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Europe - CRPM : A Corfou, Gilles Simeoni réélu par des îles en ordre de bataille


Nicole Mari le Vendredi 22 Mars 2019 à 20:59

Pour la troisième année consécutive, Gilles Simeoni, président du Conseil Exécutif de Corse, a été réélu à l’unanimité, jeudi matin, à la présidence de la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) qui a tenu sa 39ème Assemblée générale pendant deux jours à Corfou en Grèce. Une réunion de combat dans un contexte de crise de l’Union européenne (UE), où participait également Nanette Mapertuis, conseillère exécutive en charge des affaires européennes et membre du Comité des régions. L’objectif est de peser sur les institutions européennes pour la prise en compte de l’insularité dans l’élaboration des politiques publiques. Lors des deux journées de travail, les représentants insulaires ont concrètement avancé sur les questions des transports et de l’accessibilité, du tourisme durable, de l’économie circulaire, des déchets et de l’énergie. Explications, pour Corse Net Infos, de Gilles Simeoni.



Le président du Conseil Exécutif de Corse, réélu président de la la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) à Corfou en Grèce.
Le président du Conseil Exécutif de Corse, réélu président de la la Commission des Iles de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes (CRPM) à Corfou en Grèce.
- Vous avez été de nouveau reconduit à l’unanimité à la présidence de la Commission des îles. Quelle est votre réaction ?
- L’assemblée générale statutaire, qui s’est tenue pendant deux jours à Corfou, a, d’abord, été marquée par une participation très forte avec des délégations conséquentes de toutes les parties prenantes de la Commission des îles. Cela montre bien que tout le monde a conscience de vivre une période charnière. Lors du renouvellement des instances, j’ai été, effectivement, réélu à l’unanimité. C’est bien sûr une marque de confiance renouvelée et un honneur qui me touchent et me font plaisir. C’est aussi la reconnaissance de la qualité du travail fourni, mais au-delà de ma personne, ce qui compte, c’est que la Corse est confirmée dans le mandat qui lui est donné. C’est très important d’un point de vue opérationnel. Nous menons des négociations en concertation avec toutes les îles à un moment politique doublement crucial du point de vue global, comme du point de vue insulaire.
 
- C’est-à-dire ?
- Au plan politique global, les élections européennes seront un marqueur de la volonté des peuples de l’Europe de continuer ou pas sur le pacte fondateur de l’UE qui repose essentiellement sur les valeurs de paix et de solidarité. Ce n’est pas un hasard si ceux qui sont contre l’Europe de la solidarité sont les mêmes qui veulent remettre en cause la politique de cohésion, pilier historique de l’UE, l’affaiblir institutionnellement et budgétairement. Dans ce contexte politique particulier, il faudra dire notre vision de l’Europe. Nous sommes pour une Europe des citoyens, des peuples, de l’intégration politique, de la solidarité, de la cohésion sociale, de l’innovation… donc, une Europe renforcée et qui se renforce autour d’un projet commun qui a besoin d’être repensé et réaffirmé. Cette option-là est très largement majoritaire au sein de la Commission des îles.
 
- Quel est l’enjeu spécifique aux îles ?
- L’enjeu est non seulement la politique de cohésion, mais aussi la prise en compte de la dimension insulaire dans cette politique de cohésion. C’est tout le déploiement de la stratégie que nous avons initiée depuis notre arrivée aux responsabilités et qui a été mise en œuvre par le Conseil exécutif de Corse et particulièrement par Nanette Maupertuis, conseillère exécutive en charge des affaires européennes et membre du Comité des régions où elle a fait un travail de fond très remarqué, notamment d’un point de vue économique sur les contraintes liées à l’insularité et la façon de les compenser. Cette stratégie est montée en puissance avec la mise en place de l’axe spécifique Corse-Sardaigne et le partenariat que nous avons signé avec la Sardaigne et les Baléares. Nous avons co-signé avec Francescu Pigliaru, le président sarde, et Francina Armengol, la présidente des Baléares, une lettre demandant la reconnaissance du fait insulaire dans toutes les politiques publiques de l’UE, notamment dans les domaines du transport, de la fiscalité, de l’énergie, de la formation, de la recherche, du tourisme durable…  
 
