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Abattre des porcs à Porto-Vecchio ? "Ca nous changerait la vie", espèrent les éleveurs de la microrégion


le Mardi 6 Février 2024 à 20:10

Le plus vieil abattoir de Corse est à l’étroit à Porto-Vecchio. Construit en 1984, il ne permet pas l’abattage des porcs, obligeant les éleveurs de l’extrême-sud à faire abattre leurs bêtes à plus de deux heures de route de leurs exploitations. La communauté de communes du Sud-Corse veut leur faciliter la tâche en faisant aboutir un projet d’atelier d’abattage porcin à Porto-Vecchio. Mais elle pourrait tomber sur un os…



Maxence Finidori est éleveur de porcs corses à Figari. Deux fois par semaine, l'hiver, il doit partir faire abattre ses bêtes à deux heures et demi de route de chez lui.
Maxence Finidori est éleveur de porcs corses à Figari. Deux fois par semaine, l'hiver, il doit partir faire abattre ses bêtes à deux heures et demi de route de chez lui.
Maxence Finidori est éleveur de porcs nustrale à Figari. Depuis qu’il fait ce métier, c’est toujours la même contraint, l’automne et l’hiver venus : « Ca fait 22 ans que je monte deux fois par semaine à l’abattoir de Bastelica. » L’abattage des porcs a lieu chaque année entre novembre et mars. Et pour la dizaine d’éleveurs porcins de la microrégion porto-vecchiaise, pas le choix : ils doivent conduire leurs bêtes à l’abattoir le plus proche. Celui de Bastelica pour Maxence Finidori. Celui de Ponte Leccia pour Emilie Prigent, éleveuse à Sainte-Lucie-de-Porto-Vecchio. Les deux se situant à plus de deux heures de route de leur lieu d’élevage. « Ca me coûte 150 euros de gazole par semaine. Ca fait cher du cochon… », grimace la productrice de charcuterie de la vallée du Cavu.

Avant de partir, les éleveurs chargent leurs cochons dans une bétaillère, qu’ils remorquent à leur véhicule. Une fois qu’ils les ont fait abattre, ils doivent rentrer à vide, car la loi impose un délai de 24 heures pour faire réaliser les prélèvements vétérinaires sur les carcasses. Le Porto-Vecchiais André-Pierre Jantal décrit la même routine hebdomadaire que ses collègues : « On redescend à chaque fois. Et puis on remonte avec le camion frigorifique pour récupérer les carcasses qui ont été analysées. Certes, ça nous coûte un peu d’essence et du temps mais si je devais passer par un transporteur, ce serait hors de prix… » Pour maximiser ses déplacements, Emilie Prigent envoie ses cochons cinq par cinq à l’abattoir, ce qui lui ajoute une pression supplémentaire : « Derrière, il faut vendre, sinon ça fait des quantités qui vous restent sur les bras. »

Répondre aux souhaits des éleveurs

Alors, « c’est sûr », un atelier d’abattage à Porto-Vecchio améliorerait grandement leur quotidien. Actuellement, l’abattoir de Porto-Vecchio est configuré pour abattre environ 500 tonnes annuelles de bétail. Essentiellement des bovins, des caprins et des ovins. Pas de porcs, à l’exception de quelques porcelets. « Le souhait des éleveurs de la région, c’est d’ouvrir l’abattage à la filière porcine », confirme Laurence Giraschi, la directrice générale des services de la communauté de communes du Sud-Corse. Situé dans une zone industrielle, à l’entrée sud de la ville, l’abattoir est géré par le SMAC, le Syndicat mixte de l’abattage en Corse. Mais ses murs appartiennent à la municipalité qui les a confiés à l’intercommunalité, car l’abattoir a vocation à rayonner au-delà de Porto-Vecchio.

Et il ne pourrait accueillir un atelier d’abattage porcin que s’il est reconstruit ailleurs, car sa configuration actuelle ne permet pas une extension sur site. « On lance les études pré-opérationnelles et l’assistance à maîtrise d’ouvrage », indique Laurence Giraschi, qui espère voir le projet aboutir à l’horizon 2028. Deux terrains ont d’ores et déjà été identifiés pour accueillir le nouvel abattoir. Ces terrains, qui offriraient une superficie plus confortable, sont situés dans la même zone industrielle. En effet, pour une question de raccordement, le futur abattoir devra rester dans le voisinage immédiat de la station d’épuration. 

L'abattoir de Porto-Vecchio est à l'étroit. Pour s'étendre, il faudra déménager.
L'abattoir de Porto-Vecchio est à l'étroit. Pour s'étendre, il faudra déménager.
"C'est complètement ridicule"

Pas possible donc de déménager l’abattoir à 80 mètres d’altitude… comme le requiert pourtant le cahier des charges des trois AOP (appellations d’origine protégée) de la charcuterie corse. « Cette histoire d’altitude, elle est, dirons-nous, discriminante », s’en est agacé Jean-Christophe Angelini, lors du dernier conseil communautaire. En effet, l’abattoir de Porto-Vecchio ne se situe pas à 80 mètres d’altitude. Sur le papier, il n’est donc pas en capacité d’accueillir une filière d’abattage porcine labellisée. Voilà pourquoi le président de l’intercommunalité a sollicité l’INAO, l’Institut national de l’origine et de la qualité, en vue d’obtenir une dérogation. Sans préjuger de l’issue des discussions, le garant des AOP à l’échelon français confirme l’exigence d’abattage à une altitude minimale de 80 mètres : « Cette délimitation fut le fruit d’un travail d’experts, se basant notamment sur l’antériorité de la localisation des unités de transformation, sur des critères traditionnels et spécifiques pour la phase d’élevage et d’engraissement des porcs dans des zones exemptes d’urbanisation et hors littoral, et sur un affinage des pièces de charcuterie en conditions ambiantes exclusivement, soit à une température inférieure à 20°C et avec un taux d’humidité relative supérieur à 60 %. »

Une exigence qui ne passe pas chez les éleveurs de porcs de l’extrême-sud : « C’est complètement ridicule, estime l’un d’eux. Une carcasse ne va pas être modifiée selon que la bête est tuée à 60 ou à 85 mètres d’altitude… » « Si on parlait d’élevage ou de séchage, je comprendrais qu’on exige que ça se fasse à plus de 80 mètres, mais l’abattage ? », s’étonne de son côté Maxence Finidori.

Qu’adviendrait-il si d’aventure l’INAO refusait de modifier le cahier des charges ? « Ce scénario n’a pas été évoqué », tranche, confiante, Laurence Giraschi. Les éleveurs, eux, sont moins confiants : « Sur l’extrême-sud, on doit être une dizaine d’éleveurs de cochons, soit une soixantaine de cochons à abattre par semaine. Sincèrement, je ne crois pas qu’on représente assez, même si j’aimerais bien y croire », lâche, pessimiste, André-Pierre Jantal. Et puis il y a un autre scénario possible : celui qui verrait le nouvel abattoir de Porto-Vecchio se construire, avec sa filière d’abattage porcine, mais qui ferait perdre aux éleveurs le fréquentant leur labellisation AOP. Une éventualité que Maxence Finidori écarte d’un revers de main : « Je préfère encore faire la route. »