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Assemblée de Corse : Polémique sur les déchets et les tensions entre l’Exécutif et le Syvadec


Nicole Mari le Vendredi 29 Avril 2022 à 19:05

Débat long et polémique, vendredi matin, à l’Assemblée de Corse avec la nouvelle présentation du Plan de prévention et de traitement des déchets, remanié avant sa mise en enquête publique. Ce plan reste fixé sur les grands principes de l’Exécutif nationaliste, notamment la gestion publique et le renforcement du tri à la source, la valorisation des biodéchets et la création de centres de tri. L’opposition, par la voix des élus locaux, a renouvelé son inquiétude sur le coût et la difficulté de mise en œuvre pour les intercommunalités de la collecte des biodéchets. Avec un chjami e rispondi enflammé sur les relations tendues entre la Collectivité de Corse et le Syvadec.



L’hémicycle de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
L’hémicycle de l’Assemblée de Corse. Photo Michel Luccioni.
Le dossier est brûlant, l’inquiétude vive et les postures politiques, voire dogmatiques. Comme on pouvait s’y attendre, le Plan remanié de prévention et de gestion des déchets, proposé par l’Exécutif, a provoqué de vifs débats, vendredi matin, à la reprise de session de l’Assemblée de Corse. Et, pas seulement dans l’opposition de droite qui s’y oppose farouchement depuis sept ans. Pourtant le Plan n’a, en lui même, rien de surprenant. Il s’inscrit dans la droite ligne des fondamentaux nationalistes en matière de traitement des déchets et des textes votés depuis fin 2015, notamment la dernière délibération du 16 février 2021.
 
Des grands principes
Le nouveau texte, qui intègre ledite délibération et répond aux mises en garde préfectorales et aux nouvelles contraintes juridiques, reste axé sur les grands principes : une gestion publique des déchets, considérée comme le plus sûr rempart contre les logiques privées et les dérives spéculatives et mafieuses. La territorialisation des unités de traitement et de valorisation avec une recherche en cours de terrains sur six territoires, et le développement de l’économie circulaire. Le renforcement du tri à la source est érigé en axe stratégique majeur avec une priorité donnée au déploiement du système de collecte en Porte à Porte (PAP). Priorité également au détournement et à la valorisation des biodéchets avec des centres dimensionnés aux objectifs de tri. Sont prévus, aussi, la création de centres de tri « multifonctions » pour améliorer la valorisation matière et réduire l’enfouissement, ainsi que l’ouverture de centres publics et territorialisés de stockage de déchets ultimes. « C'est un plan extrêmement important puisqu'il va conditionner les 6, voire 12 années à venir. Il s'appuie sur une réglementation extrêmement exigeante et deux principes forts : la gestion publique des déchets et l’axe novateur de la territorialisation », déclare Guy Armanet, conseiller exécutif et président de l’Office de l’Environnement (OEC).

Des contrats de territoire
En termes de collecte, l’Exécutif est résolu à « déclarer, de manière très agressive, la guerre aux biodéchets, et essayer de les sortir de nos poubelles ». Une campagne est en cours avec une expérience sur des électro-composteurs qui « nous amènera à terme à avoir des résultats probants ». Le tri à la source « performant » s’appuie sur le trépied : collecte au porte à porte partout où c’est possible, tarification incitative et redevance spéciale pour un service au « juste coût » pour les ménages et les entreprises, territorialisation des solutions de traitement favorisant la proximité, la réduction des transports et l’impact carbone. L’idée est aussi d’obliger chacun des acteurs - Syvadec, État, intercommunalités, citoyens et entreprises - à assumer ses responsabilités. « D’un point de vue organisationnel, pour que ce plan réussisse, chacun devra, en l’état actuel de la répartition des compétences, jouer pleinement son rôle. La synergie entre acteurs est une condition sine qua non de la réussite du plan ». Le souhait, précise le président de l’OEC, est que « l’intercommunalité devienne l'acteur principal de nos actions à venir. Les intercos auront des missions à accomplir. Il faudra qu'elles nous donnent des sites constructibles où permettre au Syvadec d'aller plus loin sur la démarche de plate-forme de compostage, de centre de méthanisation et de stockage... C'est le cœur du problème ! Les choses se décantent favorablement… Elles devront également mettre en place une redevance spéciale. Il n'est pas normal que les citoyens paient les mêmes redevances que les professionnels ». L’Exécutif propose, donc, de contractualiser avec les EPCI sur des contrats d’objectifs et de moyens avec un engagement sur 6 ans en échange d’un soutien technique et d’incitations financières allant jusqu’à 80% en investissement. Avec néanmoins quatre prérequis : désigner deux sites constructibles capables d’accueillir des installations de traitement par compostage et de récupération/réparation/réemploi des déchets, instaurer une redevance spéciale non forfaitaire pour les professionnels et une tarification incitative. Et bien sûr,, mettre en place la collecte des biodéchets sur leur territoire.
 
