Depuis 50 ans au moins les écrivains corses sont intrigués par la variation CUMU/CUME/CUM'E. Dans les années 1970 on voit apparaitre la nouvelle forme composée (type CUM'È) avec un accent qui "renforce" la consonne suivante (belli cum'è fiori) alors que type CUME (COMU, CUMU) provoque une lénition (dans cume femu? le F est sonorisé). Cependant les hésitations demeurent: dans quels contextes doit-on employer respectivement la forme simple (ex. cume) et la forme composée (cum'è)?
Dans Le corse sans peine (Marchetti, 0906) on indique que "cumu (comment) est à distinguer de cum'è (comme)", ce qui ne correspond pas complètement à la réalité: "Cumu ... currisponde GUASI esattamente a u francese "comment" (Filippini; 0601).
En effet parfois cumu (cume) correspond non pas à "comment" mais à "comme":
1. U rimitu s’avvicinò CUMU per parlalli à l’orechja (Zerbi, 0878)
2. Mi fighjò CUME per dimmi: Chì ci hè ? (Giacomoni, 1050)
Ce qui a été nommé "a recula di u paternostru" ("sicut ET nos demittimus") a acquis comme une valeur "sacrée" et abouti à la généralisation irréfléchie de la "particule" È (CUM'È), y compris dans certains monosyllabes (avec la même fluctuation: chè/ch'è etc.). Anton Francescu Filippini, qui a évoqué le paternostru dans la revue "U Muntese" (1961), a donné ailleurs une explication plus précise:
3. "cume deriva, non menu che u so' equivalente tuscanu come, da u latinu QUOMODO ET... "(Filippini, 0032)
Rappelons que la même évolution vaut pour le français "comme".
L'affirmation brutale (et erronée) selon laquelle la conjonction CUME "n'existe pas en corse" (MarchettiGeronimi, 5001) a eu comme conséquence une tendance plus ou moins cohérente à la généralisation dans tous les contextes des graphies en deux mots. En effet le type CUME tend à disparaitre dans des contextes où il est pleinement justifié par la réalisation orale qui devrait pourtant être déterminante. Le résultat est une variation graphique incohérente, parfois chez le même auteur:
4. imbuffa a guancia à latu mancinu CUME par dì: "umbah"(Franchi, 0521)
5. pianu pianu, CUM'È par ùn fà si sente (Franchi, 0083)
On a le même type d'hésitation dans des locutions (dites comparatives hypothétiques) du type, "comme si". Dans le même contexte on observe une fluctuation de la graphie: en un seul mot (CUME et variantes) ou en deux (CUM'È et variantes), ce qui implique une réalisation différente de la consonne ([s]/[z]) qui suit la conjonction.
6. l’oralità ci hè sempre, CUME sè u scopu era di « faire parler l’écriture» (Gherardi, 1035)
7. mi s'hè sparita a risa, CUM'È s'ella ùn ci fussi mai stata in bocca meia (Ottavi, 0346)
Nous ne commenterons pas ici la multiplication d'autres variations (syntaxiques: s'ellu FUSSI/s'ellu ERA) dans les phrases hypothétiques corses. Bien que toutes les grammaires persistent à condamner l'emploi de l'indicatif, ce dernier est tout à fait régulier comme le montrent l'usage et l'analyse linguistique.
Mais comment expliquer l'alternance entre forme simple (type CUME) et forme composée (type CUM'È) dans des contextes rigouteusement identiques? Une telle variation est de nature à remettre en cause le principe fondateur de la "prédétermination consonantique" (cunsunatura capunanzu). En effet il est peu vraisemblable que les deux graphies en question soient justifiées par deux réalisations orales différentes de la consonne suivante (mais on sait qu'une graphie incontrôlée peut altérer en retour la prononciation...).
Si le contexte donné (devant "si", devant "pour") génère en corse un "renforcement phonosyntaxique" le type CUM'È s'impose.
Si le contexte donné génère la lénition (affaiblissement, sonorisation...) de la consonne suivante, la graphie du type "cum'è" doit être exclue dans ce contexte.
Ce n'est pas la première fois que nous revenons sur ce sujet (voir par exemple: http://isula.forumactif.com/t192-ind-e-inde-inde ). Les conjonctions ou les adverbes font partie des "mots-outils", peu nombreux (environ 200 dans les diverses langues) mais très fréquents. La moitié des mots de n'importe quel texte (oral ou écrit) sont des mots-outils: il est donc important d'éviter les incohérences dans ce domaine.
Oral et écrit
Cela ne signifie pas qu'il faille disqualifier les documents écrits au motif que l'écrivain serait forcément déformé par la pratique de l'écriture. Les "exemples d'auteur" –nombreux- ont le mérite de pouvoir faire l'objet d'examen, de critique et de comparaison. Le recours exclusif à la "tradition orale" (au "locuteur idéal") est au mieux une vue de l'esprit, au pire un moyen facile de donner sans coup férir une image déformée voire obscurantiste de l'usage réel. Le "vieux berger corsophone analphabète", souvent présenté comme modèle incontournable, intervient rarement comme caution effective et vérifiable dans la description grammaticale...
Nous nous proposons de poursuivre régulièrement notre analyse de l'usage et de son évolution, notamment dans la perspective du Conseil de la langue corse ou en fonction de la demande qui transite souvent par les réseaux sociaux. Ici comme pour nos travaux passés et à venir nous avons choisi d'appuyer notre analyse sur des exemples authentiques. Les références sont parfois abrégées mais toujours vérifiables (pour de plus amples informations: eccu@gmx.fr ), contrairement aux exemples fabriqués ad hoc dans les travaux normatifs.
Jean Chiorboli, 17-7-2014