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Assemblée de Corse : La délibération sur le statut d’autonomie adoptée par les groupes nationalistes et Pierre Ghionga


Nicole Mari le Mercredi 5 Juillet 2023 à 21:57

Après deux jours d’intenses discussions, la délibération commune à l’ensemble des groupes nationalistes et à Pierre Ghionga dessinant l’ossature du futur statut d’autonomie de la Corse a été adoptée mercredi soir à l’Assemblée de Corse par 46 voix pour, 16 voix contre et l’abstention de Josepha Giacometti. La motion du groupe U Soffiu Novu a été rejetée par les Nationalistes. Pierre Ghionga a annoncé qu’il quittait le groupe de droite pour siéger seul.



Les Nationalistes saluent le vote. Photo CNI.
Les Nationalistes saluent le vote. Photo CNI.
La victoire est politiquement incontestable, même s’il aura fallu 48 heures d’intenses tractations pour accoucher d’un texte commun. La délibération, adoptée mercredi en fin de soirée à l’Assemblée de Corse par l’ensemble des groupes nationalistes sur le futur statut de la Corse, marque un point gagnant dans le match à multiples faces et à coups tordus des relations avec Paris. Si d’aucuns au gouvernement ou leurs relais dans l’île tablaient sur une désunion du mouvement national pour torpiller le statut d’autonomie voulu par les Nationalistes, c’est plutôt raté ! Le mouvement national a su, comme il sait parfois le faire sous la pression des circonstances et des militants, mettre ses querelles mortifères sous le boisseau de la nécessité politique et se retrouver sur l’écriture d’une délibération dont ils partagent idéologiquement le fond et la forme. Une délibération co-écrite à plusieurs mains entre le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, la présidente de l'Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, le président du groupe PNC-Avanzemu, Jean-Christophe Angelini, et le président de Core in Fronte, Paul-Félix Benedetti, auxquelles sont venues s’ajouter les contributions de Josepha Giacometti et Pierre Ghionga. Le coup de gueule lors de la dernière session de Paul-Félix Benedetti et l’appel à l’unité nationale de son colistier, Jean-Baptiste Arena, ont porté leurs fruits : les Nationalistes ne pouvaient raisonnablement pas laisser passer le train de l’histoire, même si nul ne sait si ce train arrivera effectivement à bon port. Seul bémol : l’abstention au final de Josepha Giacometti-Piredda. L’élue de Corsica Libera, contributeur individuel, a participé à toutes les réunions, et, après un certain flottement, a fini par faire le choix de s’abstenir, malgré le fait que le texte intègre tous les fondamentaux du mouvement national. 

Une délibération sans ligne rouge
La délibération nationaliste se décline en trois temps et en 24 articles. D’abord, une demande solennelle d’un statut d’autonomie avec la définition dudit statut et de ses objectifs, à savoir un enjeu historique de reconnaissance du peuple corse, de la coofficialité de la langue corse et du lien entre le peuple corse et sa terre pour ouvrir la voie juridique à un statut de résident. Le texte liste aussi des enjeux économiques, social, démocratique, d’équilibre des pouvoirs internes. Ensuite, un cheminement constitutionnel proposé à l’Etat en trois volets : un accord politique avec un préambule, un document d’orientation et une clause de bonne fin, un Titre consacrant l’autonomie de la Corse dans la Constitution et une loi organique reprenant l’accord et les principes d’autonomie. Enfin, la mise en œuvre progressive et concertée du statut d’autonomie et la répartition des compétences avec l’autonomie fiscale et financière et un certain nombre de garanties. « Nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais les discussions ont eu lieu de façon démocratique et sereine. Tout a pu être dit », précise la présidente de l’Assemblée, Nanette Maupertuis. « Cette délibération vient de loin, de 48 heures de travail, de plus d’un an de processus, de notre histoire de plus de deux siècles. Ce rapport co-construit est le nôtre, mais déjà il ne nous appartient plus. Il appartient à tous ceux qui, depuis des décennies, se sont battus pour défendre ce peuple et ses droits », se réjouit le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni. « L’autonomie permettra à l’Assemblée de Corse d’intervenir par voie législative et règlementaire ». La délibération liste des visas « qui rappellent comme autant de pierres blanches d’où on vient », des considérants qui remettent le statut dans le contexte politique français, des garanties. « Toutes les lignes rouges sont dépassées », affirme Gilles Simeoni. Le texte intègre la perspective d’un double référendum, un immédiat pour interroger les Corses et un à 15 ans pour l’interroger sur des perspectives d’évolution.

