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Autonomie : L’Assemblée de Corse ne veut pas « laisser passer le train de l’Histoire »


le Vendredi 6 Octobre 2023 à 08:32

Une semaine après le discours d’Emmanuel Macron au sein de l’hémicycle, les conseillers territoriaux ont longuement débriefé sur la portée des mots du Président de la République, à l’occasion la session de ce jeudi. Si tous n’en font pas la même lecture, l’ambition générale est d’arriver à trouver les voies et moyens pour parvenir à un accord dans les six mois laissés par le Chef de l’État, afin de ne pas rater le chemin vers l’autonomie



Autonomie : L’Assemblée de Corse ne veut pas « laisser passer le train de l’Histoire »
« Nous n’avons pas le choix. Nous ne pouvons pas échouer ». Les mots de Marie-Antoinette Maupertuis résument l’état d’esprit qui a régné ce jeudi après-midi dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse. Une semaine après le déplacement d’Emmanuel Macron, les élus sont longuement revenus sur le discours prononcé par le Chef de l’État et les suites à donner à celui-ci, lors d’une grande partie de la session. 
 
Ouvrant les débats, Gilles Simeoni s’est avant tout réjoui que le Président de la République ait « répondu favorablement à l’invitation que nous lui avions faite de venir devant l’Assemblée de Corse pour répondre à la délibération et pour dire la façon dont il entrevoit la suite du processus ». « Sur le fond, le discours présidentiel a acté le principe d’une autonomie à la corse, une formule qui reste à préciser », note le président de l’Exécutif en glissant : « Je dirais que je préfère une autonomie à la corse qu’à la française ». Concédant que si son principe est acté, cette « autonomie reste à construire », Gilles Simeoni rappelle : « Quoi qu’il en soit, l’autonomie implique un certain nombre de choix politiques et institutionnels, et le modèle vers lequel nous souhaitons tendre c’est celui d’un État qui exerce les compétences régaliennes et d’une collectivité autonome qui exerce toutes les autres compétences ». Par ailleurs, le président de l’Exécutif observe que dans le discours d’Emmanuel Macron « un certain nombre de choses ont été dites, d’autres ont été suggérées et les dernières pas abordées ». « Cela laisse un large spectre de travail », souffle-t-il. « Dans le discours, le Président a énoncé spécifiquement qu’il n’y a pas de lignes rouges. Ce qui veut que le champ des possibles, y compris par rapport à ce que la majorité territoriale et l’ensemble des nationalistes considèrent fondamental, soit ouvert à cet égard », estime-t-il. 
 
Alors que le Président de la République a laissé six mois aux élus insulaires pour trouver un consensus, Gilles Simeoni pose : « Il y a un équilibre à trouver entre la règle de base de la démocratie, c’est-à-dire le respect du fait majoritaire, et d’autre part la nécessité, qui pèse sur nos épaules, d’élargir au-delà de la famille nationaliste, parce qu’une solution globale, durable, permettant à l’ensemble de la société corse de s’engager résolument sur un chemin d’espoir implique l’adhésion la plus large possible ». Avec la délibération du 5 juillet pour « boussole », cette adhésion devra, pour le président de l’Exécutif, être construite « d’abord en nous tournant vers ceux de notre famille politique qui n’ont pas souhaité voter (celle-ci), ensuite en nous adressant à ceux qui ont porté un autre texte ». « Au-delà de cette épine dorsale », Gilles Simeoni aspire en outre à « définir une méthode de travail qui permettent d’impliquer l’ensemble des parties prenantes » à l’instar du Cesec, de l’Assemblea di a Giuventù, de l’ensemble des forces politiques, des syndicats, des organisations professionnelles, ou encore des institutions consulaires. « Notre travail sera de faire que l’adhésion soit la plus large possible », renchérit encore le président de l’Exécutif en instillant : « J’ai conscience de ce que le chemin est étroit. C’est une course d’obstacles, il faut prendre les haies les unes après les autres. C’est difficile, mais je reste persuadé que c’est faisable et que nous devons le faire et que nous devons réussir. Pour moi il n’y a pas d’autre option ».

"L’unanimité n’existe que dans les dictatures"

Derrière lui, le co-président d’Un Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni, marque sa satisfaction vis-à-vis des mots d’Emmanuel Macron. « Il y avait une attente et avec un sens funambule de l’équilibrisme le Président de la République a su à la fois donner de la respiration à ceux qui en avaient besoin et rassurer ceux qui étaient craintifs », analyse-t-il. Il assure que pour parvenir « au rassemblement le plus large possible de toutes les forces vives de la Corse » souhaité par Emmanuel Macron pour dessiner la suite, son groupe « apportera sa part de responsabilité à cet effort » pour trouver un point d’équilibre. « Le motif de l’incompréhension du mois de juillet c’est qu’on ne fait pas le même exercice. Vous êtes dans le champ de l’imaginaire : vous avez fait l’exercice de dire ce que vous vouliez. Nous nous mettons en bout de course. Nous sommes dans la posture du coureur qui regarde la ligne d’arrivée et qui voit des haies des obstacles d’inégales difficultés à franchir. Au mois de juillet vous avez fait comme si tout cela n’existait pas, mais cela va nous rattraper », pose-t-il en appelant au « principe de réalité » ainsi qu’à « se délester de la charge symbolique de certaines formules », comme le mot coofficialité qui ne passera pas « dans certains cercles ». 
 
