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Joseph Agostini : « Je préfère mourir en sortant d'un théâtre que d'un supermarché »


Nicole Mari le Dimanche 28 Février 2021 à 09:15

Originaire de Bastia, psychanalyste, auteur de théâtre et d’essais, Joseph Agostini lance, coup sur coup, un deuxième roman et un livre éclairant la vie des plus grands tueurs en série. Il propose, à Corse Net Infos, entre autres, son regard acéré sur la situation des artistes pendant la catastrophe sanitaire que nous traversons. Rencontre.



Joseph Agostini, psychanalyste, auteur de théâtre et d’essais.
Joseph Agostini, psychanalyste, auteur de théâtre et d’essais.
- Pour les 30 ans de la mort de Serge Gainsbourg, My Canal et C Star mettent à l’honneur votre livre « Gainsbourg sur le divan », que vous avez co-écrit en 2019 avec Audrey Tordelli. La consécration ?
- Il faut rester humble. Même si cela fait énormément plaisir ! Quand on écrit, c’est l’inconséquence qui est la plus terrible. Quand nos pièces, nos recherches, nos documents restent dans des tiroirs… Le manque de reconnaissance est la source de terribles frustrations, souvent mal assumées d’ailleurs. Les gens se perdent dans l’envie et le ressentiment. J’ai cette chance d’être visible, partagé, écouté à la radio sur RTL, à la télévision ou à travers mon podcast « Fais voir la bête » sur Spotify et Youtube. Je savoure cette chance et tente de la donner à d’autres quand j’en ai l’occasion.
 
- Votre livre « Dalida sur le divan » sera également bientôt adapté au théâtre. Cette adaptation vous touche-t-elle ?
- Ce n’est pas seulement cette adaptation qui me touche, c’est le fait qu’elle soit réalisée par des artistes d’un talent hors-norme, Lionel Damei (voix) et Alain Klingler (piano, voix). Quand j’étais plus jeune, je n’aurais pas imaginé une seule seconde attirer l’attention de personnalités pareilles. Ils m’ont enseigné l’exigence de la scène. Les artistes sont indispensables à notre vie en société. Je préfèrerais mourir en sortant d’une pièce de théâtre que d’un supermarché. Et je crois que je ne suis pas du tout le seul dans ce cas. A bon entendeur...   
 
- Votre prochain essai à paraître, coécrit avec le psychanalyste Jean-Benoît Dumonteix, concerne les tueurs en série : Fourniret, Petiot, Paulin et Guy Georges. Pourquoi raconter de telles vies ?
- Je voulais me pencher sur le sadisme, la cruauté. Ces choses-là sont à la base de notre humanité. Heureusement pour nous, elles peuvent être sublimées, esquivées. Quand elles ne le sont pas, cela signe la perversion avec sa somme de monstruosités. Les personnalités, dont nous parlons dans ce livre, sont aux frontières de l’humain car elles n’ont pas intériorisé le sentiment de culpabilité, seul capable de nous limiter dans nos actes de méchanceté. Nous sommes partis à la rencontre de ces êtres qui viennent également dire beaucoup de la société des hommes et de son malaise.
 
- Avez-vous déjà eu de grands pervers dans votre cabinet ?
- Malheureusement, ces gens-là pensent qu’ils ne sont pas malades. Ils demandent aux autres de se soigner. Ils « la font à l’envers » ! C’est leur marque de fabrique. Les psychanalystes, selon eux, « c’est pour les fous ». Manière intéressante d’évacuer leur folie en effet. Ils ont un tel narcissisme qu’ils sont quasiment inaccessibles à la thérapie. 
 
- Que pensez-vous de la vague Me Too et de la libération de la parole des victimes sur les réseaux sociaux ?  
- C’est formidable d’assister à un tel vent de liberté de parole ! Il y a quelques années seulement, les femmes et les homosexuels étaient des espèces inférieures dans bien des milieux. On les insultait, on leur crachait dessus sans aucun remords. Cela s’appelait, en fait, la perversion généralisée en toute impunité. En revanche, attention à ne pas faire d’amalgames en criant au harcèlement à tout bout de champ ! Cela discrédite complètement la parole des vraies victimes. Vive la tempérance !
 
- Votre roman « Pour unique soleil » va également sortir au printemps. Cette fois, vous parlez d’admiration par écran interposé. Un sujet d’actualité ?
- En effet, combien de relations amoureuses à distance aboutissent à une déception quand les deux personnes se rencontrent physiquement pour la première fois ! La virtualité, c’est d’abord un mirage ! Et la conséquence est une souffrance, une solitude. Dans ce roman, je questionne les amours imaginaires, toujours à la lisière de la folie, de l’échec. Mais dans le même temps, elles sont à la source de la beauté, de la poésie. On n’écrirait pas sans blessure béante. On n’aimerait pas non plus au final.
 
- Quelle est la cause qui vous tient le plus à cœur aujourd’hui ?
- La cause des artistes malmenés par ce gouvernement et celle des populations discriminées par une norme malheureuse. Car il faut le dire, les gens, qui se cramponnent aux normes, ne sont pas du tout épanouis. Il suffit de regarder autour de nous pour le constater. Sommes-nous heureux quand nous obéissons à notre éducation, quand nous faisons ce qu’on nous demande de faire, parce que l’on a grandi comme ça, parce que nos parents ou la société l’exigent ? Dire non, c’est naître à soi-même, c’est vivre et ne pas survivre. J’ai également une cause dans laquelle je souhaite m’investir : la sacralisation du devoir de mémoire. J’ai proposé au très talentueux Alexandre Oppeccini de collaborer à la célébration du trentième anniversaire de la catastrophe de Furiani en 2022. J’admire le travail du collectif depuis tant d’années et souhaite apporter un éclairage psychanalytique à cette nécessité pour les victimes d’être entendu dans leurs doléances. C’est un passage obligatoire dans tout processus de deuil. 
 
Propos recueillis par N.M.