La question du coût
Le débat entre tout de suite dans le vif avec une première série de questions de l’opposition sur deux éléments épineux : le coût et la place du public et du privé. « Je voudrais qu'on nous dise clairement quelle forme va prendre l'intervention publique, quelle va être la répercussion de cette intervention sur le coût et sur le prix et sur les taxes payées par les contribuables, et quelle place sera celle du privé ? », demande Paul Quastana pour Core in Fronte. Des interrogations reprises par Antoine Poli, élu du groupe PNC-Avanzemu. « Je ne suis pas convaincu que vous répondez aujourd’hui à nos préoccupations. Quelle est réellement votre volonté ? Est-ce l’affiche d’une gestion publique ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi ne pas laisser les initiatives privées ? ». Le président de la ComCom de Castagniccia-Casinca insiste sur le coût inflationniste des déchets : « Les coûts ne sont pas près de diminuer. Si nous ne sommes pas plus performants, cela ne fera que s’accentuer. Dire à la population que le tri fera diminuer les coûts est faux. Les Intercos ont besoin de plus de soutien financier, elles vont avoir du mal à supporter de nouveaux coûts ». Il pointe aussi le « manque de visibilité sur le traitement d’urgence ». Et déplore les mauvaises relations entre la Collectivité de Corse (CDC) et le Syvadec : « Nous avons l’impression d’assister sans cesse à des disputes, des querelles, et nous, EPCI, en subissons les conséquences. Notre souhait est de travailler ensemble  ».

Marie-Thérèse Mariotti. Photo Michel Luccioni.
Marie-Thérèse Mariotti. Photo Michel Luccioni.
Remercier le Syvadec
La polémique monte d’un cran avec la droite qui livre depuis sept ans une guerre de tranchées à la stratégie nationaliste. « C’est le dossier qui empoisonne le plus la vie des Corses, la vie des élus et les finances des Interco. Nous avons eu des plans avortés, des crises à répétition, et ça fait sept ans, depuis votre accès aux responsabilités, que, dans cet hémicycle, nous débattons du plan. Si on ne travaille pas tous ensemble, on n’y arrivera pas, cela exige des choix clairs, réalistes et responsables, c’est le principe de réalité qui s’impose ! Si on veut éviter la farce de 2020-2021 et éviter de refaire les mêmes erreurs, c’est louable.  Il faudra corriger un certain nombre d’erreurs d’approximations qui risquent d’influer considérablement sur nos choix. Notre but est d’arriver à un document le plus fiable possible », débute Marie-Thérèse Mariotti. Le ton s’enflamme avec Xavier Lacombe, maire de Peri, qui se lance brusquement dans une apologie du Syvadec : « La politique des déchets se définit ici. Le Syvadec a la compétence du traitement, et les Interco, celle de la collecte. Il faut arrêter la guerre et les postures. Qui les a pris ? C’est votre majorité », lance-t-il à Guy Armanet. « Il faut remercier le Syvadec. Qui évite la crise des déchets ? Ce n’est pas la CDC, mais c’est bien le Syvadec. Les centres publics ont été fermés. La politique des déchets a complètement échappé à la puissance publique. Où sont les projets ? On se pose les vraies questions ou on est dans les nuages ? C’est vrai qu’on partait de loin, qu’on a fait des efforts, mais on n’a pas avancé beaucoup. C’est trop approximatif, un peu plus de pragmatisme. Qui paye ? Les contribuables corses ! En 2015, nous étions mal barrés et nous avons perdu 7 ans. Demain, nous aurons encore des crises de déchets, et il y aura la même ritournelle : c’est la faute du Syvadec ? Non ! C’est la faute de la CDC ! Il faut dire aux Corses : vous allez payer encore plus cher ! Concrètement, il n’y a pas de solution sur la table : nous le regrettons parce que c’est en Corse le problème n°1 ». 
 
