes de ce type d’architecture. Cela veut dire qu’effectivement, d’Est en Ouest et du Nord au Sud de l’île, à cette époque-là, en même temps qu’on pratique la métallurgie dans différents endroits, on partage aussi les mêmes modalités d’habitat commun. Cela reste encore très partiel.
 
- Avez-vous exhumé des vestiges extraordinaires ?
- Dans un puits qui a été abandonné, remblayé et refermé pour des raisons qu’on ignore, nous avons trouvé au sommet du comblement un dépôt volontaire d’ordre votif. C’est une grande meule en pierre à va et vient servant à broyer des céréales, une meule extrêmement soignée, très plate, sur laquelle ont été déposées quatre petites fioles en céramique. Ces petits flacons sont intacts. Nous les préservons dans un frigo pour éviter que des champignons ne s’y développent. Nous allons analyser l’intérieur pour savoir s'ils ont contenu une préparation particulière. Vu la forme de ces récipients et leurs petites tailles, on peut le penser. Ce type de dépôt est très rare surtout dans un contexte de puits. La fouille étant toujours en cours, nous devrions toucher, dans les jours qui viennent, le fond du puits qui atteint déjà 2,50 mètres de profondeur, environ 3 mètres sous la surface actuelle. De toute façon, il reste peu de temps, le terrain est remis à son propriétaire le 2 mars.

Fouilles archéologiques : Découverte exceptionnelle d’un village du néolithique à Aleria
- Avez-vous découvert d’autres objets ?
- Je dirais qu’on a trouvé de manière extraordinaire des objets de la vie quotidienne, de l’activité domestique, qu’on aurait tendance à considérer comme usuels, mais, en réalité, ces objets sont toujours riches en informations. Par exemple, des batteries de casserole en céramique, des vases en terre cuite, de la pierre taillée qu’on appelle de l’industrie lithique essentiellement à base de rhyolite, la roche locale. Aussi des vestiges d’ossements d’animaux qui ont été élevés, abattus et consommés sur place.

- Et des vestiges humains ?
- A cette époque-là, en Méditerranée en général et en Corse en particulier, il y a une forme de séparation entre le monde des vivants et le monde des morts, même si les villages ne sont pas très éloignés de l’espace funéraire. On n'enterre pas, comme à des périodes plus anciennes dans d’autres régions de Méditerranée ou d’Europe, un défunt dans le sous-sol de la maison.
 
- Les fouilles n'ont-elles révélé que des traces du Néolithique ?
- Ce chantier livre des traces de plusieurs périodes d’occupation humaine. Les premières, peu nombreuses et mal conservées, datent du début du Néolithique, 5 500 ans avant Jésus Christ et concernent les tout premiers agriculteurs-éleveurs de Corse. Puis, pendant 2000 ans, on ne trouve plus de traces sur place. Ensuite, une nouvelle phase d’occupation, la plus importante, est ce village de l’extrême fin du Néolithique qui commence à s’implanter vers 3200 avant JC et qui est abandonné aux alentours de 2400 avant JC. Perché à 10 ou 15 mètres de hauteur à l’extrémité d’une terrasse bordée par le Tavignanu, le site est dominant et défensif, sans risque d’inondation. Le village devait certainement s’étendre sur 1, 2, 3 ou 4 hectares, nous ne fouillons que 1000 m2.
 
- L’endroit était-il stratégique ?
- Oui. A l’Antiquité tardive, vers le 5è-6è siècle après JC, des gens habitent dans un environnement proche, la ville antique d’Aleria n’est pas loin. On retrouve une ferme au Haut Moyen-Age, à l’époque carolingienne, et des fosses de plantations peut-être de vigne. Il faut, ensuite, attendre la fin de l’époque génoise, fin 17è-18è siècle, pour observer pendant deux siècles une tentative de mise en valeur probablement avec la culture de céréales. C’est épisodique et pas très fort, mais c’est important parce que cela montre une volonté de valorisation de la plaine d’Aleria sur une période sur laquelle nous avons finalement peu de traces archéologiques et peu de textes historiques.

- Que devient ce site de fouilles ?
- Nous intervenons avant la construction. Dans le cadre de la procédure d’urbanisme, on fait un diagnostic. Si celui-ci est positif, on fait, dans une deuxième étape, une fouille préventive. Ensuite, on libère le terrain pour la construction ou l’aménagement. Une fois que le site est fouillé, il cesse d’exister. L’archéologue est, par définition, le révélateur d’un site archéologique, mais en le révélant, il sélectionne et enlève des informations. La plupart du temps, surtout pour la préhistoire, les vestiges sont modestes et difficiles d’accès. Le mobilier archéologique trouvé sera étudié pendant deux ans et fera l’objet d’un rapport avant d'être exposé au Centre archéologique du fort de Matra à Aleria.
 
- Fait-on des découvertes exceptionnelles en Corse ?
- Oui, régulièrement, mais pas nécessairement dans le cadre de l’archéologie préventive. Par exemple, à Bonifacio, sur la caserne Montlaur, qui fait l’objet d’un projet d’aménagement soutenu par la Collectivité territoriale et la mairie, un site néolithique exceptionnel a été entièrement fouillé, ce qui n’empêche pas l’aménagement. Sur la voie rapide de Borgo à Vescovato, plusieurs fouilles d’archéologie préventive n’ont pas empêché la construction de la route, malgré des découvertes d’un intérêt archéologique majeur.
 
- L’archéologie préventive permet-elle de trouver des sites intéressants ?
- Oui ! A chaque fois ! D’abord parce que l’archéologie préventive est peu développée en Corse. Elle monte en puissance depuis une dizaine d’années parallèlement à l’urbanisation de l’île et à la croissance démographique. Comme on n’a jamais pu pratiquer ce type d’archéologie qui nous permet d’étudier des sites sur d’assez grandes surfaces, elle offre, à chaque fois, des surprises. Il faut continuer à fouiller, à la fois, dans le cadre d’une programmation scientifique et dans le cadre préventif. L’archéologie, aujourd’hui, est devenue une démarche alter-disciplinaires. A côté de notre équipe d’archéologues, un géomorphologue, un spécialiste de la céramique… fouillent avec nous et nous apportent leurs regards. C’est l’interaction entre différentes compétences qui crée de la connaissance nouvelle. 
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 
 

Les archéologues en action
Kewin Peche-Quilichini, archéologue, agent INRAP, fouille une habitation. Suivi de Christophe Tardy, accompagné dans le puits par Frédéric Chandevau, agents de la Cellule d’intervention sur les structures archéologiques profondes à l’INRAP.