La conférence des présidents. Photo CNI.
La conférence des présidents. Photo CNI.
Un projet simple et outillé
« Avec une grande humilité et avec une aussi grande fierté que j’assume, au nom de Core in Fronte, la co-rédaction de ce document qui fera date », commente Paul-Félix Benedetti. « C’est avant tout l’écriture d’une histoire d’une Corse qui était condamnée à l’oubli, à la déshérence, à la misère, au non-droit permanent. C’est aussi l’histoire d’une Corse qui, malgré l’absurdité d’une telle condamnation, a cherché à vivre. On doit mesurer ce chemin qui nous conduit ce soir à faire une proposition politique qui n’a jamais été faite en 50 ans de combat à ce niveau-là et qui demande la prise en compte de revendications légitimes. Il serait paradoxal qu’à l’aune d’une telle complétude politique, d’une telle clarté de définitions et de moyens, on nous refuse d’y accéder ». Pour le leader indépendantiste, « On a fait de notre mieux. Ce texte est important, mais simple. Il demande de manière formelle ce qui était demandé il y a 50 ans ». Il évoque « les luttes fratricides qui nous ont empêché d’arriver ». Et estime que « la proposition est à la hauteur de tous les sacrifices qui ont été faits jusqu’à aujourd’hui » Tout en prévenant : «  Je n’accepterai jamais qu’à un cheminement démocratique, on m’oppose du mépris. Nous donnons un cadre constitutionnel pour qu’on ne nous oppose pas une fin de non-recevoir ». Avant de déplorer que « ce soir, sur ce projet d’autonomie outillé, qui retrace ces 50 années difficiles, on n’arrive pas à convaincre tous les nôtres de la réalité de l’enjeu. On ne peut pas accepter que 23 ans après Matignon, les enjeux ne soient pas acceptés par la famille libérale et progressiste ». Et de conclure : « Ce soir, on a montré qu’on avait la capacité de nous réunir et qu’on aura demain la capacité de la gouvernance de la Corse ». 

Un vote enthousiaste
L’élu d’U Soffiu Novu, Pierre Ghionga dit, lui aussi, « ma fierté et ma joie d’avoir participé à ce projet de statut d’autonomie de la Corse. Je voudrais que le statut, qu’on a voté aujourd’hui, ait une traduction rapide dans les faits et qu’on nous laisse la possibilité de faire nos preuves ». Avant d’annoncer qu’il quittait le groupe pour siéger seul. Même satisfaction du côté du PNC-Avanzemu. « On n’avait pas le droit d’arriver à la négociation avec Paris en ordre dispersé. On a travaillé en tant que nationalistes corses, et on a, face à l’enjeu, choisi de co-construire un texte dont on est heureux ce soir. Il y a eu, de notre part, avec détermination, le choix de la convergence. Nous prenons l’exacte mesure de ce que ce pays a subi pendant des décennies, c’est en pensant aussi à cela que nous allons, ce soir, vers un vote favorable ».  Jean-Christophe Angelini salue « un résultat équilibré » et « un moment long de démocratie directe, de sérénité, de travail en commun. La question de ce soir est le projet, pas celle des relations entre les uns et les autres. Ce soir, ce qui importe, c’est de regarder devant nous. Nous n’avons pas la sensation de voter quelque chose de révolutionnaire, c’est ce que vivent des milliers de gens qui ne vivent pas plus mal que notre peuple qui vit dans des difficultés depuis de nombreuses années ». Et d’ajouter, histoire de ne pas laisser filer l’ambiguïté : « Nous ne renions rien de notre identité politique, nous n’oublions rien des circonstances qui nous ont conduit à adopter des positions différentes. Pas d’agrément, pas de reniement, mais la volonté de travailler dans le sens de l’intérêt général et d’œuvrer dans la convergence. Nous voterons avec enthousiasme et humilité ».

L’abstention de Corsica Libera
Josepha Giacometti confirme ce qu’elle avait laissé entendre : « Je ne voterai pas contre cette délibération. J’ai contribué pendant ces deux jours au débat et à l’écriture du texte, un certain nombre d’éléments de ma contribution ont été intégrés, mais ce n’est pas encore à la hauteur des enjeux ». Si elle ne regrette pas ce rapport, elle précise que « trop d’ambiguités demeurent à mon sens sur la coofficialité, la reconnaissance du peuple corse et de ses droits, la liberté de vivre sur cette terre ». Il faut, donc, propose-t-elle, « de jeter les bases d’une nouvelle négociation dans la méthode et le principe ». Elle assure qu’elle continuera à travailler « pour bâtir les conditions d’une convergence et d’un projet véritable ». 


Pas d’accord avec la droite
Avant le retour dans l’hémicycle, une Conférence des présidents, présidée par la présidente de l’Assemblée de Corse, Nanette Maupertuis, et Gilles Simeoni, a réuni, pendant près d’une heure et demie, l’ensemble des présidents de groupe, chacun accompagné d’un autre élu, avec en plus le député Jean-Félix Acquaviva pour Fa Populu Inseme. L’idée était d’essayer de trouver un accord avec le groupe de droite U Soffiu Novu qui demandait « un pacte de non-agression » pour sa motion, c’est-à-dire de ne pas voter contre le texte de l’autre, ce qui revenait à demander que les deux textes soient adoptés par l’Assemblée et donc envoyés de concert à Paris. Une demande inacceptable pour les Nationalistes, non seulement parce qu’elle nie le fait majoritaire, mais parce qu’elle laisse à Paris la main sur le projet à choisir. Et il ne faut pas être grand devin pour comprendre que le choix aurait été vite fait par le gouvernement entre un projet d’adaptation législative, qui ne mange pas de pain, et un statut d’autonomie qui fait exploser les lignes. Le double langage et les manœuvres à peine voilées de certains négociateurs parisiens laissent planer un grand doute sur la capacité du gouvernement à tenir une promesse qui n’a été jetée que pour éteindre un incendie. Dans le même ordre d’idées, on ne voyait pas comment les Nationalistes pouvaient justifier à leurs militants et à la jeunesse que la montagne et le choc de mars 2022 avaient accouché d’une souris ! Cela aurait été politiquement et idéologiquement intenable ! Au final donc, la délibération a été adoptée par 46 voix pour, 16 contre et une abstention.

N.M.