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Conférence-débat à l'IRA de Bastia : "Mettre de la technologie partout n’est pas forcément un progrès humain"


David Ravier le Samedi 15 Juillet 2023 à 09:27

La communauté d’agglomération de Bastia a proposé une conférence-débat mercredi 12 juillet à l’Institut régional d’administration sur la place grandissante que prend l’intelligence artificielle dans le monde du travail. Deux intervenants ont donné leur avis sur cette révolution technologique majeure : Nicolas Hazard et Julien Angelini



Julien Angelini,  maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université de Corse et Nicolas Hazard, fondateur de l’entreprise Inco.
Julien Angelini, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université de Corse et Nicolas Hazard, fondateur de l’entreprise Inco.
L'intelligence artificielle peut-elle vraiment nous mettre au chômage? Mercredi 12 juillet se tenait la conférence-débat « À l'ère des robots et de l'intelligence artificielle, comment se préparer aux métiers du futur? » à l’Institut régional d’administration de Bastia. Cette initiative, qui s’inscrit dans le programme de promotion des métiers de la filière numérique organisée par la communauté d’agglomération de Bastia, a vu se confronter deux avis sur les transformations qu’opérera l’intelligence artificielle dans le monde du travail. 

Deux visions opposées d’un même phénomène

D’un côté, Nicolas Hazard fait partie des enthousiastes de l’IA. Le fondateur de l’entreprise Inco, spécialisée dans l’innovation, dit ne pas avoir « peur de l'intelligence artificielle" et ne pense pas qu'il "faut en avoir peur, car cela dépend de ce que l'on veut en faire ». De l’autre, Julien Angelini est maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à l’université de Corse. Pour lui, si la peur n’est en effet pas l’attitude à adopter vis-à-vis de l’IA, l’enthousiasme n’est pas non la bonne solution, « résister au mouvement de l’intelligence artificielle n'est pas la bonne attitude à avoir. Il faut avant tout comprendre ce qui arrive. On l'a bien vu avec les smartphones par exemple, on embrasse ces nouvelles technologies sans émettre la moindre critique, sans se poser la question des personnes qui l’ont inventé ou sur leur utilité ».

Car la révolution technologique apportée par l’IA semble bien réelle. Dans une étude de 2017 réalisée par le groupe de réflexion l’Institut pour le futur et l’entreprise informatique Dell, 85% des emplois de 2030 n’existeraient pas encore. Dans ce contexte, la révolution numérique qui nous attend est à même de bouleverser le monde du travail, en rendant certaines tâches  et métiers obsolètes: « Il y a toujours eu des révolutions technologiques, avant ça ne touchait que les cols bleus, c'est-à-dire les ouvriers et les personnes les moins qualifiées, alors qu'avec l'intelligence artificielle, cela devient aussi vrai pour les cols blancs, les professions qualifiées, souligne Nicolas Hazard. Aujourd’hui, les comptables, les avocats et certains médecins comme les radiologues verront leurs métiers disparaître sous leur forme actuelle. Ils devront composer avec des IA et adapter une nouvelle manière de travailler ». 

L’apport de l’intelligence artificielle pour le travail en Corse

Comme partout ailleurs, les entreprises corses seront également concernées par ces transformations. Pour les anticiper au mieux, Nicolas Hazard préconise aux salariés de se former professionnellement, tout en faisant en sorte que les entreprises jouent le jeu. « Il faut que les entreprises forment les salariés aux transformations à venir. C'est de leur responsabilité si elles veulent continuer à être compétitives ». Un constat que partage également Julien Angelini, même s’il émet quelques réserves quant à la trop grande implication de l’intelligence artificielle. « La Corse est un territoire avec ses spécificités et qui regorge de savoirs. Il y a énormément de choses qui vont dans le sens du progrès humain et qui ne passent pas nécessairement par l’IA. L’erreur serait de croire qu’il faudrait de l’IA partout pour progresser, car mettre de la technologie partout n’est pas forcément un progrès humain. » Selon lui, l’intelligence artificielle peut avoir son utilité à condition que son usage soit maîtrisé. 

Au regard de ces nouvelles transformations, la formation professionnelle et la montée en compétences apparaissent comme des outils adaptés pour que les travailleurs puissent accompagner ces changements. Pour autant, cela ne veut pas dire que les emplois qui seront profondément transformés par l’intelligence artificielle se passeront complètement des humains, car « tous les métiers qui supposent une montée en puissance nécessitent de l'échange humain, et a priori, que la machine ne remplacera pas totalement, rétorque Julien Angelini. Elle sera juste une assistante extraordinaire, mais cela nécessitera de se former. Il y a 25 ans, on nous avait promis qu’avec l'arrivée de Google, c'en était fini des professeurs grâce à internet. Au final, nous n'avons jamais autant eu besoin des enseignants ».

Un gain de temps et une revalorisation de l’humain au travail

À l’échelle d’un territoire comme la Corse, l’intelligence artificielle a son rôle d’assistant à jouer pour simplifier des tâches, notamment celles qui sont répétitives ou facilement automatisables. « Par exemple, il y a beaucoup d’artisans en Corse, et dans ce genre de métier, l’intelligence artificielle et la robotique pourront avoir une place pour les aider. Après, quel que soit le métier ‘manuel’ que je fais, l’IA va pouvoir s’y greffer, car les outils technologiques qui les accompagnent sont en train d’arriver sur le marché, ce qui créera de nouveaux débouchés dans le travail » avance Nicolas Hazard. Le développement des IA, qui transformera profondément des métiers, peut être un formidable tremplin pour se concentrer sur ce que nous, en tant qu’humains, savons faire de mieux. « Comme l’IA est capable de faire certaines tâches mieux et plus vite que nous, ça redonnera aux humains la faculté de faire ce que nous sommes les seuls a pouvoir faire. Actuellement, les IA font de la combinaison prédictive et savent gérer plus de données que nous n’y arriverons jamais. En revanche, elles ne raisonnent pas comme nous, elles peuvent simuler notre raisonnement, mais pas le produire d’elles-mêmes, c’est là que nous avons une carte à jouer », prédit Julien Angelini. 

Les nouvelles formations sur le numérique, comme celles dispensées sur le territoire, proposent déjà au public d’apprendre de nouveaux métiers en lien avec l’intelligence artificielle, dans des domaines où nous ne serons pas encore remplacés par la machine. C’est le cas pour les data scientist ou les data analyst, deux professions chargées d’exploiter nos données numériques afin de ‘nourrir’ les IA et qui sont proposées par des instituts de formation en Corse.