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Avenir institutionnel de la Corse : les CNRJ "souhaitent prendre part au débat"


Philippe Jammes le Mardi 12 Avril 2022 à 21:08

Alors que les les premières discussions sur l'avenir institutionnel de la Corse entre le gouvernement et les élus insulaires devraient avoir lieu dans les prochaines semaines, le président du Cercle National de Réflexion sur la Jeunesse (CNRJ), Frédéric Fappani von Lothringen, confie à CNI souhaiter "apporter des idées nouvelles dans ce débat historique".




Frédéric Fappani von Lothringen (Photo Richard Dumas)
Frédéric Fappani von Lothringen (Photo Richard Dumas)
- Présentez-nous le Cercle National de Réflexion sur la Jeunesse (CNRJ)
- Cette ONG, Cercles Nationaux de Réflexion sur la Jeunesse, a été créée en 2011 et est aujourd’hui implantée dans une vingtaine de pays dans le monde. Sa démarche centrale est d’« Observer, Penser, Agir » pour que la jeunesse prenne sa place dans le monde. Elle a un statut consultatif spécial auprès de l’ECOSOC ONU*.  Nous bénéficions du statut d’ONG car nous avons 0% d’argent public.  Ce statut nous permet de siéger à l’ONU et de poser des questions directement aux États ou de prendre la parole lors des sessions d’examen des droits de l’homme, mais aussi de développer des actions dont certaines peuvent recevoir le soutien de l’ONU. Cela donne à ce type d’association un grand pouvoir et une grande indépendance. Nous avons 2 axes de travail : l’un des plaidoyers où nous défendons des causes, évidemment plus particulièrement la cause de la jeunesse et les droits de l’homme, et un second axe de travail, où nous déployons des programmes de développements locaux.  Ainsi nous avons été amenés à travailler dans des zones à risque ou de guerre comme en Centrafrique, Guinée Conakry ou encore sur le génocide tamoul au Sri Lanka. Nous avons aussi été amenés aussi à discuter ou à servir de tiers lors de négociations, parfois serrées entre des protagonistes ayant mené des luttes armées.

- Votre rôle au sein de cet ONG ? 
- J'ai un rôle relativement simple puisque CNRJ est une association de type fédéral. C’est-à-dire qu'il y a des responsables dans chacun des pays, où nous sommes implantés et que donc chacun gère le CNRJ de son pays. En ce qui concerne, je préside donc l'ensemble ce qui me permet d'animer, de proposer de vision, d'analysé et d'impulser aussi des chantiers qui me paraissent d’importance. Comme ça a été le cas par exemple sur la question corse en 2016. En accord avec le Conseil d'administration, j'ai la possibilité de mener directement, moi-même des projets et de les conduire. J'interviens aussi sur les dossiers « sensibles » et parfois dans des « zones à risque », puisque telle est la vocation de notre œuvre. Ce rôle est un rôle bénévole et je dois donc avoir des revenus d'activités classiques pour pouvoir vivre, qui sont alors indépendantes de ses engagements. D’origine lorraine, même si des traces corses existent dans mon ADN, je ne me suis jamais revendiqué comme Corse. Je me suis engagé d'ailleurs sur la question corse bien avant d'avoir cette connaissance que nous permettent aujourd'hui ces tests ADN. Je ne crois pas d’ailleurs un seul instant à une sensibilité corse qui serait issue de ma génétique. Mais néanmoins, tout un chacun pourra constater qu’effectivement, j'ai développé une sensibilité à cette question.

- Pourquoi, CNRJ souhaite-t ’elle s’inviter dans le débat corse ?
- Nous sommes arrivés sur la question corse en 2016, au travers de la question des droits des jeunes prisonniers, ce qui est pleinement dans le champ de nos compétences.  Je tiens à préciser que nous avons été invités par les associations et c'est ainsi que nous sommes rentrés sur la question corse.  Nous nous sommes donc jamais invités en Corse. D'ailleurs à titre personnel, je ne vais jamais en Corse pour faire du tourisme, je ne vais là-bas que dans le cadre de l'ONG et si j’y suis invité.  Nous avions été d'ailleurs reçus par Jean-Guy Talamoni à l'époque avec lequel nous avons évoqué la question des prisonniers, mais aussi la question de la jeunesse Corse et son implication dans la politique, le social et dans l'économie de ce territoire. Malgré nos demandes de rencontre, nous n'avons pas eu la chance de rencontrer Gilles Siméoni.  C'est d'ailleurs un peu dommage, car il est encore aux affaires aujourd'hui et que du coup, nous ne nous connaissons pas.

