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Comité de massif de Corse : Une charte pour relancer le pastoralisme dans les estives et gérer les conflits d’usage


Nicole Mari le Lundi 24 Avril 2023 à 22:01

Le Comité de Massif de Corse a organisé, lundi à l’université de Corti, un séminaire de mi-parcours des estives pour présenter les premiers résultats de l’étude menée dans cinq nouveaux territoires : le Cuscionu, le Niolu, I Dui Sevi-Dui Sorru, l’Esi-Verdanesi et le Curtinese. Douze territoires d’estives ont déjà été parcourus depuis août 2020 sur les vingt identifiés. L’objectif est d’établir un état des lieux de l’utilisation de ces territoires et une cartographie de l’évolution de l’occupation et des usages afin de construire une Charte de gestion des estives corses. Explications pour Corse Net Infos de Jean-Félix Acquaviva, président du Comité de massif corse, et député de la 2nde circonscription de Haute-Corse.



Plateau du Cuscionu. Photo CNI.
Plateau du Cuscionu. Photo CNI.
- Vous venez de présenter une nouvelle étude sur les estives. De quoi s’agit-il ?
- L’étude sur l’évolution de l’occupation et des usages des territoires d’estives en Corse a été initiée en 2019 par le Comité de Massif, suite aux réunions du Comité de gestion des estives qui regroupe notamment les élus, les acteurs du monde pastoral et du monde économique. Cette étude, chemin faisant, a pris l’allure et la dimension d’une véritable monographie puisqu’elle porte sur 20 estives historiques réparties sur l’ensemble du territoire de la Corse. Un territoire d’estive globalement très important puisque la moyenne d’une estive peut aller de dizaines de milliers d’hectares jusqu’à 25 000 hectares. Douze estives ont déjà fait l’objet d’un travail de diagnostic et de présentation de la méthode et des résultats. Cinq autres estives ont été présentées dans le séminaire intermédiaire qui s’est tenu aujourd’hui à Corti. Il en reste huit. Cette monographie, qui comporte 300 à 400 pages par estive avec une fiche technique par bergerie, totalise plus de 7000 pages de documents. Elle est d’une qualité que l’on n’avait plus connu depuis les années 80, date à laquelle remontent les dernières données véritables que nous avions sur la montagne corse.
 
- Pourquoi une monographie ?
- C’est un travail de très grande importance dont l’ambition, in fine, est de construire une vraie Charte territoriale de gestion des estives de la Corse. Cette charte a vocation à être adoptée par l’Assemblée de Corse et à être intégrée dans la révision prochaine du Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC). Elle a vocation à fonder des recommandations d’ordre réglementaire de gestion, d’usage, mais aussi financière, pour permettre de relancer le pastoralisme en montagne dans un contexte de changement climatique et dans une modernisation du confort de vie. Ces conditions sont nécessaires pour que les bergers puissent, à la fois, faire de la transhumance avec la garantie de la qualité sanitaire de leur troupeau, être des gardiens de la protection de l’environnement, tout en pérennisant les savoir-faire, les usages et les pratiques ancestrales. C’est ce savoir-faire spécifique qui fait de nos produits fromagers et laitiers des produits identitaires et de qualité. L’idée est aussi de préserver le caractère patrimonial et culturel de ce qu'est le pastoralisme dans l’imaginaire de la Corse pour le transmettre aux jeunes générations.
 
- Vous parlez de « conditions » de relance du pastoralisme. Quelles sont-elles ?
- L’idée est de relancer le pastoralisme dans les estives en équilibre avec d’autres activités, que sont les activités de pleine nature, la chasse, la pêche et le nécessaire développement de la filière bois. La Charte nous permettra de créer les conditions et les principes généraux de gestion pour éviter les prédations, les prévarications privées, économiques ou de rente, pour limiter la sur-fréquentation touristique dans certains endroits, mais aussi pour rouvrir d’autres milieux et y réinstaller l’homme, y compris pour des raisons de protection environnementale. Dans les milieux fermés et désertés, les incendies se propagent plus rapidement. La Charte donnera aussi des recommandations financières dans le choix des modes de gestion et des équipements pour préserver les ressources hydriques et fourragères parce que le changement climatique impacte grandement la diminution de ces ressources. L’ambition générale est bien sûr la revitalisation des territoires de montagne grâce à une production économique générée par cette activité.

