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Guy Armanet : « La biodiversité et notre cadre environnemental ont besoin d’être préservés, il est temps que l’on passe à l’action ! »


Nicole Mari le Jeudi 14 Juillet 2022 à 21:09

En pleine saison estivale, la protection des sites sensibles est une priorité pour l’Office de l’environnement de la Corse (OEC) qui a mis en place des quotas de visiteurs sur trois sites surfréquentés : les îles Lavezzi, le massif de Bavella, et la vallée de la Restonica. La semaine dernière, le conseiller exécutif et président de l’OEC, Guy Armanet, s’est rendu à Bunifaziu pour faire le point avec la commune sur les Lavezzi, également sur les coffres d’amarrage pour la grande plaisance installés l’été dernier à Sant’Amanza. Guy Armanet explique, à Corse Net Infos, que des études sont en cours pour mesurer les impacts et qu’il est devenu nécessaire de réguler les flux pour protéger le cadre environnemental et la biodiversité.



Les îles Lavezzi. Photo CNI.
Les îles Lavezzi. Photo CNI.
- Quel était l’objet de votre visite à Bunifaziu ?
- Il y avait plusieurs objets. Nous devions avec le maire, Jean-Charles Orsucci, discuter de la gestion des îles Lavezzi et des 14 premiers coffres d’amarrage qui ont été positionnés, l’an dernier en début de saison, à Sant’Amanza dans la réserve des bouches de Bunifaziu, échanger sur la marche à suivre afin de voir ce qu’il était possible de faire. Une étude scientifique, qui va porter sur trois ans, a été initiée. Une fois que nous aurons les résultats, nous serons à même de dire ce qu’on pourra faire par ailleurs. Nous attendrons, donc, ces résultats avant d’instruire d’autres dossiers. Au-delà de l’aspect scientifique, Jean Charles Orsucci a évoqué un deuxième aspect plus utilitaire : les gens utilisent-ils véritablement les coffres ? Quelles ressources, ces coffres génèrent-ils pour la commune ? Quels enseignements peut-on en tirer ? Cela fait partie des retours d’expérience que l’on attend.
 
- A quels types de bateaux, ces coffres d’amarrage sont-ils destinés ?
- Ils sont destinés à la grande plaisance. Il y a différents types de coffres où peuvent s’accrocher différents types de bateaux au-delà de 25 mètres. Il y a des coffres plus importants encore qui permettent à des navires de 180 mètres de stationner éventuellement, s’ils le souhaitent. Mais, vous connaissez mon point de vue, je suis assez réservé sur ce type de plaisance. Je souhaite, en tant que président de l’Office de l’Environnement, que dans les réserves, dans les endroits où il faut apporter une réglementation stricte, on n’intercède pas pour poser ce genre de coffres. Nous allons laisser le temps aux études de voir comment les choses peuvent s’articuler. Si tant est que l’on soit à même de redéployer ce genre de coffres, personnellement, je préférais que ce que cela se fasse à l’extérieur des réserves.
 
- Quels impacts, ces coffres flottants ont-ils sur la réserve ?
- Il y a différents types d’impacts. Les scientifiques expliquent qu’il y a déjà des nuisances sonores sur l’eau et des éclairages de nuit qui peuvent perturber les écosystèmes. Plusieurs facteurs nous font dire qu’il faut faire des études pour voir comment les choses évoluent en matière de biodiversité. Nos scientifiques de la réserve plongent régulièrement sur les coffres pour voir ce qu’il se passe autour. Sous trois ans, on devrait avoir un premier rendu. Même si trois ans, c’est court en termes d’évaluation, cela permettra au moins d’avoir une tendance sur ce que l'on pourra faire ou pas.

Sur le port de Bunifaziu. Photo OEC.
Sur le port de Bunifaziu. Photo OEC.
- Concernant les îles Lavezzi, avez-vous appliqué des quotas visiteurs ?
- Oui, absolument ! Les îles Lavezzi appartiennent à la commune de Bonifacio. Nous nous sommes, bien évidemment, rapprochés de la mairie pour voir comment on pouvait organiser la gestion des îles Lavezzi. On peut aussi imaginer que l’État soit partie prenante pour tout ce qui est du périmètre maritime. Le PREMAR (préfet maritime) peut prendre des arrêtés en accord avec le maire et l’Office de l’Environnement pour justement maîtriser ce qu'il va se passer dans le périmètre marin des îles Lavezzi. Les quotas ont été validés d’un commun accord en Comité consultatif : nous avons estimé que le seuil d’acceptabilité est atteint à 2000 personnes par jour au pic de la fréquentation. Le pic aux Lavezzi était de 3500 personnes par jour, nous avons demandé d’échelonner les visites et à ne pas dépasser le seuil des 2000 que nous avons fixé. Je peux d’ores et déjà vous dire que des écogardes valident les arrivées sur les îles Lavezzi tous les jours. Pour l'instant, il n'y a pas encore eu de débordements au-dessus des quotas. Tout le monde essaye d’être précautionneux, de faire en sorte que les gens ne débarquent que lorsque d’autres repartent. Certains sentiers ont été fermés, on a ainsi réduit à 3 kilomètres les sentiers exploitables sur l’île au lieu d’une vingtaine. Le risque de densité existe. Nous sommes, donc, extrêmement vigilants sur la situation des Lavezzi, cette année.
 