Pour Romain Colonna, de Fà Populu Inseme, la question importante après le discours d’Emmanuel Macron est toutefois avant tout de savoir si celui-ci « marque une étape ». « Nous pensons pour notre part que plus que jamais les conditions sont réunies pour continuer un dialogue fécond, frappé par la mutualité, par le respect et par l’envie de réussir pour la Corse », affirme-t-il. « Cela nous engage à nous adresser à tous les Corses. Nous allons aller les voir et leur expliquer ce qu’est l’autonomie et ce qu’elle n’est pas », annonce-t-il en reprenant : « Et nous allons aussi dire aux Corses, dans le respect absolu de l’ensemble des membres de cet hémicycle, que le deal ne peut pas être une négociation 50/50 entre deux délibérations. Il y a tout un tas de choses essentielles pour nous auxquelles nous ne pouvons pas renoncer ». 
 
De son côté, Pierre Ghionga considère que « plus grande sera l’autonomie donnée à la Corse, plus fort sera le lien entre la France et la Corse ». Désormais non-inscrit, il avait été le seul élu de droite à voter pour la délibération du 5 juillet. « L’unanimité n’existe que dans les dictatures, dans les pays démocratiques c’est la majorité. Alors faisons voter les Corses et nous verrons bien », lance-t-il. Des mots qui trouvent écho du côté de Core in Fronte. « Nous nous sommes dans une situation un peu paradoxale : nous avons 73% des voix sur une délibération qui sont adossées aux 70% des suffrages qui se sont portés sur les votes nationalistes. Apparemment cela ne suffit pas : on nous demande l’unanimité », regrette Paul Quastana dans ce droit fil, raillant dans le même temps que le « Gouvernement français gouverne avec une majorité relative, à coups de 49-3 ». « Pendant plus d’un an on nous demandé ce que nous voulions. On a pris le temps de travailler pour dire ce que nous voulions et on pensait naïvement que c’était terminé. Et non il faut encore 6 mois pendant lesquels il faut que l’on se mette d’accord et que l’on arrive à l’unanimité. Ce n’est pas possible ! », tonne-t-il. 

"Nous devons réussir et nous allons réussir "

À ses côtés, Paul-Félix Benedetti remarque que « nous sommes aujourd’hui à un point d’avancée certain ». « Je ne suis pas sûr que ce soit le point historique qu’on attend mais c’est un point fort, c’est indéniable. On a la possibilité de solutionner un problème politique », constate-t-il en déroulant : « Ce n’est pas un problème économique, pas un simple problème culturel, pas un problème administratif, c’est le problème corse. Il ne se décline pas, ne se définit pas, il se subit. Et dans ces conditions on doit avoir l’attitude de ses ambitions ». Le leader de Core in Fronte tacle par ailleurs le mot consensus, « martyrisant pour la pensée humaine » auquel il dit préférer « le pacte irénique ». « Nous avons la même religion, la passion pour la Corse, mais nous avons des confessions différentes », détaille-t-il, filant la métaphore. « De manière globale idéologique et censée il faut accompagner un processus sans chercher à la contrarier. Mais je pense qu’il serait mal venu qu’on prenne le problème par la fin. La fin c’est ce qui nous été un peu vendu en disant qu’il faut que l’on trouve un consensus pour passer au Sénat », affirme-t-il d’autre part. 
 
« Ce que je lis et interprète c’est moins la volonté de trouver l’unanimité que de dégager la voie vers une révision constitutionnelle réussie. Ce dont il est question aujourd’hui, c’est de tracer un chemin qui nous conduise sur un pas de temps très court à créer les conditions d’une révision constitutionnelle réussie qui permette la reconnaissance, l’autonomie et l’instauration de droits nouveaux pour notre communauté, le peuple corse », relèvera de son côté Jean-Christophe Angelini pour Avanzemu. 
 
Seule élue non présente lors du discours présidentiel et seule représentante de Corsica Libera dans l’hémicycle, Josepha Giacometti se veut pour sa part plus cinglante. « Bizarrement quasiment tout le monde a été satisfait de ce discours, parfois en se basant sur les mêmes points. Cela relève du en même temps macronien : il arrive à tout dire sans rien dire. Mais il y a aussi une autre lecture. Il y a des choses qui ont été écartées dans les creux du discours et qui relèvent de ce qui sont pour nous les fondamentaux », tance-t-elle. La conseillère territoriale non-inscrite s’interroge ainsi notamment sur la notion d’ « autonomie à la corse ». « L’autonomie c’est l’autonomie tout court, c’est le pouvoir législatif. Or dans les propos du Président de la République je n’ai pas entendu cela. Il a dit qu’éventuellement il y aurait peut-être une possibilité dans des domaines de compétences bien restreints d’édicter une norme. On est très loin », s’alarme-t-elle en avertissant : « Ne continuons pas à nous engager dans un piège aux contours mal taillé. Faisons respecter ce que les Corses demandent et attendent ». 
 
Pas de quoi entamer l’optimisme de Gilles Simeoni qui conclut les débats en constatant que « les mots du Président de la République ont été les mêmes ici et devant le Conseil Constitutionnel ». « C’est un élément pour moi central du degré d’engagement et de l’irréversibilité de la parole du Chef de l’État.  Le principe de l’autonomie est acquis et acté au plus haut niveau. À nous d’en définir un contenu », se félicite-t-il.  « Ce que je veux retenir de nos échanges c’est que personne ne veut laisser passer le train de l’histoire », résume-t-il en outre en insistant : « Personne n’a envie que ce processus échoueNous devons réussir et nous allons réussir ».