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DOSSIER. À l’hôpital de Castelluccio, les praticiens surpris par la puissance de la vague de mal-être chez les jeunes


le Dimanche 12 Mars 2023 à 19:35

À l’instar de quasiment toutes les structures psychiatriques pour adolescents au niveau national, le centre hospitalier ajaccien fonctionne à flux tendu depuis plusieurs mois, au point qu’il ne peut désormais plus hospitaliser que les urgences.



(Image d'illustration)
(Image d'illustration)
Dans son bulletin de février sur la santé mentale, Santé Publique France mettait en exergue que les passages aux urgences en Corse « pour idées suicidaires » ont fortement augmenté chez les 11-24 ans en 2022. Cheffe de pôle de psychiatrie infanto juvénile à l’hôpital de Castelluccio, le Dr Nathalie Nobili Pieri a en effet constaté un changement depuis quelques temps. « Depuis le post confinement, nous avons beaucoup de jeunes patients présentant des troubles anxieux importants, des syndromes dépressifs avec des situations suicidaires et même parfois des scarifications », explique-t-elle en pointant un contexte « très anxiogène » face auquel les jeunes ont l’impression de ne plus rien contrôler. « Donc souvent, ils contrôlent la nourriture qu’ils ingèrent. C’est pour cela que l’on constate aussi beaucoup de troubles des conduites alimentaires. Nous rencontrons également pas mal de conduites addictives et surtout beaucoup de déscolarisation d’adolescents qui sont en échec et n'arrivent pas à retourner à l'école, à cause de troubles anxieux et de phobies sociales », ajoute-t-elle.
 
En somme, une importante vague de mal-être chez les adolescents, assez inédite selon la praticienne. « Les autres années, je ne me rappelle pas avoir vécu des choses aussi marquées. L’an dernier, c’était déjà important, mais là, j'ai l'impression que c’est en recrudescence », souffle-t-elle en confiant avoir été surprise par l’ampleur du phénomène. « On a vu cela monter progressivement, mais on se disait que cela allait se stabiliser. On voit que cela continue et on ne sait pas jusqu’où cela va aller », appuie-t-elle. Face aux très nombreuses demandes qui en découlent, l’hôpital de Castelluccio - seule structure de Corse-du-Sud à pouvoir admettre des adolescents en unité psychiatrique - a dû mettre en place des listes d’attente pour les hospitalisations. Comme de très nombreux établissements d’accueil des jeunes partout en France, le centre ajaccien fonctionne en effet à flux tendu. « Nous avons six lits intra-hospitaliers qui peuvent accueillir des adolescents dans des situations très critiques », détaille la psychiatre, en dévoilant avoir acté avec l’Agence Régionale de Santé la création prochaine de deux lits supplémentaires.

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Les hospitalisations en unité psychiatrique désormais réservées aux urgences

De facto, l’hospitalisation est donc désormais uniquement réservée à des cas bien limités. « Avant, on pouvait hospitaliser un adolescent pour évaluer un syndrome, mais maintenant on est toujours dans l’urgence »,souffle le Dr Nathalie Nobili Pieri. « Actuellement, nous hospitalisons surtout des syndromes dépressifs sévères. Nous évaluons la notion de dangerosité, d’agitation, le risque auto agressif ou hétéro agressif. Par exemple, s’il y a un passage à l'acte ou un risque suicidaire évalué très élevé, à ce moment-là on fait hospitaliser l’adolescent », poursuit-elle en précisant que ces urgences sont de surcroit quelque fois « hébergées en secteur adultes ». 
 
Alors pour essayer de pallier ce manque de lits, la cheffe de pôle indique que les Centres Médico Psychologiques (CMP) rattachés à l’hôpital de Castelluccio et installés à Ajaccio, Propriano et Porto-Vecchio fonctionnent à plein régime et proposent un accompagnement avec des équipes composées de psychologues, infirmiers spécialisés, assistantes sociales et éducateurs. « Nous essayons d’y faire venir régulièrement les adolescents, ainsi qu’en atelier thérapeutique afin de pouvoir les observer », livre la psychiatre. « Mais nous sommes malheureusement en pénurie de médecins », reprend-elle, confiant que deux postes sont aujourd’hui non pourvus. « Il n’y a plus trop de pédopsychiatres, donc c’est compliqué. C’est difficile de faire plus avec moins. On s’accroche, mais ce n’est pas évident ». Ce manque cruel de praticiens a récemment conduit la cheffe de pôle à rappeler un confrère à la retraite pour faire des vacations, « le temps que la situation se stabilise ». 

Pour pallier à la crise, de nouveaux dispositifs bientôt mis sur pied

Elle compte aujourd’hui aussi beaucoup sur l’ouverture, d’ici octobre, de quatre lits d’hôpital de jour pour les adolescents, qui permettra notamment de travailler autour des troubles alimentaires et des conduites addictives. « Les adolescents pourront être hospitalisés pour être évalués et rentrer chez eux le soir », précise le Dr Nathalie Nobili Pieri. À l’automne prochain, l’hôpital de Castelluccio devrait également disposer en plus d’un hôpital de nuit de 4 lits afin d’évaluer le niveau de gravité qui existe pour l’adolescent. Au vu de ce phénomène de mal-être ambiant chez les jeunes, elle annonce aussi qu’il est envisagé de créer une équipe mobile pour aller vers les familles pour pouvoir évaluer les ados et apporter une réponse alternative. Enfin, en outre, depuis un an, l’hôpital de Castelluccio est le centre régional répondant  du 3114, numéro national de prévention du suicide. Tous les jours de 9h à 17h, des professionnels ajacciens peuvent être sollicités par ce biais par des personnes en situation de souffrance psychique, ou une personne de leur entourage, afin de leur apporter leur écoute, mais aussi d’évaluer la crise suicidaire, l’urgence et le suivi à donner.