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Présidentielle - Yannick Jadot : « Il est temps de faire confiance aux Corses en leur donnant un véritable statut d’autonomie »


Nicole Mari le Lundi 31 Janvier 2022 à 21:55

Autonomie politique, énergétique, alimentaire, rapprochement des prisonniers, relation apaisée entre la Corse et Paris… Lors de son étape éclair lundi à Bastia, le candidat EELV à l’élection présidentielle, Yannick Jadot, a présenté son projet pour la Corse, qui s’inscrit dans son projet pour la France – Ecologie et justice sociale -, et réaffirmé sa fibre régionaliste. Entouré du député européen, François Alfonsi, de la secrétaire régionale EELV, Leslie Pellegri, et d’Agnès Simonpietri, tête de liste Ecologia Sulidaria aux dernières élections territoriales, il a rencontré, dès son arrivée, le président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni. Une rencontre très amicale qui a pris acte des points de convergence, mais sans obtenir le soutien attendu. Entre un déjeuner avec les Verts locaux et une balade dans les rues de la ville et sur l’Aldilonda, le candidat s’est expliqué.



Yannick Jadot, candidat EELV à l’élection présidentielle, en campagne électorale à Bastia.
Yannick Jadot, candidat EELV à l’élection présidentielle, en campagne électorale à Bastia.
- Vous avez rencontré Gilles Simeoni. Vous êtes venu solliciter son appui, vous l’a-t-il donné ?
- Je ne suis pas venu solliciter l’appui de Gilles Simeoni. Avec Gilles, on se connait depuis longtemps. Vous savez l’ampleur des convergences que nous avons sur le régionalisme, sur l’enjeu de l’écologie, de la justice sociale… Donc, je suis venu présenter à Gilles mon projet pour la France et la perspective extraordinaire, que nous pouvons avoir, de redéfinir en cinq ans la relation entre l’État français et la Corse. Il y a une opportunité historique de créer une nouvelle relation entre la France et la Corse dont le président Macron ne s'est malheureusement pas saisi. Il faut sortir d'une relation de défiance pour être dans une relation apaisée, dynamique, une relation qui fait confiance à la Corse et à ses élus.
 
- Quels sont les points de convergence avec Gilles Simeoni ?
- Nous sommes d’accord sur la perspective d’un statut d’autonomie de plein droit et de plein exercice. Nous sommes d’accord sur le rapprochement des prisonniers. Je l'ai déjà dit, il faut que le droit s'applique. Nous sommes d’accord sur la perspective d’autonomie énergétique qui est un enjeu environnemental absolument essentiel pour la Corse. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il va falloir discuter des nouvelles compétences des régions en général et de la Collectivité de Corse en particulier. Il y a un tel retard sur les infrastructures, l’eau, la gestion des déchets, des routes… Il y a aussi la nécessité de retrouver un contrôle public, y compris de la continuité territoriale sur les transports qui est un enjeu majeur. Il va falloir discuter, à la fois, des compétences de l’État qui doivent rester évidemment, des compétences communes et puis des compétences exclusives qu'on doit renforcer pour la Collectivité de Corse. Malheureusement avec Macron, il y a eu un recul en termes de fiscalité dynamique pour les collectivités, ça ne peut plus durer ! Quand on demande autant aux collectivités, quand il est autant essentiel que les collectivités soient au cœur des infrastructures, des services publics, de la justice sociale, du développement économique, ça ne peut pas être en les sous-dotant financièrement. Il faut que les régions aient leurs ressources propres.  
 
