« Nous sommes bergers depuis plusieurs générations, explique Laurent Manenti, producteur à Aleria, . Et moi-même, j’aidais mon père pour les brebis, pour la transhumance… ». Lorsque ce dernier part à la retraite, en 2019, il n’est donc bien sûr pas question d’abandonner l’exploitation familiale. Mais pour ne pas la perdre, il faut lui donner un coup de boost : lui associer une autre activité.
Que faire ? Laurent n’a pas les moyens d’investir lourdement dans une agriculture moderne, mécanisée, à haut-rendement. D’ailleurs, il n’a reçu aucune aide : « J’ai tout fait sur fonds propres ! » En revanche, il est porteur d’une tradition : « Sur l’exploitation, nous avons énormément de plantes aromatiques. Et j’ai hérité un vrai savoir sur ces plantes “nustrale” : nous les avons toujours utilisées pour les animaux, pour nous également. Nous faisions des macérats… Ça, c’est quelque chose… »
Pourquoi ne pas mettre à profit ces connaissances en travaillant sur les bienfaits des plantes et les huiles essentielles ? Nombreuses sont les structures qui, dans l’île, se sont lancées dans le créneau de la beauté : « Il y a plus de 110 marques de cosmétiques en Corse ! ». Un créneau, donc, bien occupé, où l’on trouve des produits de qualité.
Mais Laurent n’est pas seulement un homme de la terre. C’est aussi un sportif qui a fait de la compétition. Qui plus est, il a suivi une formation de préparateur physique : il s’occupe toujours de sportifs qu’il réathlétise, notamment lorsqu’ils sont blessés. Tout naturellement, lui vient l’idée de mettre son savoir et les plantes de sa terre à leur service : « Un créneau qui n’existait pas encore ! »
Il faut toujours partir d’un problème à résoudre
Le projet s’esquisse. Il faut maintenant le mettre en musique. Laurent Manenti suit une formation spécifique en phytothérapie du sport, avec l’objectif de pouvoir créer des formules de soin pour sportifs. Il veut s’attaquer aux tendinites, déchirures musculaires et autres inflammations des athlètes blessés, avec deux orientations : la récupération musculaire et les atteintes musculo-tendineuses. « Il faut toujours partir d’un problème ! En ce qui me concerne, je cherche à résoudre les problèmes des sportifs : se soigner plus vite, récupérer plus vite… » Avec un slogan : « La nature au service du sport ».
Puis vient le temps de faire l’inventaire des plantes existant sur l’exploitation : romarin, nepita, immortelle, lentisque, inule, myrte, millepertuis… on ne les compte plus ! S’appuyant sur une première parcelle dans laquelle il va réaliser des cueillettes sauvages, il concocte des mélanges, fait ses premiers essais, dans un petit laboratoire qu’il a aménagé à côté de son futur local de préparation de commandes… Chaque produit est une synergie d’huiles essentielles.
Des sportifs ambassadeurs de la marque
« J’ai créé un groupe de développeurs : des traileurs, des cyclistes, des footballeurs professionnels… Des sportifs corses de haut niveau… Et même des danseurs… On a eu de tout. Tous les quinze jours, je changeais la formule. Parfois, j’envoyais des placebos ! Et je notais leurs remarques. C’était très enrichissant. J’ai eu de bons retours, parce que les sportifs veulent de plus en plus de produits naturels. » Ces premiers utilisateurs – des gens très influents dans ce monde du sport – sont ainsi devenus les ambassadeurs de la marque : une marque qui va prendre le nom de Noi, “Nous” en langue corse.
« Nous avons pris nos propres graines : c’est primordial ! »
Il faut près de deux ans pour obtenir les coûteuses homologations. Les premiers produits, testés dans des laboratoires spécialisés dans les soins pour sportifs, sortent en juillet 2021 : un gel utilisable avant, pendant et après l’activité sportive ; un baume anti-douleur et réparateur… A la base, quelques plantes connues pour leurs vertus : ortie, ciste, genévrier et bien sûr immortelle.
Et tout de suite, le succès est au rendez-vous : la cueillette des plantes sauvages ne suffit plus à faire face à la demande. Laurent Manenti est conduit à réaliser des plantations pour les deux espèces les plus utilisées : une parcelle d’immortelle ; une de nepita. « Nous avons pris nos propres graines, provenant de l’exploitation. Et nous avons fait nos propres plants. C’est primordial. Parce qu’une plante qui vient d’ailleurs, s’adapte moins. Nous, nous sommes restés sur le même terroir, pour une meilleure qualité de plant et un meilleur rendement. »
Pour les autres essences, c’est toujours la cueillette sauvagequi prévaut, avec des parcours de cueillette élaborés avec soinsur la centaine d’hectares que compte la propriété, et un calendrier de récolte spécifique : « On cueille toute l’année !En septembre ou octobre, c’est la nepita. Puis le romarin… Puis les lentisques… ».
L’immortelle : un investissement en temps très important
Pourtant, c’est la plantation d’immortelle qui représente le plus lourd investissement en termes de temps : « La contrainte, c’est la lutte contre les adventices ! L’essentiel du désherbage est fait manuellement. Ça représente un mois de pioche ! Pour l’instant je fais ça seul. A la rentrée, j’espère pouvoir embaucher un ouvrier à temps plein. » Car bien sûr l’exploitation est classée en agriculture biologique.
Et ne parlons pas de la récolte qui, elle aussi, se fait à la main, à la faucille : une méthode qui allonge passablement les délais. Mais qui a sa contrepartie : « Cela permet une meilleure sélection du plant : on ne prend que les plus belles fleurs… et surtout pas de mauvaises herbes. Et cela préserve le bien-être de la plante : ceux qui utilisent des engins mécaniques coupent souvent trop court ».
Une construction progressive
La distillation des brassées d’immortelles est effectuée chez un prestataire. Puis les produits sont transformés à plus grande échelle dans la ferme cosmétique Realia où Laurent Manentiloue un laboratoire. L’exploitation fournit pratiquement toutela matière première nécessaire : les rares compléments sont achetés auprès de producteurs corses. « On se construit tout doucement, explique Laurent. L’objectif, c’est d’arriver à être 100 % autonome. En travaillant sur du haut de gamme, sur la qualité. Je marge peu : ce n’est pas l’objectif… » Une dizaine de produits sont en cours de développement.
L’entreprise s’appuie sur la vente en ligne, sur ses pages Instagram et Facebook ; mais surtout sur des revendeurs : magasins de sport ; pharmacies proposant des conseils en naturopathie ; boutiques spécialisées en huiles essentielles. Et la croissance semble être au rendez-vous : 70 points de vente diffusent déjà ses produits en Corse, mais aussi sur le continent : Belgique, Suisse, France… Des points de vente en constante augmentation.
« Aujourd’hui, je consacre 90 % de mon temps à ces soins pour sportifs », résume Laurent. Mais il n’a pas pour autant envie de renoncer à ses activités agricoles… et surtout pas à l’élevage des brebis : une tradition familiale qui lui tient toujours à cœur.