Incinérateur ou pas ?
Si le rapport est conforme à ses attentes, l’opposition nationaliste s’attache au respect de ses fondamentaux, traquant le moindre détail et interprétant « entre les lignes », selon le mot du président du groupe Core in Fronte. Paul-Félix Benedetti y voit le spectre d’un incinérateur : « On peut avoir l’acceptabilité de la loi et d’un centre de surtri, alors qu’il n’y a aucune obligation de valoriser les déchets industriels. Vous validez une enveloppe de 119 millions € pour un incinérateur de 143 000 tonnes. On ne peut pas valider de tels montants ! C’est impossible ! Vous validez la stratégie de Veolia, Suez, de Vinci… alors que votre doctrine est de faire du public, mais on ne peut pas faire du public à 231 millions €. J’espère que ce n’est que le bureau d’études qui le dit ! Je sais que ce n’est pas votre position. De toute façon, on ne vous laissera pas faire ! Ne laissons la porte ouverte à des logiques opérationnelles qui nous dépassent et à des opérateurs qui n’ont rien à faire en Corse ». Il précise partager peu de choses des avis de la Préfecture qui a retoqué le rapport. Un credo repris par Josepha Giacometti, élue de Corsica Libera : « Il faudra dire clairement ce que nous ne voulons pas. Il y a une surinterprétation de la loi et des critiques des préfets. Attention au surdimensionnement d’un certain nombre de données ! Nous devons dimensionner strictement les tonnages, ne pas obérer la logique de prix, mettre beaucoup de moyens dans les logiques vertueuses pour couper le bras à des logiques spéculatives. Il y a des mauvais projets, néfastes pour la Corse, qui prospèrent, le choix ne peut être laissé à des commissions, l’intérêt général est trop livré aux appétits voraces des intérêts privés ».

Un procès d’intention
La majorité territoriale monte au créneau en réaction, mais sur le même mode. D’abord explicatif : « Ce dossier est d'une importance politique majeure pour la Corse. Il soutient une économie circulaire, une approche territorialisée et adaptée, une réduction du gaspillage alimentaire, la création d'emplois, l'émergence de nouvelles filières, et une réduction de l'empreinte carbone avec le développement du transport par train. Et tout cela avec une maîtrise publique, afin d'assumer nos responsabilités, et de préparer l'autonomie de plein droit et plein exercice que les Corses ont acté très largement », indique  Ghjuvan Santu Le Mao. Puis virulent avec Louis Pozzo di Borgo. Le président de la CAB n’apprécie pas du tout « la distribution de bons points pour le Syvadec et le bonnet d’âne pour l’Exécutif. Le Syvadec ne peut pas être le lit de consolation des échecs électoraux passés ! Il a été créé au service des Intercos qui le composent, quand la CAB demande quelque chose, c’est automatiquement refusé, ce n’est pas possible ! Il y a une majorité territoriale, le Syvadec ne peut pas être en opposition systématique avec la CDC. En écoutant ce qui se dit, on peut douter qu’on prend un chemin vertueux ». L’élu de Fa Populu  Inseme s’inscrit en faux contre les critiques : « Chaque fois qu’on propose une solution, immédiatement on y oppose un problème ! La gestion des déchets, c’est de la responsabilité de tous les élus parce que personne ne veut une solution de déchets sur son territoire ! Personne ne veut un Viggianellu ou un Tallone ! Les Interco ont jusqu’à 250 000 € d’aide au fonctionnement, c’est nouveau ! Noircir le trait, ce n’est pas acceptable ! Je ne peux pas laisser faire ce procès ! On n’a jamais validé un incinérateur, on ne peut pas dire ça. ! On ne peut pas raconter n’importe quoi ! On ne peut pas laisser dire que le Syvadec fait tout et la CDC rien !  Nous avançons pas à pas. Dire qu’on ne fera rien et qu’aucun centre ne sortira d’ici 7 ans, ce n’est pas responsable ! Le Syvadec ne peut pas marcher sur les plates bande de la CDC, chacun doit rester dans ses compétences. Remettons les choses à leur juste place et arrêtons de faire des procès d’intention ! ». Nadine Nivaggioni  lui emboîte le pas : « Penser qu’on valide un incinérateur, c’est qu’on est fou ! Le coût des CSR est excessivement cher. Vous pensez bien qu’on ne va pas se mettre un incinérateur ! Ça va juste faire du buzz dans les journaux ! Nous ne voulons plus des grands centres de stockage comme Viggianellu, on ne va pas nous accuser de choses qui n’ont jamais été portées par l’Exécutif. A partir du moment où on va trier les biodéchets, il ne restera plus que les déchets inertes, ça change tout. Il n’y aura plus de raison de ne pas accepter les déchets inertes de son territoire. Le tournant est considérable ! »