- Des dossiers aujourd’hui brûlants d’actualité ?
- Nous avons défendu deux dossiers, celui des prisonniers vis-à-vis du gouvernement français et celui de la reconnaissance en tant que peuple des Corses auprès des instances internationales, dont l'ONU.  Nous avions prévenu le gouvernement qu'il y avait des manquements aux droits de l'homme dans le traitement des militants corses et plus encore ceux incarcérés, qu’il y avait des problèmes de sécurité, qu'il y avait un devoir de ramener les prisonniers corses « à la maison ». Plusieurs courriers de réponses nous ont indiqué qu'il n'y avait aucun problème et aucun manquement aux droits. Évidemment, au regard de la situation d’aujourd'hui cette position de l'ancien ministre de la Justice et d’une certaine manière l’actuel, est catastrophique. Nous avons fait remonter ces éléments auprès du secrétariat général de l'ONU, mais aussi de la conseillère européenne aux droits de l'homme. Malgré divers rappels à l'ordre sur la question des droits de l'homme par ces instances, le gouvernement actuel n'a jamais donné suite et les médias hexagonaux ne se sont pas émus des divers manquements aux droits faits par la France sous la présidence de monsieur Macron. Notre ONG a été consultée, en 2019 par une commission d'enquête envoyée par l'Europe, Conseil Economique et Social Européen, en France. En effet, la question des gilets jaunes, le traitement des minorités linguistiques, le glissement de certaines institutions de contrôle, le fonctionnement de la justice, l'indépendance de la presse posent beaucoup de questions à l'international. Une nouvelle fois, le rapport transmis par l’Europe au gouvernement français a été sans effet et la presse hexagonale ne s'est pas fait écho de ce rapport. Bien que nous ayons eu l'opportunité de pouvoir tenir un discours à l'ONU et aborder la question Corse dans l'enceinte, les choses n’ont pas beaucoup avancé. Même si cela nous a valus à l'époque des remerciements importants. J'ai eu la chance d'avoir d'émouvants échanges avec Edmond Simeoni, de rester en lien par la suite avec lui et jusqu'à ce qu'il nous quitte nous avons régulièrement échangé par téléphone. Assez paradoxalement, Edmond Simeoni, à une autre époque n’était pas pour l'internationalisation de la question Corse ou même d’y mêler l’ONU. La question de l'internationalisation et de la reconnaissance internationale du peuple Corse, n'est pas une question qui a intéressé les politiques corses et donc cette porte reste toujours ouverte, mais sans soutien enraciné localement sans volonté réelle, c'est un axe qui ne peut que difficilement avancer.

- Qu'est-ce que vous en pensez de la montée de la violence chez les jeunes corses ?
- Aujourd'hui, la jeunesse corse s'embrase et dans un premier temps les politiques français et les médias « français » font minent d'être surpris. Où étaient-ils tout ce temps ? Peut-on croire un seul instant que seule la mort d'Yvan Colonna est la cause de tout ? Nous avons là, une jeunesse pleine d'énergie, pleine de volonté, héritières d'une histoire, d'une langue, d’un territoire, mais aussi héritière d'une douleur collective faite d’une guerre de conquête qui a fait plus de morts que la guerre d'Algérie, de la présence d'une administration, d’une armée et d’une langue, venues d’un autre territoire. Il y a aussi une absence de dialogue total pendant toute le mandat présidentiel qui se termine et évidemment il y a là douleurs des humiliations passées et récentes comme celle que j'évoquais à l'instant. Ce qui nous fait intervenir encore plus encore sur la question Corse aujourd'hui, c'est celle qui nous à mener ici en 2016 à venir. C'est la question de la jeunesse quand elle est militante et la place que l'on fait à cette militance, à cette énergie et à cette force et, finalement aussi à ce projet dont ils sont porteurs qu’il soit plus ou moins élaboré plus ou moins conscient … peu importe. Mais c'est aussi, ne nous voilons pas la face, qu'il faut très rapidement prévenir des débordements que pourrait constituer une non-prise en compte de cette jeunesse, une absence de dialogue réel, et l'ouverture concrète d'une discussion sur l'autonomie. 

