Corse Net Infos - Pure player corse
Corse Net Infos Corse Net Infos

CorseNetInfos


Abattoirs de Corse : un schéma territorial et des défis à relever


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Dimanche 8 Janvier 2023 à 11:10

Sécheresse et restrictions d’eau, hausse du prix des aliments, du prix du GNR – le gasoil non routier… et en point d’orgue, dans les derniers mois de 2022, une tension sur les abattoirs insulaires qui pousse la FDSEA à demander officiellement « l’autorisation de tuer à la ferme après une simple déclaration aux Services Sanitaires ». C’est ainsi que, fin novembre, la Corse figure en bonne place dans les médias continentaux, avec un article du Parisien qui prédit des fêtes de fin d’année sans le cabri traditionnel : l’année 2022 pourrait bien faire figure d’annus horibilis pour les éleveurs corses… Dans ce contexte complexe, Corse Net Infos a voulu faire un point à froid sur la situation des abattoirs en Corse, les difficultés rencontrées en 2022 et les perspectives pour les années à venir.



L'abattoir de Porto-Vecchio. Crédit photo smac-corse.fr
L'abattoir de Porto-Vecchio. Crédit photo smac-corse.fr
La Corse compte aujourd’hui cinq abattoirs : Cutuli, Ponte-Leccia, Bastelica, Cuzzà et Portivechju. Les deux premiers sont multi-espèces. Bastelica et Cuzzà sont réservés à la filière porcine. Portivechju, enfin, quoi qu’il soit multi-espèces, n’est dimensionné que pour des besoins de proximité.
Tous n’ont pas non plus le même statut : depuis 2020, Ponte-Leccia et Portivechju sont gérés en régie par le Syndicat Mixte d’Abattage en Corse, le SMAC, dont la mission est de promouvoir et développer l’abattage des animaux sur l’île. Mis en service en 2005, Ponte-Leccia, représente pratiquement la moitié des 49391 bêtes abattues en Corse en 2022, et plus de la moitié du tonnage correspondant. 

Une année atypique ?
L’abattage est une activité très saisonnière qui connaît un pic de novembre à mars. C’est en effet la période qui suit les mises-bas des ovins et caprins, quand les agneaux et cabris sont prêts et qu’il faut les sortir de sous leur mère pour récupérer le lait nécessaire à la fabrication du fromage. 
Mais cette année, tout ne s’est pas déroulé comme prévu : des bêtes tuées généralement en septembre sont arrivées beaucoup plus tard. La forte sécheresse a en effet décalé les mises-bas, générant un goulot d’étranglement en novembre et décembre pour les abattoirs multi-espèces, avec un afflux massif de bêtes à abattre durant cette période. « Nous faisons une prestation de services, explique Toussaint Delair, Directeur des abattoirs de Ponte-Leccia et Portivechju. Mais l’abattoir est un outil industriel au service des usagers. C’est complexe au niveau de l’équipement technique, des hommes, du fonctionnement. Un abattoir est une ICPE, une Installation Classée pour la Protection de l’Environnement. Nous sommes la courroie de transmission entre l’agri et l’agro – l’agriculteur et l’agroalimentaire. Et cette courroie de transmission est le plus gros générateur de déchets de toute une filière ».

S’ajoutent à cette gestion complexe les impératifs sanitaires avec, par exemple, l’obligation, pour les porcins, d’envoyer les analyses avant l’heure de midi… Bref, l’anticipation et la planification des abattages sont des nécessités pour gérer au mieux les hommes et le matériel : « On a essayé d’optimiser la capacité de l’abattoir de Ponte-Leccia ». 


Faire face à l’engorgement de novembre et décembre
Dans ce contexte, l’afflux d’animaux des mois de novembre et décembre a perturbé les fonctionnements, générant ce qu’il faut bien appeler une crise dont ont témoigné de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. « Nous sommes conscients que c’est une année très difficile pour les éleveurs. Mais c’était une situation sans précédent ! explique Toussaint Delair. On a essayé de répondre au mieux de nos capacités, dans le respect de la réglementation sanitaire. Nous avons recruté quelqu’un pour gérer les personnes en attente et les replacer dans les plannings futurs. Pour répondre à toutes les demandes. Sur proposition de notre équipe technique, le SMAC et son Président ont pris la décision de mettre en place des délestages sur d’autres points d’abattage. Nous nous sommes réorganisés pour ne pas que nos usagers se retrouvent dans la situation gênante où on laisserait des agneaux sous la mère alors qu’ils étaient prêts à sortir. Nous avons pu rapidement revenir en conformité. On n’a laissé personne au bord de la route ».
« Le SMAC a mis l’ensemble des acteurs autour de la table, avec le président de l’ODARC, souligne son président Paul-Jo Caitucoli. Et dans cette période de pointe, il faut dire que les gérants des autres abattoirs ont aussi bien joué le jeu ». Pourtant, certains éleveurs n’ont, semble-t-il, pas réussi à faire abattre toutes leurs bêtes : des cas isolés ? 
 