- Avez-vous réussi à fédérer autour de cette initiative ?
- Oui ! Nous construisons des cercles concentriques de solidarité. Le premier niveau est la solidarité immédiate avec la Sardaigne. Le seconde niveau est le pacte Sardaigne-Baléares. Le troisième niveau est l’élargissement en Méditerranée occidentale à la Sicile et à la Crête. L’autre niveau est la Commission des îles où toutes les îles européennes sont représentées que ce soient les îles de l’Ouest ou du Nord. La dimension méditerranéenne est importante, mais ne peut pas être une exclusive dans le cadre du travail de fond que nous menons depuis plusieurs mois au sein de la Commission. Nous avons voté à l’unanimité une déclaration finale très conséquente qui reprend tous ces arguments et les développe. Elle sera remise à la CRPM qui la reprendra à son compte et la transmettra aux instances européennes, que ce soit le Conseil, la Commission et le Parlement.

- En 2017, les représentants des îles vous ont élu car ils voulaient une « présidence forte », une « présidence de combat ». Est-ce toujours d’actualité ?
- Plus que jamais ! La réunion de Corfou est, avant tout, une assemblée générale de mobilisation et de combat. Que dans un contexte de crise et de discussions serrées,  on m’ait de nouveau fait confiance, fait confiance à Nanette et, à travers nous, à toute la Corse, est très positif. Il est important de continuer à exercer la présidence parce que l’année à-venir est très difficile. Les élections ont gelé le calendrier budgétaire. Le Parlement européen a un droit de veto sur les propositions du Conseil européen au sein duquel s’affrontent des positions assez hétérogènes. La député européenne, Isabelle Thomas, qui représente le Parlement dans les négociations budgétaires avec le Conseil, est venue, à notre demande, faire un exposé sur le débat en cours. Très au faite des problématique sociale et insulaire, elle a reçu l’Award de la meilleure député européenne sur les questions budgétaires et a toujours soutenu notre démarche. Elle nous a confirmé que lors du sommet de Bucarest a eu lieu, pour la première fois, de manière informelle, un dialogue direct entre les négociateurs parlementaires et le Conseil européen.
 
- Vous évoquez des divisions au sein du Conseil européen. Quelles sont-elles ?
- Les cinq ou six groupes conservateurs veulent à tous prix réduire le budget européen. La conséquence mécanique serait des coupes dans un certain nombre de politiques, notamment la politique de cohésion qui serait la grande sacrifiée de ces choix budgétaires. Ces groupes demandent également que la contribution des Etats-membres soit ramenée à 1% en projection budgétaire -  0,9% en réalité - du PIB (Produit intérieur brut) des pays. C’est une régression importante puisqu’à la fin des années 2000, la contribution était de 1,24% alors même que l’UE avait moins de compétences budgétivores telles que la Défense, la question migratoire, la sécurisation des frontières et même, sur un autre socle, la recherche scientifique. Concrètement sont remis en cause le programme INTERREG et la coopération régionale maritime transfrontalière. Les enveloppes sont diminuées alors que les enjeux de biodiversité, de tourisme durable, d’agriculture ou d’énergie, sont de plus en plus prégnants. Un autre groupe de pays est sur une position attentiste. D’autres sont partisans du maintien de l’engagement budgétaire actuel, et donc, de la politique de cohésion.
 
- Quelle est la position de la France ?
- Pour l’instant, les grands pays comme la France n’éclairent pas trop le jeu, ils ont peur d’être happés par leurs difficultés budgétaires internes. Alors même qu’elle a beaucoup de régions qui seraient susceptibles de bénéficier de la politique de cohésion, par exemple les régions insulaires comme la Corse, les régions de montagne ou encore les régions rurales qui se heurtent à de fortes difficultés économiques, la France ne tient pas au renforcement de la cohésion parce qu’elle y contribuerait au premier rang et que cela augmenterait sa participation au budget de l’UE. Par contre, le Parlement européen a pris ses responsabilités. Alors que son choix est normalement binaire – soit une approbation, soit un veto -, il a déposé un rapport intermédiaire demandant au Conseil de revoir à la hausse le budget et de maintenir l’enveloppe de la cohésion. Les discussions sont en cours. Le représentant de la Commission européenne a laissé entrevoir de nouvelles opportunités pour les territoires insulaires avec des dispositifs techniques en cours d’élaboration... Même si la prudence est de mise, nous espérons des avancées. La mobilisation doit continuer.