- Vos aspirations dans ce débat ?
- Cela fait partie de nos axes de travail que de travailler la prévention des conflits de par notre place de tiers, car nous ne sommes donc ni du gouvernement français ni des associations et mouvements corses. Cela peut être intéressant d'avoir ce regard tiers. Il n'y aurait rien que de plus terrible que de s'enfermer dans un face-à-face entre la collectivité territoriale ou pire encore uniquement entre son président et l’Elysée-Matignon. Il est important que la jeunesse soit associée ainsi que les forces vives de la société civile Corse. De la même manière, il est important que les choses soient faites au vu de tous. Ce n'est pas le moment de laisser à penser que certains ont fait de petits arrangements personnels au travers de la question Corse. Nous aspirons à faire partie des tiers, des sortes d’observateurs et de médiateurs dans ces échanges et dans ce cadre sur l’autonomie. D'ailleurs à des fins de prévention de conflits, il est toujours important d'avoir un tiers, car si les liens venaient à se couper en particulier auprès des franges les plus radicales présents chez les uns et chez les autres. Tout le monde serait content d'avoir quelqu'un dans le rôle. Je tiens à préciser que bien que nous aspirons à tenir ce rôle-là, s'il était occupé par d'autres cela ne serait pas un problème tant qu'il y a la garantie d'un regard extérieur et que le cadre des discussions est ouvert aussi aux forces de la jeunesse ainsi qu’aux autres forces de la société civile Corse cela serait, pour nous, une bonne chose.

- Quelles démarches en ce sens ?
- Nous sommes dans une phase où nous avons sollicité les autorités du gouvernement français, la collectivité territoriale, l'ensemble des partis politiques indépendantistes et autonomistes présents en Corse. Nous avons aussi informé des personnalités de la société civile pour les responsables des associations de prisonniers. Ainsi, évidemment que les mouvements de jeunesse comme la Ghjuvantù Indipendentista, Ghjuvantù Paolina et Cunsulta di a Ghjuvantù Corsa, par l'intermédiaire de leurs responsables. Au sein du gouvernement français on nous a averti que les courriers à être étudiés et qu'une réponse nous serait donnée. La collectivité Corse à cette date ne nous a pas donné de réponse nos courriers d'informations sont partis cette semaine. Quelques mouvements politiques ont commencé à nous répondre comme Corsica Libera et Core in fronte, qui nous ont déjà fait savoir leurs intérêts. Nous avons aussi évidemment alerté la presse.

- Comment voyez-vous la suite ?
- En réalité, il n'y a que deux choses possibles soit notre appel est entendu soit il ne l'est pas et même s’il l'est, c’est-à-dire qu'un cadre est fixé associant la jeunesse et invitant des tiers extérieurs au gouvernement et aux forces de la société civile Corse, il n'est pas sûr que nous soyons dedans. Nous pensons que cela ne va pas être simple mais que si on veut éviter un conflit à moyen ou à long terme, mais il est inévitable de poser un cadre avec des axes forts sur les questions d'autonomie, sinon à moyen ou long terme il y a un danger. Ne nous nous voilons pas la face il peut très bien y avoir des débordements armés, des blessés et il faut éviter cela. Je ne m'amuse pas à dire cela gratuitement ou pour faire peur, simplement nous avons des éléments de terrain, aujourd'hui, qui nous permettent d'affirmer qu'il y a un vrai risque. S’agissant de la prévention d’un conflit, il est important que les instances internationales soient au courant, est qu'une alerte ait été lancée et qu'une proposition ait été évoquée. C’est pourquoi, le Secrétaire général de l'ONU, António Guterres et la commissaire européenne aux droits de l’Homme, Dunja Mijatović seront avertis de cette démarche et un bilan de notre démarche, des réactions ou absences de réactions, État, collectivités, associations locales, partis politiques et presse, leur seront adressées mi-avril. Il ne s'agit pas de menace, mais simplement d’un rappel des obligations que l'on a envers son peuple ou les gens qui nous ont élus. Si rien n'était fait, et si par malheur un conflit apparaissait plus tard et si aucun tiers n'était mobilisé malgré nos avertissements. Nous saurions en capacité d'indiquer qui a fait quoi ou qui n'a rien fait.  Il s'agit du fonctionnement habituel de prévention de conflits tels que préconisé au sein de l'ONU par le secrétaire général auprès des associations à Statut ECOSOC ONU.
 
 
* Placé au cœur même du système des Nations Unies, le Conseil économique et social promeut les trois dimensions - économique, sociale et environnementale - du développement durable. C'est l'un des six principaux organes de l'Organisation des Nations Unies constituée par la Charte des Nations Unies en 1945.