- Plus d’autonomie est-ce aussi valable pour les autres territoires ?
- Bien sûr ! Vous savez à quel point nous sommes régionalistes ! Nous considérons qu’on ne peut pas remplacer aujourd’hui la technocratie libérale, qui dirige ce pays depuis Bercy, l’Élysée ou Matignon, par une technocratie verte. Nous faisons confiance aux acteurs de terrain, aux élus, aux collectivités, aux acteurs associatifs, économiques, aux salariés, aux citoyens. Pour le plan de relance, on a recruté à tire larigot des sous-préfets pour dire aux collectivités comment dépenser l’argent de la relance ! C’est complètement dingue ! Il faut qu’on fasse confiance aux territoires, donc il faut que l’État mette des moyens et des compétences à l’échelle des territoires pour que ceux-ci s’emparent de leur destin, choisissent leur transition, mais cette transition ne peut pas aller contre le climat, contre la biodiversité et contre les principes de liberté-égalité-fraternité et de justice sociale. C’est comme cela qu’on prendra nos vies en main, en redonnant une perspective collective, en permettant à chacun de vivre dignement. Je peux vous assurer qu’ainsi, nous ferons reculer l’Extrême-droite de manière très rapide parce que l’Extrême-droite se nourrit de la désespérance, essaye de manipuler les angoisses, les peurs, les colères en panique identitaire. Nous, nous redonnerons de la confiance, de la fraternité et une perspective collective à notre pays.

Yannick Jadot à son arrivée à l'aéroport de Poretta, accueilli par François Alfonsi.
Yannick Jadot à son arrivée à l'aéroport de Poretta, accueilli par François Alfonsi.
- Vous parlez d’autonomie énergétique. De quelle façon comptez-vous développer des énergies plus vertes en Corse ?
- Deux régions à forte identité régionale, culturelle et linguistique - la Bretagne et la Corse - n’ont pas de centrale nucléaire. Cela dit bien que lorsqu’on est attaché à son territoire, on n’est généralement pas favorable au nucléaire. L'enjeu premier, c’est l’économie d’énergie. C’est la priorité des priorités ! C’est aussi une priorité de pouvoir d’achat. Investir massivement, comme dans notre projet et comme c’est la volonté de la Collectivité de Corse, sur l’isolation des logements en commençant par les passoires énergétiques et les endroits où habitent les familles les plus en difficulté, en prenant en charge à 100% ces programmes de rénovation, c’est du pouvoir d’achat, de la santé et du confort. C’est avoir moins froid l’hiver et moins chaud l’été. C’est la base de départ. Et puis, il faut accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Je soutiens le projet corse de l’autonomie énergétique parce qu’il est de loin la meilleure solution. Il faut fermer la centrale d’Ajaccio qui est très polluante et la remplacer par le système de biogaz qui est le moins polluant. Il faudra, pendant la transition, une centrale d’appoint au gaz, en espérant que le gaz puisse venir rapidement.
 
- Vous pointez « un tel retard » de la Corse notamment sur les déchets. Comment le rattraper ?
- Il n’y a pas de solution si on n’attaque pas le problème à la source. Pardonnez-moi, la Corse est en retard sur ses obligations ! Donc, toutes les politiques, qui se mettent en place pour rattraper le retard de la Corse en matière de tri à la source et de réduction des déchets à la source, sont essentielles. De toute façon, dans mon projet, il y a un énorme investissement sur les emballages, les consignes de verre et la suppression du plastique. La France produit 1 million de tonnes de plastique par an. Il faut réduire drastiquement ce plastique par du vrac dans les magasins et trouver les dispositifs de gestion en aval des déchets qui restent. Ça a toujours été la prose des Ecologistes. Il ne s’agit pas, quand on est une intercommunalité, une agglomération ou une collectivité régionale, de donner le pouvoir de traitement des déchets à des entreprises qui se placent en situation de monopole et qui ont intérêt à ce qu’il y ait toujours plus de déchets. C’est totalement incompatible avec l’objectif premier de réduction à la source. Donc, il faut que la puissance publique reprenne la main.
 
- En Corse, la chasse est un sport national, et vous parlez de l’interdire. Vous êtes assez clivant sur le sujet ?
- Non ! J’espère que le sport national, c’est le foot ! J’ai soutenu Bastia et Ajaccio, c’était les clubs de mon enfance, même si je suis, depuis toute ma vie, pro-St Etienne... Les objectifs auxquels on doit répondre sont tellement importants, ils concernent tout le monde. On ne luttera pas contre les pesticides, si on n’a pas les agriculteurs avec nous. On ne luttera pas contre la surpêche, si on n’a pas les pêcheurs avec nous. On ne luttera pas contre le dérèglement climatique, si les entreprises ne font pas leur part. Et, on peut multiplier les exemples à l’infini… Il y a des pratiques de chasse. Je n’ai pas parlé d’interdire la chasse de manière définitive, générale, totale. Je dis simplement qu’il faut que chacun puisse accéder à la nature, qu’il faut qu’on puisse vivre la nature collectivement.

