- La Corse s’inscrit à front renversé dans le paysage électoral national en mettant Marine Le Pen en tête du second tour de la présidentielle. Quelle analyse pourriez-vous faire du vote des Corses ?
- L’île a des enjeux particuliers, même si les Corses sont aussi soumis aux réformes nationales du gouvernement et aux décisions du nouveau Président. Elle a une situation sociale particulière, des colères particulières notamment à cause de ce qu’il s’est passé depuis l’agression d’Yvan Colonna. Il faut dire que le quinquennat précédent s’est mal passé. Le cercle insulaire de soutien de Macron en avait déjà fait les frais, puisque Jean-Charles Orsucci n’avait pas fait 5% aux territoriales. Ce qu’il s’est passé le 2 mars, le choc Yvan Colonna n’a fait qu’aggraver les choses. De façon plus générale, Emmanuel Macron est un président qui en faisant éclater le PS, les républicains a construit une sorte de monopole du centre politique, de la modération, il apparaît donc comme l'homme à battre. Tout cela a probablement son rôle à jouer dans le résultat. Je ne suis d’ailleurs pas étonné que Marine Le Pen ait fait ce résultat. On peut constater un rejet de la personnalité d’Emmanuel Macron qu’on ne peut pas minimiser. La Corse n’est d’ailleurs pas la seule île à avoir voté massivement Marine Le Pen puisque dans les Antilles elle recueille 69% des voix.
- Les électeurs corses ont plébiscité Marine Le Pen qui sort en tête dans la majorité des communes. Cette "vague bleue" est due à un rejet de la candidature de Macron ?
- Par rapport à 2017, Emmanuel Macron perd 10%, Marine Le Pen en gagne 10. Il y a beaucoup d’électeurs modérés, des nationalistes, qui ont voté le Président sortant il y a 5 ans et qui ne l’ont pas fait cette-fois-ci, cela me paraît évident. En 2017, Emmanuel Macron a pu apparaître logiquement comme un homme neuf, avec des propos très ouverts lors de sa visite à Furiani. Gilles Simeoni avait, à cette occasion, appelé à voter pour lui au second tour. A partir de sa venue à Ajaccio pour la commémoration de l’assassinat du préfet Erignac en 2018, cela a été une longue série d’incompréhensions, de comportements parfois jugés méprisants vis-à-vis des Corses. Je pense que cela a influencé leur vote. Ce qui est toutefois difficile dans l’analyse du scrutin, c'est que nous n'avons pas d'enquête pour connaître les raisons des voix vers Le Pen. Il y a un vote raciste, ça me paraît évident. Mais il y a aussi des personnes qui voudraient mettre fin à l'immigration mais qui ne voudraient pas forcément que l'on renvoie chez eux ceux qui sont déjà en France, d’autres qui prônent un vote anti-élite, anti-président, anti-Europe et anti-mondialisation. Dans une même ville, selon les quartiers, les raisons de voter Marine Le Pen ne sont pas les mêmes.
- 77 732 voix de Corses voté pour Marine Le Pen, comment expliquez-vous un tel engouement pour l’extrême-droite ?
- Dans ceux qui votent Marine Le Pen il y a des gens racistes, d’autres qui ont vraiment les mêmes idées, qui cherchent des leaders charismatiques, qui sont de vrais nationalistes français. En revanche, je pense que la majorité des électeurs de Marine Le Pen n’est pas de ce niveau de conviction, ils peuvent être plus ou moins intolérants, mais je ne pense pas que ça soit de vrais nationalistes français. Quand on a un vote pour l'extrême-droite aussi important, on s'interroge forcément sur le racisme et l'intolérance au sein de la société Corse. On peut aussi rappeler qu’au niveau national, années après années à la question y a-t-il trop d'immigrés en France, 65% des personnes interrogées disent oui.
- Les Corses ont voté aux élections territoriales de 2015, 2017 et 2021 pour les nationalistes. Aujourd’hui, comment expliquer que ces mêmes personnes votent Marine Le Pen, dont les idées pour l’île sont aux antipodes des nationalistes ?
- Les deux votes sont incompatibles du point de vue des programmes et d’un point de vue idéologique. Rappelons que la semaine dernière, Marine Le Pen a fait un bond de 70 ans en arrière en voulant interdire l’enseignement des langues régionales à l'école. Mais il ne faut pas considérer que les électeurs son cohérents, qu'ils ont des convictions très fortes et qu'ils votent en conséquence. Beaucoup sont peu informés, votent sur un coup de tête ou par défaut parce qu’ils n’aiment pas l’autre candidat. Avec Emmanuel Macron cela a d’ailleurs été assez fréquent. Sur les 77 000 voix pour Marine Le Pen il y a sûrement beaucoup de personnes qui ont voté une liste nationaliste aux territoriales. Ces personnes manquent de cohérence dans leurs choix successifs. Je pense d'ailleurs qu'en Corse, il n’y a qu’une minorité de personnes qui est cohérente politiquement. On voit souvent des gens voter à gauche aux municipales, une liste nationaliste aux territoriales et l'extrême droite aux présidentielles.
- L’appel de Femu à faire barrage à Marine le Pen n’a pas véritablement été entendu…
- Les militants de Femu sont modérés voir à gauche. Je ne pense pas vraiment qu'il y en ait beaucoup qui aient voté Le Pen. Ce qui est certain, c'est que selon moi, les nationalistes doivent réfléchir à la portée de leur discours mais aussi à leurs actions en matière d'anti-racisme. Je pense que le discours de Gilles Simeoni et des autres mouvements indépendantistes a toujours été très clair sur ce point. Le racisme anti-immigrés n'a rien à voir avec le nationalisme Corse et pourtant, il y a un doute persistant sur les porosités entre les deux électorats puisqu'on vote Marine Le Pen aussi bien dans des villes de gauche, que des villes de droite ou nationalistes.