La remontée de Ponte-Leccia
Rendant un hommage appuyé aux salariés et à l’équipe de direction de l’abattoir de Ponte-Leccia –  son directeur mais également la responsable qualité Ghislaine Vincenti et le chef de chaîne Patrick Riolacci –, et insistant sur la pénibilité du métier avec les règles qu’il impose – en terme de respect humain et social des salariés, de respect du bien-être animal et de la qualité qui doit être irréprochable du fait des enjeux en matière de sécurité alimentaire – , le président du SMAC rappelle les difficultés auxquelles l’équipe de Ponte-Leccia a dû faire face pendant la période COVID, alors que l’abattoir de coupe était fermé pour travaux – une interruption qui a duré un an et demi à deux ans. « Une forte pression, avec le quoi qu’il en coûte », qui a fatigué l’équipe, amoindri l’outil, créé des déséquilibres structurels, et qui, au final, a conduit à la dégradation du classement de l’abattoir. Avec un “D” attribué par les services vétérinaires, la structure écope alors de la plus mauvaise note attribuable.  
Mais en août-septembre 2022, après une restructuration et un travail mené sur les procédures et l’encadrement humain, Ponte-Leccia a remonté le classement et s’est vu attribuer la note “B”. De ce fait, les carcasses qui sortent de l’abattoir pourront désormais être transformées en viande hachée. Une excellente nouvelle qui devrait répondre aux attentes de la profession, puisque la viande hachée représente la moitié des ventes de viande bovine : les éleveurs corses ne seront plus obligés, pour qu’elles soient mieux valorisées, d’exporter leurs bêtes sur le continent. La note “A” paraît même un objectif atteignable à court terme, sitôt que différents problèmes structurels auront pu être traités. 
Enfin, pour faire face aux pics, l’abattoir est dorénavant ouvert un jour de plus – le samedi – et un protocole a été signé avec les services vétérinaires pour augmenter progressivement les cadences, afin de les adapter au volume absorbé par l’abattoir, tout en respectant qualité et règles d’hygiène. 
Par ailleurs, la nomination d’ici la fin janvier d’un Directeur général pour le SMAC – cela faisait plus d’un an que le poste était vacant – va permettre de remettre sur le métier des projets en sommeil : comme la formation, en lien avec la Chambre des Métiers, ou la valorisation des déchets et coproduits. La convention d’objectifs signée avec la Collectivité de Corse –stabilisant les moyens techniques, financiers et humains – ainsi que l’évolution des statuts du SMAC vont également renforcer l’efficacité et la réactivité de la structure, avec des conséquences positives pour le fonctionnement des abattoirs. 
Des avancées notables, donc, malgré les difficultés de la conjoncture avec notamment la hausse du prix de l’énergie pour ces structures très énergivores.

 

 


L'abattoir de Ponte-Leccia
L'abattoir de Ponte-Leccia

Adapter l’outil à l’évolution des besoins
Se pose toujours, malgré tout, la question du dimensionnement de l’outil par rapport aux besoins. Et cela d’autant plus que la situation de sécheresse que l’île a connue cet été n’est sans doute pas aussi exceptionnelle qu’il n’y paraît et que les modifications climatiques pourraient bien pérenniser le fort pic saisonnier d’activité qui a mis en difficulté les abattoirs de Corse l’an passé. 
C’est notamment ce problème que devra traiter le futur Schéma territorial d’abattage dont le Comité de pilotage a été mis en place le 6 janvier : six mois de concertation, pour déterminer quels outils seraient à moderniser mais aussi quels outils supplémentaires seraient nécessaires et où, avec une approche globale de la problématique pour l’île… avant un débat à l’Assemblée de Corse pour valider le document. Il s’imposera alors à la profession pour les dix ou vingt prochaines années.


Le schéma territorial d’abattage
Déjà, il est prévu la création d’un nouvel abattoir à Portivechju en remplacement de l’actuel : un projet que porte la Communauté de communes. Une pré-étude a été réalisée, le terrain a été identifié et une étude de faisabilité va être lancée prochainement. Devrait s’ajouter à cela le projet d’abattoir pour petits ruminants de Vescovatu – porté, lui, par l’ODARC. 
La répartition des abattoirs sur le territoire insulaire sera sans doute étudiée dans le cadre du futur schéma. Elle pose en effet question, l’essentiel des structures étant situées dans le sud de l’île alors que le cheptel, en Haute-Corse, est deux fois plus important : ce qui impose aux éleveurs du nord des déplacements importants – avec le surcoût afférent... et bien sûr l’empreinte carbone correspondante. Cette situation est un héritage des années quatre-vingt-dix, analyse Paul-Jo Caitucoli, à l’époque où, au prétexte qu’il existait des abattoirs à Marseille, le ministère avait refusé de donner suite au projet collectif monté par la Chambre d’Agriculture de Corse-du-Sud, les syndicats et la profession, proposant la construction de micro-abattoirs multi-espèces par territoire. Même si la construction des abattoirs de Bastelica, Cutuli et Cuzzà s’est faite par la suite, avec le délai qui convient pour passer du projet à la réalisation, la dynamique s’est arrêtée là. « A première vue, il y aurait nécessité peut-être d’avoir une autre structure dans le nord, estime le Président du SMAC. Mais je ne veux présager de rien. Il ne faut pas anticiper ».
Une fois le schéma élaboré, il faudra sans doute plusieurs années pour le mettre en œuvre.  « Les problèmes vont durer au moins trois ans, conclut le président du SMAC. Il faudra donc s’organiser en concertation avec tous les acteurs… »