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En Corse, l'inspection du travail déplore « un accident du travail grave par semaine »


David Ravier le Dimanche 30 Juillet 2023 à 15:39

La Direction Régionale de l’Économie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (Dreets) de Corse a mené l’année passée 1100 interventions sur le terrain, en majorité pour faire de la prévention d’accidents du travail, mais également pour lutter contre le travail illégal et la fraude sociale. Si les différentes politiques qu’elle mène semblent être fructueuse, le nombre d’accidents du travail reste toutefois élevé dans l’île sur la première partie de l’année 2023. Marie Anthelme, responsable du pôle politique du travail au sein de la Dreets de Corse, fait le bilan des actions menées par ses services pour tenter de réduire ces accidents du travail, encore trop nombreux sur le territoire.



Marie Anthelme, la responsable du pôle politique du travail au sein de la Dreets de Corse.
Marie Anthelme, la responsable du pôle politique du travail au sein de la Dreets de Corse.
- Quelles sont les principales missions qu’effectue l’inspection du travail en Corse ?
- Les missions sur lesquelles nous travaillons sont en lien avec ce qui est fait au niveau national, regroupées autour de sujets incontournables, qui répondent aux besoins du territoire corse. Nous luttons contre la fraude et le travail illégal sous toutes ses formes, qu’il s’agisse des travailleurs non déclarés, de la non-déclaration des heures de travail, de la fausse sous-traitance ou encore des mauvaises pratiques avec les travailleurs détachés. Nous effectuons aussi des contrôles au sein des entreprises, une pratique que nous avons renforcé cette année. Enfin, nous avons également un axe autour de la santé et de la sécurité sur des secteurs spécifiques, comme la prévention des risques liés à l’amiante ou les activités en lien avec le travail hyperbare pour les salariés qui interviennent en milieu sous-marin.
Pour autant, le sujet incontournable sur lequel nous travaillons en Corse, c’est la prévention des risques d’accidents du travail. Parmi tous les secteurs, celui du bâtiments et travaux publics (BTP) est le plus concerné par le sujet, car c’est là que surviennent les accidents du travail mortels. En ce qui concerne les accidents du travail, nous sommes d’ailleurs l’un des plus mauvais élèves au niveau national, Outre-Mer inclus, avec 42,79 accidents pour 1000 salariés, soit trois points de plus que le reste du pays. C’est la raison pour laquelle nous devons vraiment agir sur cette problématique. À ce titre, nous essayons d’intervenir en amont pour arrêter les travaux ou faire en sorte que les non-conformités sur un chantier soient levées. Le but ce n’est pas d’être présents uniquement lorsqu’il y a un accident du travail, mais de faire en sorte que les employés puissent travailler en sécurité.
 
- En 2022, près de 4200 accidents du travail, dont cinq mortels, ont été recensés en Corse. Qu’est-ce qui selon vous explique ces mauvais chiffres ?
- Les causes de ces accidents sont multifactorielles, mais je pense que c’est dû à la structure des entreprises que nous avons en Corse. Ce sont majoritairement de petites entreprises, des artisans voire des autoentrepreneurs, qui ne sont pas forcément formés pour les chantiers qu’elles réalisent. Ces entreprises savent faire du chantier pavillonnaire, mais elles se retrouvent de temps à autre sur des projets de plus grande envergure, comme des immeubles d’habitation collective par exemple, qui peuvent dépasser leurs compétences techniques et leurs savoir-faire et conduire à des imprudences. De plus, l’absence d’entreprises de grande envergure dans le secteur du BTP en Corse, à l’image de Vinci ou Bouygues sur le continent, peut également expliquer ces mauvais chiffres. L’avantage des grands groupes, c’est qu’ils tirent toute la branche professionnelle vers le haut, car ils possèdent des méthodes, des standards et des savoir-faire très cadrés, avec des compétences humaines et techniques que nous ne retrouvons pas forcément ici.
Globalement, les circonstances qui mènent à des accidents du travail sont très souvent évitables si des mesures de prévention sont mises en place en amont. Malheureusement, cela n’est souvent pas la norme parce que certains chefs d’entreprises font passer les raisons économiques avant la sécurité de leurs employés. Depuis le début de l’année 2023, nous en sommes sur un accident du travail grave par semaine et un accident mortel, ce qui nous inquiète très fortement. Par exemple, lors du week-end du 15 juillet, alors qu’un chantier touchait à sa fin au sud de l’île, un homme a fait une chute de cinq mètres parce qu’il était juché sur un appareil qui n’était pas fixé au sol. C’est typiquement le genre d’accident qui nécessite juste une demi-heure de mise en sécurité, mais où l’employeur est trop pressé de terminer. Il a voulu jouer la montre pour faire des économies, et cela a conduit à un drame.
 