Yannick Jadot et les Verts corses devant le siège de la Collectivité de Corse à Bastia.
Yannick Jadot et les Verts corses devant le siège de la Collectivité de Corse à Bastia.
- Vous avez bénéficié en Corse d’un soutien pour les Européennes, mais au vu des précédentes Présidentielles, pensez-vous que le projet écologique peut trouver un écho ?
- L’écologie a toujours été au cœur de la politique en Corse. En Corse comme en France, on est attaché à son territoire. Il y a incontestablement ici un peuple corse qui a une histoire, une langue, une culture, une fierté, ce qui est parfaitement légitime et qu'il faut reconnaître aussi. Il faut, par exemple, qu’on expérimente en Corse, selon des modalités à trouver, les moyens de lutter contre la spéculation foncière pour que la continuité territoriale n’en fasse pas qu’une île de beauté touristique, ça me paraît totalement légitime et essentiel. Quand on parle agriculture et alimentation, culture paysanne, circuits courts, quand on parle d’une alimentation qui fait plaisir, parce qu’elle est bonne plutôt que d’une alimentation qui nous rend malade, quand on parle d’énergies renouvelables, d’isoler les logements, de service public fort, de réaménager l’ensemble de notre territoire… c’est extrêmement important, surtout sur une île, d’avoir de l’économie locale. Je souhaite, dans cette relation nouvelle que nous mettrons en place avec la Corse, pousser toutes les logiques d’autonomie : autonomie politique, autonomie économique, autonomie énergétique, autonomie alimentaire. La Corse n’a pas vocation à être une île où l’on importe à peu près tout ce dont on a besoin. C’est un grand projet pour la France, c’est un grand projet pour la Corse ! Je fais confiance aux Corses comme je fais confiance aux Français.
 
- Justement, vous avez obtenu la mention « assez bien plus » à la Primaire populaire. Quelle est votre réaction ?
- J’aurais aimé passer en CM2, je reconnais ! Cette primaire s’était fixée deux objectifs : réduire le nombre de candidatures à gauche et mettre l’écologie et la justice sociale au cœur de la campagne présidentielle. Je pense malheureusement, malgré la sincérité de beaucoup de personnes qui y ont participé, que le résultat ne répond ni à l’un, ni à l’autre objectif. Christiane Taubira avait pris l’engagement de ne pas ajouter une candidature en plus, elle est candidate, mais au fond cela devient un problème entre Socialistes ! Moi, je suis issu d’une primaire citoyenne. Au dernier scrutin national qui a été les élections européennes de 2019, les trois listes écologistes - celle que je portais, celle soutenue par Benoit Hamon et celle de Delphine Batho – ont fait collectivement 19 %, la liste socialiste a fait 6 %. Aujourd’hui, les Socialistes ont plusieurs candidats, ils règlent leurs comptes du quinquennat Hollande, de 2002, leurs comptes entre frondeurs, c'est leur problème, ce n'est pas le mien !
 
- Peut-on considérer que c’est un bon résultat vu que vous n’étiez pas candidat ?
- Ah oui ! Je suis le premier candidat qui ne voulait pas faire cette primaire. Je ne sais pas comment on doit l’interpréter ! Cela fait des semaines que cette primaire plombe l’espace politique ! J’espère maintenant qu’on va pouvoir réellement faire campagne et porter notre projet qui est spécifique. Je l’ai dit : c’est l’écologie et la justice sociale. Il n'y a personne d'autre qui fait ça ! C’est le seul projet qui, à la fois, affronte les grands défis - climat, biodiversité - et qui fait de ces grands défis, pas simplement une menace à laquelle il faut échapper. 2022 est un moment crucial pour notre pays, pour l’Europe, et pour le reste du monde. Sur le climat, on n’a pas cinq ans, ni 10 ans avant d’agir, c’est immédiatement ! Et nous en faisons un levier extraordinaire de justice sociale ! Nous réduisons les dépenses contraintes - chauffage, électricité, transports, alimentation, logement - nous augmentons un certain nombre de salaires, nous mettons en place le revenu citoyen. Nous prenons l’engagement d’éradiquer la grande pauvreté dans notre pays. Personne n’a jamais mis en place ça ! C’est un formidable projet !