- Vous avez également instauré cette politique de quotas sur le massif de Bavella qui est un des hotspots de l’été. Est-ce compliqué à mettre en œuvre ?
- Sur le massif de Bavella, j’ai vu des cours d’eau où il n'y a plus aucune ombre de truite, ni même la moindre grenouille dans le paysage de biodiversité. Je crois qu’à ce niveau-là, on a dépassé l’acceptable ! Il y a donc nécessité de reprendre la main sur certains sites, d’essayer de réguler au mieux. C’est très compliqué à mettre en œuvre, mais, en même temps, à Bavella, c’est plus facile parce qu’il y a un parking en amont et un parking en aval de Larone. On a cautérisé tous les accès. Les visiteurs seront obligés de se rendre au parking pour stationner. J’ose espérer que, d’ores et déjà, à partir de la semaine qui arrive, on pourra aiguiller toutes les personnes qui souhaitent occuper le massif de Bavella vers les deux parkings. Des écogardes feront des contrôles. L’objectif est véritablement de dire que lorsque le site et le cadre environnemental seront en danger, il faudra fermer la barrière et expliquer aux gens qu’ils doivent revenir le lendemain. Ce n’est pas parfait, mais, pour cette année, on en est là. C’est la phase de démarrage, les choses se mettent en route. L’objectif est d’arriver à gérer les visites avec des QR code comme dans les Calanques du côté de Marseille. Les gens réserveront leur pass à la journée, se présenteront au parking où on le validera. Dans cette aventure-là, le plus important était de démarrer et d’essayer de donner un coup d’arrêt immédiat pour s’organiser autour de ces thématiques qui sont fortes. La biodiversité et notre cadre environnemental ont besoin d’être préservés. Il est temps que l’on passe à l’action !
 
- Les Corses sont censés être prioritaires sur ces sites, mais techniquement, cela semble compliqué à mettre en oeuvre ?
- Je ne pense pas que l’essentiel soit là ! Il faut donner un accès préférentiel aux gens qui habitent sur l’île. Cela me semble évident. On va donc réfléchir à organiser des choses. Mais au-delà de la fréquentation régionale ou pas, l'essentiel, c'est la biodiversité. Je crois qu'on est arrivé à un seuil où l’on est vraiment obligé de réguler la fréquentation afin de permettre aux générations futures de connaître les sites tels que nous les avons connus.

A la mairie de Bunifaziu. Photo OEC.
A la mairie de Bunifaziu. Photo OEC.
- Que pensez-vous du projet Regen défendu par la mairie de Bunifaziu ?  
- Le projet Regen nous a été présenté par Jean Charles Orsucci. C’est un projet d’envergure qui permettrait de créer un observatoire ou un Institut lié au développement durable en Méditerranée. Cela peut être effectivement un très beau projet. Je crois savoir que le président de l’Exécutif a déjà fait un courrier en ce sens. Je suis en train de me renseigner pour voir quel appui je pourrais apporter à la commune de Bonifacio et indirectement au périmètre méditerranéen. Nous sommes donc extrêmement attentifs à ce qui pourrait se faire, et j’essaierai, si je peux, d’être facilitateur en ce domaine.
 
- Après Bunifaziu, vous rendrez-vous sur d’autres sites sensibles ?
- Nous sommes en train de faire le tour des endroits sensibles. Bunifaziu était, pour nous, un point d’ancrage fort parce que nous y avons été, tout de suite, l’année dernière au mois d’octobre, après ma prise de fonction. Les études de quotas étaient déjà sur la table et nous avons cheminé pour déboucher sur ce que je viens d'évoquer. C'était une visite pour voir comment les choses se déployaient sur le terrain et comment nous allions accompagner la commune pour mettre en route ce que nous avions décidé ensemble. D’autres sites méritent une attention toute particulière. J’ai envie de vous dire que le littoral corse mérite dans sa globalité une attention particulière. Je serai extrêmement vigilant sur tout ce qui se fera dans le cadre environnemental et dans un cadre de biodiversité.
 
- Dans la réserve de Scandula, notamment où l’association U Levante accuse les bateaux de faire fuir les balbuzards ?
- Il faut se mettre autour de la table et discuter. J’ai invité U Levante à prendre position dans le bateau de l’Office de l’Environnement au moment des comptages. J’invite tout le monde à garder raison et à regarder comment on peut organiser les choses pour que chacun y trouve son compte. Il y a certainement la possibilité de faire cohabiter les balbuzards et les bateaux, sauf qu’à un moment donné, le cadre environnemental, le cadre de biodiversité et l’avis des scientifiques doivent primer sur tout le reste. Les choses doivent s’inscrire ainsi et on doit les construire ensemble.
 
- L’extrême sécheresse, que subit l’île, est-elle aussi, cet été, un sujet particulier d’inquiétude ?
- Oui ! Ce n’est pas un été comme un autre ! La Corse est dans un stress hydrique très élevé dû au dérèglement climatique que l’on observe depuis des années. Pour avoir été précédemment président du SIS 2B (Service d’incendie et de secours de Haute-Corse), j’ai forcément un regard extrêmement attentif sur ce qu’il va se passer pendant la saison. Nous avons besoin de nos réserves communales, qu’elles soient activées, que les gens fassent de la surveillance et de la prévention. Nous avons besoin, en tout cas, d’accompagner i nostri amici spinghjifogi et d’être vigilants et prudents. Nous sommes forcément inquiets parce que la sécheresse est là et qu’il n’y a rien de pire que le feu en termes de biodiversité.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

Guy Armanet, conseiller exécutif et président de l’Office de l'environnement de la Corse (OEC). Photo Michel Luccioni.
Guy Armanet, conseiller exécutif et président de l’Office de l'environnement de la Corse (OEC). Photo Michel Luccioni.