- Les élections européennes, dans deux mois, peuvent-elles tout remettre en cause ?
- C’est le problème ! La composition du futur Parlement risque d’influencer sa position. Quoi qu’il en soit, les négociations seront ralenties et ne rependront qu’en janvier 2020. Il est, donc, fondamental que pendant ce laps de temps, les îles en général et la Corse en particulier aient une politique très proactive, très volontariste, de lobbying pour essayer de trouver des partenaires et des alliés qui les aideront à maintenir le budget et la politique de cohésion et, à l’intérieur de la cohésion, à faire reconnaître un volet insulaire à part entière. C’est ce que nous réaffirmons dans la déclaration finale, notamment en nous adossant, une fois encore, à l'article 174 du Traité sur le fonctionnement de l'UE qui prévoit précisément que les régions insulaires, de montagne, faibles démographiquement ou encore transfrontalières peuvent bénéficier de politiques publiques adaptées aux contraintes issues de l'insularité. Ces quatre critères sont alternatifs. Nous défendons ces quatre types de régions. Nous sommes d’autant plus intéressés à les défendre que la Corse cumule ces quatre critères.
 
- Pourquoi cet article 174 n’est-il toujours pas appliqué ?
- Cet article est déclaratif et ne fait pas naître des obligations positives à la charge des Etats-membres, mais leur permet simplement de mettre en place des politiques pour répondre aux objectifs énoncés. C’est pour cela qu’il faut être très présent sur le front européen. L’ancien secrétaire exécutif de la Commission des îles nous a, par ailleurs, expliqué qu’au-delà des grandes logiques politiques, des alignements de planètes peuvent rendre les choses plus ou moins difficiles, ou plus ou moins aisées. La Finlande va prendre la présidence du Conseil européen pendant six mois, ensuite ce sera le tour de la Croatie. S’il y a un pays qui est susceptible d’entendre les doléances des îles, c’est bien la Croatie qui est concernée au premier chef. Suivra à la présidence : l’Allemagne ou un pays d’Europe centrale qui n’a pas d’île dans leur radar.

- Au-delà de cette discussion générale, avez-vous avancé sur des thèmes particuliers ?
- Nous avons participé à toute une série d’ateliers que nous avons contribué à organiser avec des intervenants de premier choix qui sont au cœur de la problématique insulaire. Le premier concernait les transports et l’accessibilité dans les îles européennes. Il a été suivi par un atelier sur le tourisme durable, puis un sur l’insularité et l’économie circulaire avec la question centrale des déchets, enfin un atelier sur l’insularité et l’énergie. Nous avons avancé et débouché sur des propositions. Les groupes de travail sont pérennisés. Il faudra un peu de temps pour voir les réalisations. Dans le domaine des déchets et de l’économie circulaire, les îles ont vocation à développer des écosystèmes vertueux.
 
- De quelle manière ?
- L’idée est de faire du benchmarking, de prendre ce qui se fait de mieux partout pour l’adapter. Nous allons demander à l’UE et aux Etats-membres de travailler sur un programme dédié aux îles qui nous permettrait de nous positionner comme leaders dans le domaine de l’énergie, notamment les énergies nouvelles renouvelables, et de l’autonomie énergétique, mais aussi de l’économie circulaire, de la gestion innovante des déchets et de la gestion intégrée des écosystèmes. Nous avons, par exemple, rencontré la représentante de la petite île danoise de Bornholm, peuplée de 45 000 habitants, qui a un incinérateur dont elle veut se débarrasser. Elle a mis en œuvre un programme ambitieux pour arriver à zéro déchet en 2035. J’ai cosigné, avec Eleni Marianou, secrétaire générale de la CRPM, un protocole avec l’Association GreningTheIslands et son président Gianni Chianetta, qui œuvre pour le développement de l’économie circulaire et des énergies renouvelables. Le but est de créer des synergies et de développer la coopération pour renforcer la transition énergétique, l’efficacité de la gestion de l’eau, la mobilité durable et, plus largement, la défense de l’environnement. Bien sûr, tout n’est pas transposable, mais c’est en croisant les regards qu’on réussira à construire aussi un modèle sur-mesure pour la Corse.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Gilles Simeoni et Nanette Maupertuis avec Rui Bettencourt, secrétaire régional à la présidence pour les relations extérieures du gouvernement autonome des Açores.
Gilles Simeoni et Nanette Maupertuis avec Rui Bettencourt, secrétaire régional à la présidence pour les relations extérieures du gouvernement autonome des Açores.