Jean-Félix Acquaviva, au centre.
Jean-Félix Acquaviva, au centre.
- Cinq nouveaux territoires d’estives ont été étudiés sur les 20 concernés. Quels enseignements en tirez-vous ?
- Les diagnostics faits jusqu’à aujourd’hui montrent un travail immense. D’une part, d’un point de vue historique et patrimonial, puisque dans chaque estive étudiée, on revient sur la toponymie des lieux, des sources, des montagnes, des lieudits, des bergeries... Ce travail linguistique servira dans d’autres politiques publiques, notamment linguistiques, éducatives, et même touristiques en termes de valorisation patrimoniale. D’autre part, d’un point de vue du changement climatique et de son impact sur les ressources hydriques avec l’état des lieux en temps réel des ressources et la géolocalisation de l’ensemble des sources. On observe depuis 80 ans une diminution de la ressource et une tendance de baisse des précipitations et de hausse de 2° en moyenne des températures. Les pâturages ont été remplacés par la forêt ou d’autres plantes qui reprennent l’espace à cause de la non-occupation des sols. Il faut donc rouvrir ces milieux et les rendre attractifs pour de nouveaux pâturages. Cela veut dire réintroduire l’eau et faire des aménagements. Il faut également dans certains endroits prendre en compte les éléments de fréquentation touristique. Les témoignages insistent sur les tensions qui existent entre les différents usages. Pas seulement avec l’activité économique, voire de prédation, mais aussi les activités de chasse en termes de calendrier de chasse et par rapport au calendrier de transhumance avec la question des chiens de chasse et des chiens de troupeau par exemple. L’étude évoque la problématique d’ordre foncière par estive, la nécessité de convention et de baux pour instaurer un vrai contrat entre le berger, les acteurs et les propriétaires, aussi la question de la déclaration de surface individuelle sur les estives communes. Ce diagnostic doit permettre de mettre en place un mode de gestion par estive.
 
- Qui assumera cette gestion ?
- Les communes restent maîtres chez elles, mais doivent être accompagnées par la Collectivité de Corse (CdC) en relation avec les utilisateurs. Les propositions réglementaires, que nous ferons, visent à créer des équilibres entre les usages, à éviter la sur-fréquentation, à mieux maîtriser le développement économique et à réinsérer les bergers. Avec cette charte, la CdC va développer, comme elle l’a déjà fait avec le Schéma Montagne et l’ODARC, des politiques d’investissement pour introduire l’eau où ce sera nécessaire, pour rouvrir des milieux par des politiques maîtrisées de brûlage dirigé, pour rénover les bergeries en termes de confort d’accueil et d’autonomie énergétique et pour installer, lorsque cela est possible, des outils de production du fromage en montagne. La CdC va également définir des missions d’intérêt général avec le berger pour la prévention des incendies, mettre en place des équipements pour les déchets et aussi une structure de gestion collective des différentes activités. L’ambition est de revaloriser le métier, non seulement par le maintien des bergers existants, par la possibilité de remonter en transhumance pour ceux qui le voudraient, mais aussi par la sensibilisation dans les écoles primaires, les collèges et lycées, la mise en œuvre de nouvelles formations pour, à long terme, susciter des vocations. La charte vise à éclairer le jeu en termes de gestion, de maîtrise foncière, de rénovation des bergeries, de confort de vie, mais aussi de débouchés économiques.
 
- L’étude montre que la transhumance a diminué de moitié en 50 ans et n’attire pas les jeunes bergers. La redynamiser n’est-ce pas le premier enjeu ?
- C’est un des enjeux posés par le changement climatique. On le voit dans les témoignages que nous avons recueillis. Il est moins coûteux aujourd’hui de monter les troupeaux en montagne, lorsque les pâturages existent, plutôt que d’acheter des aliments de plus en plus chers à l’import. La transhumance diminue les coûts de production. Bien sûr, il faut améliorer le confort en montagne pour que le berger puisse y vivre dignement, seul ou avec sa famille dans un confort d’accueil et un cadre de vie qui lui permet d’être en transhumance, mais aussi de prendre des vacances grâce à une mutualisation des moyens de garde des troupeaux. L’enjeu est aussi de mutualiser les coûts et de mettre en place un circuit de valorisation économique par la valorisation de l’image d’une production en montagne. Le produit réalisé en montagne, pourrait être distribuer dans les foires, mais aussi dans certains points touristiques, sur les chemins de randonnées du Parc régional naturel ou encore chez les restaurateurs. Il faut montrer l’exemple en confortant en priorité les bergers qui sont déjà là, en les aidant à se développer, et en aidant ceux qui voudraient d’ores et déjà remonter en transhumance, mais qui n’ont pas les conditions économiques et d’aménagement pour le faire. Leur réussite et la mise en place des outils dont j’ai parlé rendront le métier beaucoup plus attractif et évitera la déperdition.