- Dans votre rapport, vous notez que les agents ont remarqué que les risques dans le BTP ont augmenté depuis 2021, et qu’il n’y avait pas d’amélioration des conditions de travail sur les chantiers en Corse. Que peut faire l’inspection du travail pour inverser cette tendance ? 
- Nous travaillons avec les organisations professionnelles et syndicales pour essayer d’inverser la tendance et tirer les standards de sécurité vers le haut. En décembre 2022, nous avons signé un plan régional pour la prévention des accidents graves et mortels avec les quatre principales organisations professionnelles régionales du secteur du BTP. Cet accord comporte plusieurs axes majeurs, tels que la protection des jeunes et les nouveaux embauchés, car il faut donner les bons gestes dès le départ. Pour cela, nous allons dans les CFA et les lycées professionnels, et nous sommes en train de monter des actions pour mieux sensibiliser les jeunes aux questions des conditions de travail et des risques professionnels, afin que cela s’ancre dans les habitudes le plus tôt possible.
De même, nous sommes également en lien avec les TPE et les PME, en collaboration avec la Caisse d’Assurance Retraite et de Santé au Travail (Carsat), l’Organisme Professionnel Prévention Bâtiments et Travaux Publics (OPPBTP), et les services de santé au travail. Notre mission, c’est de conseiller et d’accompagner, y compris financièrement, les entreprises et faire en sorte qu’elles puissent être mieux équipées pour prévenir les risques professionnels. Enfin, nous agissons auprès des travailleurs avec la diffusion de campagnes de communication dans plusieurs langues, afin que l’information se propage même chez les travailleurs détachés. Dans cette optique, nous sollicitons les acteurs sociaux afin qu’ils s’emparent aussi du sujet et agissent à nos côtés.
 
La Dreets souligne que les salariés ont davantage recours aux services de l’inspection du travail, avec une augmentation de 10% par rapport à 2021. C’est une évolution des mentalités de la part du public ?   
- C’est une très bonne chose que les salariés fassent appel à nous pour des sujets très concrets de leur quotidien, comme mieux comprendre leurs fiches de paie, des questions techniques relatives à une fin de contrat ou encore aux congés payés. Nous ne sommes donc plus vus comme une institution qui fait peur, mais plutôt comme une source de conseils. De notre côté, nous faisons en sorte de nous rendre plus disponibles pour les usagers, avec la mise en place de télérendez-vous en Corse-du-Sud. C’est une première nationale, qui sera étendu à la Haute-Corse à la fin de l’année. Cela fait partie de notre politique de l’« aller-vers » pour être toujours en contact avec les travailleurs éloignés de nos services. Nous avons signé une convention avec les maisons France Services de l’île qui nous permettent de toucher des populations qui n’auraient pas fait la démarche de venir nous voir autrement. Ainsi, grâce à ces nouvelles remontées du terrain, nous pouvons identifier de nouvelles sources de risques au travail. Le fait que les salariés nous perçoivent de plus en plus comme une ressource et non plus comme un service de contrôle est positif. D’ailleurs, ce ne sont pas uniquement les salariés qui font plus souvent appel à nous, les entreprises elles-mêmes cherchent à nous joindre pour avoir des informations et un accompagnement, sur des questions liées aux travailleurs détachés, à l’utilisation de prestataires ou sur les règles à appliquer pour la sécurité des salariés. Nous préférons forcément travailler sur les dossiers avec les entreprises en amont plutôt que de venir les voir lorsqu’il y a un problème de travail dissimulé ou d’accident du travail par exemple.