Sur le Vieux port à Bastia.
Sur le Vieux port à Bastia.
- Pourtant EELV porte une idéologie qui apparait à certains assez punitive ? Peut-elle inclure tout le monde ?
- Ce qui est punitif aujourd’hui dans notre pays, c’est le dérèglement climatique. Parlez-en aux paysans, à ceux qui essayent encore de bosser dans les stations de ski de petites ou de moyenne altitude, à ceux qui ont froid l’hiver ! En ce moment, 12 millions de Français ont froid l’hiver et très chaud l’été. C’est l’inaction de tous les gouvernements précédents, comme de celui-ci, qui punit. Ce qui va nous sortir de la punition, c’est justement le projet écologiste parce que c’est un projet de mieux vivre, de confort, de santé, de solidarité, d’entraide… et c’est tout ça dont on a besoin aujourd’hui. L’écologie est la meilleure alliée du pouvoir d’achat, du grand retour des services publics, de l’augmentation des salaires, de ceux qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. C’est en même temps un grand projet d’innovation économique, industriel, de relocalisation de l’économie.
 
- Quel est votre objectif maintenant ?
- C’est de démontrer que 2022 est un rendez-vous absolument dramatique au regard du dérèglement climatique qui nous tombe déjà dessus. Si la France n’agit pas maintenant, elle fera une faute politique et morale majeure. Lutter contre le dérèglement climatique, c’est un fantastique projet de mobilisation, d’enthousiasme, d’innovation, de réconciliation, un grand défi pour nous et pour notre jeunesse. Je suis parfaitement lucide et humble sur ce défi. J’ai parfaitement en tête qu’il faut rendre l’écologie crédible sur l’ensemble d’un programme de gouvernement. Je n’aborde pas cette élection en disant : on a tout réglé ! Ma conviction, c’est qu’un pays qui n’affronte pas les grands défis du siècle, le climat et la biodiversité, qui met de côté sa justice sociale, qui cultive la division, les polémiques, les invectives, met en scène des boucs-émissaires, ne peut pas continuer. Pour Zemmour, ce sont les musulmans. Pour Le Pen, ce sont les immigrés. Pécresse veut utiliser le Karcher et nettoyer les quartiers des zones de non-France, cela s’appelle du nettoyage ethnique. Macron fait des non-vaccinés les boucs-émissaires de l’échec de sa politique de santé et des difficultés de l’hôpital public… Eh bien nous, nous ne chercherons pas de bouc émissaire. Nous proposerons des solutions crédibles, sérieuses au Français. On rentre dans la campagne électorale et dans la confrontation des projets. Les enquêtes les plus sérieuses montrent que quasiment la moitié des Français, aujourd’hui, ne savent pas pour qui voter et qu’un tiers de ceux qui savent déjà vont peut-être changer de vote. Notre projet va rencontrer l’adhésion des Français.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Gilles Simeoni : « Je cherche à défendre les intérêts de la Corse, à les faire prendre en compte dans le débat présidentiel »

Yannick Jadot et Gilles Simeoni.
Yannick Jadot et Gilles Simeoni.
Interrogé à l’issue de sa rencontre avec Yannick Jadot, Gilles Simeoni a refusé de prendre position. « Ce n'était pas l'objectif de la rencontre de ce matin », a-t-il commenté. « Je pense qu'en ma qualité de président du Conseil exécutif de Corse, je n'ai pas à apporter un soutien ou à engager ma signature. Je cherche à défendre les intérêts de la Corse et des Corses, de les faire prendre en compte dans le débat présidentiel. Yannick Jadot est un candidat qui représente un courant d'idées important en France et en Europe, courant d'idées avec lequel nous avons historiquement des échanges soutenus et fructueux ». Le président de l’Exécutif corse, s’était, de la même façon, entretenu avec Gaspard Koenig, également candidat à l’élection présidentielle, et entend continuer sur cette voie. « J'aurais sans doute l'occasion de recevoir bientôt d'autres candidats et candidates. Je leur tiendrai le même discours sur nos attentes, et je verrai quelles seront leurs réponses ».