Le séminaire à Corti.
Le séminaire à Corti.
- Les conflits d’usage se sont multipliés ces dernières années. Comment comptez-vous les régler ?
-  L’objectif de la Charte est d’apaiser les conflits et de créer des équilibres là où il y a des tensions d’usage. Les tensions existent lorsque les choses ne sont pas organisées et que différents aspects se confrontent. Aujourd’hui, l’activité touristique crée quelquefois des effets de loupe de sur-fréquentation ou de recherche de rente qui génère des conflits parce qu’il n’y a pas d’organisation sur un espace. Souvent, les communes se retrouvent confrontées à une grosse pression économique. La rente touristique a du mal à s’autoorganiser ou à s’organiser avec d’autres activités, notamment le pastoralisme avec des tensions liées à la divagation sauvage ou organisée. Sur ces espaces, la Charte peut mettre en convergence les acteurs, les utilisateurs et les propriétaires, apporter une caution morale et politique, mais aussi des outils réglementaires et financiers parce qu’on ne peut plus continuer comme ça. Surtout à l’heure d’une diminution drastique de la ressource hydrique et fourragère qui fait qu’un moment donné tout le monde sera perdant. Cela veut dire qu’il faut monter des structures de gestion pour regrouper les acteurs et créer des convergences afin de diminuer la pression sur les communes. Selon les endroits, il s’agira d’appuyer une commune qui a des reins suffisamment solides en créant un comité de pilotage avec la CdC, les propriétaires et les utilisateurs. Dans d’autres, lorsqu’il y a la volonté ad hoc, il s’agira de créer des structures juridiques avec la CdC, les communes et les utilisateurs historiques dans lesquelles la CdC s’investira à travers une politique de gestion et d’investissement qui aura été définie par cette monographie. Personne pourra se sauver par procuration, on ne pourra se sauver que collectivement ! Le changement climatique va non seulement raréfier les ressources pour tout le monde, mais aussi amener un changement des pratiques de la transhumance, telle qu’on la concevait dans le passé.
 
- C’est-à-dire ?
-  La dimination de la ressource en eau, même s’il y a des retenues collinaires, devra être gérée de manière beaucoup plus rigoureuse et sobre qu’autrefois. Face à la hausse des températures en montagne, il faudra peut-être changer les dates de transhumance, peut-être aussi s’accorder sur les dates de chasse et de présence des troupeaux, et donc adapter ces dates à l’utilisation de l’espace avec des acceptations à certaines dates et des refus à d’autres. Il faudra aussi demain, et c’est ce que nous souhaitons, nous forces nationalistes, si nous obtenons le pouvoir réglementaire et fiscal à travers l’autonomie, fiscaliser l’accès de certains sites aux touristes avec des fiscalités comportementales, voire même créer des quotas à certaines périodes, comme ça se fait maintenant de manière expérimentale dans certaines zones. Comme il faudra aussi ouvrir de manière raisonnée des milieux qui sont aujourd’hui fermés par abandon des estives et qui ne sont pas sujets à la fréquentation touristique afin qu’on puisse y installer une activité productive.
 
- Il reste huit estives à diagnostiquer. Dans combien de temps, cette gestion concertée pourrait-elle être mise en place ?
- Du moment que cette monographie aura été réalisée sur les 20 estives, c’est-à-dire un rendu définitif en juin 2024 de l’ensemble des données, nous pourrons aller beaucoup plus vite, puisqu’il y aura des fiches techniques par bergerie et par espace foncier, des cartographies, de la géolocalisation, pour réaliser des investissements et des équipements. En attendant, notre premier travail est d’abord de conforter ceux qui transhument par des actions d’urgence que nous avons déjà entamées : on fait déjà des rénovations, des consolidations foncières et des réaménagements. Il s’agit, ensuite, d’identifier les volontés de transhumer dans le contexte nouveau de la Charte. Nous voulons construire une renaissance. C’est aussi le message que nous lançons à travers cette monographie et cette charte à réaliser nécessairement, si on veut sauver à la fois ce que nous sommes, mais aussi anticiper ce qui est en train d’advenir.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Les participants au séminaire des estives.
Les participants au séminaire des estives.