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​Cinéma : Allindì nous emmène en Sardaigne


Laurent Hérin le Dimanche 10 Janvier 2021 à 11:21

Lancée à l’été 2020, la plateforme de SVOD corse ne cesse d’étoffer son catalogue. Fortement ancrée sur le territoire, elle fait aussi le choix d’élargir sa sélection de films à la méditerranée. C’est ainsi qu’elle propose depuis fin décembre un film sarde inédit en salle, L’Uomo che comprò la Luna de Paolo Zucca.



La scène du jeu de mourre
La scène du jeu de mourre
Il ne faut pas manquer ce film de Paolo Zucca ! La plateforme Allindì a eu la bonne idée d’aller chercher ce deuxième long métrage du réalisateur italien. L’Uomo che comprò la Luna est une comédie poétique très réussie qui conduit le spectateur dans une sardaigne à la limite des clichés. Mais la force du réalisateur est de savoir rire « avec » et pas « de » ce territoire avec ses codes et ses coutumes. Le pitch : « Un voyage fantasque vers une planète méconnue : la Sardaigne. Sur cette île se cache un homme qui détient la Lune. Après un dur entraînement, le soldat Kevin doit se fondre parmi les autochtones du village de Cuccurumalu et partir en quête d’informations susceptibles de désamorcer un conflit (inter)planétaire imminent. »

A noter la présence au casting de l’immense actrice espagnole Angelà Molina qui a débuté sa carrière chez Bunuel et joué dans une cinquantaine de films et séries. On l’a vu chez Pedro Almodovar, Marco Bellochio ou encore Ridley Scott. A ses côtés, le héros du film est interprété par Jacopo Cullin déjà à l’affiche du premier film de Paolo Zucca, L’Arbitro.

PAOLO ZUCCA © Francesco Piras
PAOLO ZUCCA © Francesco Piras
A l’occasion de sa diffusion sur Allindì, Corse Net Infos a posé trois questions à Paolo Zucca, réalisateur de L’Uomo che comprò la Luna.
 
1. Tout dabord un mot sur votre parcours…
Après des études de Lettre Modernes à l’Université de Florence (et après avoir pratiqué le théâtre ces années-là), j’ai été sélectionné par la Rai pour suivre à Rome un cours de « mise en scène cinématographique ». Cela a été une expérience d’une très grande valeur qualitative, très importante pour moi. Puis, j’ai fréquenté une école de mise en scène, toujours à Rome. En dehors de ces expériences “officielles” de formation, j’ai toujours eu une propension pour la création artistique mais aussi l’implication du travail en commun (et convaincre les autres) dans le but de réaliser des choses d’apparence inutiles. Déjà à l’école primaire je dessinais des petites images et des histoires satiriques, puis j’ai continué avec la photographie, le théâtre et les premiers courts métrages amateurs, puis la pratique m’a dépassé et s’est transformée en un travail à temps plein. Je pense que l’étape décisive de ma carrière cinématographique a été de produire le court métrage L’Arbitro, qui a obtenu une grande reconnaissance (prix du Jury à Clermont-Ferrand et le Premio David di Donatello). J’ai montré le film à Barbara Alberti, une auteure reconnue en Italie, aussi comme personnage de télévision, de là est né un partenariat entre moi, elle et son mari, le producteur Amadeo Pagani. Ensemble nous avons écrit et réalisé mon premier long métrage, L’Arbitro (qui est un prequel du court métrage éponyme) et le second long métrage L’Uomo che comprò la Luna. Actuellement nous travaillons au développement de mon 3e film, adapté d’un roman de Barbara : Vangelo Secondo Maria.
 
2. Pourquoi avoir choisi d’écrire puis de réaliser ce film ?
J’ai commencé à écrire L’Uomo che comprò la Luna pendant le cours de mise en scène à la Rai, il y a plus de 15 ans. J’étudiais alors le modèle narratif nommé “Le voyage des héros” et je voulais essayer d’utiliser ce modèle de façon personnelle : pour le dire vite, mon idée était qu’un protagoniste d’une histoire devrait terminer un voyage et affronter une transformation intérieure qui ne soit pas de type psychanalytique, comme cela arrive dans tous les films américains, mais bien une transformation de type culturelle. Le film a eu plusieurs faux départs et avec le temps la mise en scène a beaucoup évoluée, ainsi la composante personnelle et psychanalytique du protagoniste – qui dans la toute première version était un américain – est en quelque sorte entrée dans le récit. Cela étant, l’idée originale reste bien celle d’un voyage culturel.
 
3. L’utilisation des clichés dans L’Uomo che comprò la Luna a un rôle bien précis et lisible : diriez-vous qu’avec ce film s’affirme, d’un point de vue cinématographique, une “Sardaigne décomplexée” ?
Je me souviens qu’un de mes professeurs de réalisation, Francesco Scardamaglia, menait une reflection sur les archétypes narratifs du “Voyage des Héros”, et cela se nomme “Gardien de la porte” qui joue une fonction d'obstacle au parcours ou à la quête du héro-protagoniste. Ainsi dit, le meilleur moyen pour le héros d’affronter cette “figure”, ou cette entité archétypale, est d’absorber son énergie. Ce concept me touche profondément, parce qu’étant en train d’écrire un film censé raconter ma terre, la Sardaigne, je me suis rendu compte que les clichés, les stéréotypes culturels constituaient un gros problème : ils étaient mes “gardiens de la porte” qui m'empêchait de continuer mon voyage en qualité d’auteur. Cette révélation m’a poussé à choisir de manière radicale (et je le pense décisive au bénéfice du film) : plutôt que de chercher à éviter le champ de mine des clichés et (d’inévitablement) finir par me prendre tout de même les pieds dedans, j’ai préféré affronter de manière totalement assumée TOUS les stéréotypes sardes, utilisant sans la moindre pudeur l’ensemble de leur énergie comique, iconique, identitaire et leur dimension poétique. Je ne sais pas si la Sardaigne, après ce film, est plus décomplexée d’un point de vue cinématographique. Certainement un peu plus légère, et c’est un des éléments que les sardes ont apprécié et récompensé de manière très passionné, dépassant largement mes attentes.