Le Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Le Conseil exécutif de la Collectivité de Corse. Photo Michel Luccioni.
Des postures ridicules
Le président de l’OEC repart sur une nouvelle séquence d’explications plus musclées, fait part de sa surprise et lève les ambiguïtés : « On a un problème : ce qui coute 1 € sur le continent, coûte 2,5 € en Corse. Le projet de Monte coûte le double de ce qui a été planifié. La solution idéale serait de valoriser sans machine ! Restons lucide et abordons les problématiques entre personnes responsables ! Public-privé ? Pour nous,  c’est clair, c’est le public ! Le Syvadec devrait gérer lui même les centres ! ». Et de rétorquer aux élus locaux d’opposition : « Pourquoi vous payer plus et toujours plus ? Posez la question au Syvadec ! Je ne suis pas le Syvadec ! Poser la question à qui de droit ! Sinon, on va se perdre, on ne va pas s’entendre, essayons de sortir de ces postures ridicules, arrêtons d’être des diablotins ! Je ne donne de leçons à personne, mais je ne m’en laisse donner par personne ! Nous nous sommes vus opposer des fins de non-recevoir du Syvadec sur les composteurs ! Nous avons fait 18 mois de réunions sans que personne n’en parle ! On pourrait se contenter de faire le plan et de dire au Syvadec : débrouillez-vous avec le traitement ! Il faut parler clair. Je fais signer des conventions, je ne suis pas obligé, ce n’est pas mon rôle, mais je le fais parce que c’est un problème pour la Corse ». 
 
Un jeu de compétences
Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, remet la question des déchets dans son contexte. « C’est un enjeu fondamentalement politique partout dans le monde, particulièrement dans une île. Le problème des déchets, nous le rencontrons tous, comme citoyens, élus et Corses. Le système global n’est pas vertueux et affiche des surcoûts dont certains sont identifiés et d’autres ont des causes plus opaques. Aujourd’hui, on paye 400 € là où ailleurs on paye 100 €. Veut-on identifier les causes et les faire cesser ? ». Il rappelle tout aussi fermement que « la situation de blocage vient du fait qu’il n’y a jamais eu de tri significatif. On a enfoui dans des centres, dans un système irrationnel qui fait qu’on produit des déchets à Bastia et qu’on les envoie à Cargese pour les traiter ! La solution d’urgence, on la connaît ! L’absence d’exutoire, ce n’est la faute de la CDC ! Trouver un centre de stockage, trouver un terrain, ce n’est pas la compétence de la CDC, il faut que les Corses l’entendent ! La réalité, c’est que si la CDC décide de centres, c’est aux Syvadec et aux Interco de les trouver. Les surcoûts actuels, c’est que le système n’a pas changé et que ceux, qui l’ont en charge, ne l’ont pas fait changer. Il n’y a pas de tri ! Il faut des centres avec de la gestion publique, mais pour cela, il faut des terrains, mais les terrains, on ne les a pas. Cela devrait être le travail uniquement du Syvadec ». Il confirme qu’un certain nombre de communes et d’intercommunalités ont délibéré et sont prêtes à entrer dans une logique de territorialisation. « On l’a fait admettre au nouveau préfet. Les territoires veulent des garanties, d’où la contractualisation. On propose de financer à 80%, on a budgétisé 10 millions € cette année, ce n’est pas notre compétence, mais on le fait ! C’est une avancée significative ». Avant de conclure sur la nécessité de revoir l’organisation institutionnelle : « le Syvadec ne fonctionne qu’imparfaitement. On ne sait pas qui fait quoi ! Notre vision va vers la simplification ». L’Assemblée de Corse a pris acte, sans vote. 
 
N.M.