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Fièvre catarrhale : La détresse des éleveurs devant l'absence de réponses des services de l’État


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 25 Novembre 2023 à 09:23

En milieu de semaine dernière, les éleveurs corses se mobilisaient pour alerter à la fois l’opinion publique et les services de l’État sur le danger que la fièvre catarrhale, en pleine progression, faisait courir à la filière ovine. Reçus par le Directeur de la DRAAF, ils avaient formulé trois propositions, et, compte tenu de l’urgence de la situation, avaient demandé une réponse pour le lundi 20 novembre.
Toujours sans nouvelles des services de l’État vendredi 24 novembre, l’ILOCC – l’Interprofession Ovine et Caprine de Corse – a finalement publié un « communiqué d’alerte sur la situation de la filière laitière », son Président, Jean-Louis Paoli, jugeant nécessaire aujourd’hui de « tirer la sonnette d’alarme ».



Jean-Louis Paoli,
Jean-Louis Paoli,
Où en est l’épizootie aujourd’hui ? Elle progresse rapidement : « Certains cheptels sont décimés, explique Jean-Louis Paoli, avec la moitié des bêtes mortes ou au mieux improductives. En moyenne, pour les éleveurs dont le troupeau a été reconnu infecté, on compte 20 à 25 % du cheptel touché. Et s’il y avait 14 foyers déclarés il y a une semaine, à ce jour [NdlR : vendredi 24] on en a 26. Et ça continue ! Il y a des éleveurs pour qui il y a suspicion. Ils seront sans doute validés dans les prochains jours. » Des centaines de bêtes sont déjà décédées.

Manque d’herbe et cherté de l’aliment
La maladie attaque dans un contexte déjà difficile pour la profession. Si la pluie a bien fini par tomber, et en quantité, sur les reliefs de l’île, elle est arrivée avec un mois de retard par rapport à l’ordinaire. « Dans certaines régions de Corse, ceux qui ne peuvent pas irriguer et qui sont en parcours – c'est-à-dire ceux dont les bêtes se nourrissent dans les prairies naturelles ou le petit maquis – ont des terrains qui ressemblent à des billards ! Il n’y a rien dessus. Or pour que les brebis puissent pâturer, il faut que l’herbe atteigne 10 à 15 cm de hauteur. Il faudra bien un mois, après les dernières pluies, pour y parvenir. Les éleveurs doivent donc acheter de l’aliment. Mais avec l’inflation, celui-ci est pratiquement 50 % plus cher que l’an passé. »

Beaucoup d’éleveurs de l’intérieur, de Balagne également, sont touchés. Pour acheter de l’aliment, il faut de l’argent. Or les trésoreries sont aujourd’hui très dégradées. La faute à l’inflation – toujours elle –, aux méventes liées au COVID – un retard qui n’a pas été rattrapé –, aux sécheresses à répétition… Quant aux aides qui représentent une vraie composante du revenu de l’agriculteur – en Corse comme ailleurs –, elles tardent à être versées : « En général, elles arrivent début octobre. Mais nous sommes pratiquement en décembre et certains éleveurs n’ont encore rien perçu, alors que c’est ça qui peut leur permettre d’acheter de l’aliment… voire de se nourrir eux-mêmes ! Nous avons demandé que ce soit payé le plus vite possible… »


Des problèmes structurels qui pénalisent les ventes
S’ajoute à cela des difficultés pour écouler les animaux : « Il n’existe pas en Corse d’outil d’abattage dédié pour les petits ruminants, mais seulement des abattoirs mixtes. Si l’on avait un outil dédié, avec un atelier de découpe et un atelier de conservation – en fait de surgélation – on pourrait étaler les ventes sur l’année et traiter de gros volumes », précise le Président de l’ILOCC. Car en pratique, on abat les agneaux durant l’hiver… alors que c’est l’été que la population de l’île est la plus importante, avec les touristes. Mais à l’heure actuelle, il est impossible de fournir les restaurateurs en agneaux. Quant au débouché sarde, il est à la peine : « Actuellement, 3000 agneaux par semaine vont en Sardaigne pour y être abattus et vendus. Mais on a un problème de bateau, pour fiabiliser le départ des animaux. Ainsi, pendant trois semaines, on n’a pas pu envoyer un seul agneau à cause du mauvais temps. Et cette semaine, ça recommence ! » Les conséquences d’un décalage dans les temps des expéditions ne sont pas négligeables : outre la perte de lait – puisqu’il faut nourrir les agneaux dans l’intervalle – les bêtes grossissent et se retrouvent déclassées : leur prix de vente est donc inférieur. « C’est la double peine ! », conclut Jean- Louis Paoli, qui dénonce « une crise sans précédent. »


Un appel vibrant à soutenir cette filière identitaire
Les trois demandes formulées par les éleveurs auprès de la Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt auraient été transmises au niveau du ministère et seraient à l’étude : prise en charge de la vaccination des animaux – indemnisation des pertes en animaux et en production – Plan de relance de la filière qui devrait être remis par les professionnels au plus tard en début d’année prochaine. Mais « il y a un caractère d’urgence ! Il faut qu’on ait un retour rapide, estime le Président de l’ILOCC. C’est pourquoi nous appelons à la mobilisation. Il faut faire front commun. Nous lançons cet appel auprès de la profession et des politiques pour qu’on prenne en compte notre élevage : il fait partie de notre patrimoine, de notre histoire. » Car le problème dépasse largement le cas conjoncturel des ovins et de la fièvre catarrhale. « Cela concerne tous les éleveurs. Ils sont tous touchés. Avec le problème de la cherté de l’alimentation des bêtes, de la sécheresse… »

Ce qui est en jeu, c’est la disparition de l’élevage en Corse, alors même que l’on ne cesse de parler « d’autonomie alimentaire ». Veut-on encore d’une agriculture en Corse ? « Quel modèle de société voulons-nous », lance Jean-Louis Paoli. Les suites ? « En fonction de la réponse que l’on aura… ou que l’on n’aura pas… nous déciderons de lancer une action avec l’ensemble de nos partenaires, et avec tous ceux qui seront désireux de nous soutenir. C’est un appel à tous les Corses…  Car notre profession est en danger, tout simplement. On est en mode survie et les éleveurs sont désespérés… Mà fin’tantu chì seremu arritti, u pasturalisimu corsu camperà ! »

Dans un communique de presse, la FDSEA de Haute Corse apporte son soutien aux éleveurs touchés par la Fièvre Catarrhale Ovine et à dénoncer à son tour l'état dans lequel se trouve en particulier, la filière ovine et caprine et toutes les autres filières d'élevages en général.