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François Alfonsi plaide pour la diversité linguistique au sein de l’Europe


Nicole Mari le Mercredi 24 Avril 2013 à 21:33

Rapporteur au sein de la Commission Culture d’un rapport sur les langues menacées et la diversité linguistique en Europe, le député, membre du PNC, présente, ce mardi matin, son projet au Parlement à Bruxelles. Il avait organisé, le 20 mars dernier, un workshop sur le même sujet. Des experts de la Commission européenne et de l’Unesco, des députés européens et une quinzaine de représentants des territoires concernés par cette problématique, dont deux élus territoriaux de Femu a Corsica, Saveriu Luciani et Fabiana Giovanini, ont fait, à cette occasion, unanimement, le sombre constat de l’urgence de sauvegarder la diversité linguistique, au moment où, dans le monde, une langue meurt toutes les deux semaines. Explications, pour Corse Net Infos, de François Alfonsi qui assure que défendre les langues, c’est défendre l’Europe.



François Alfonsi, député européen, membre du PNC, rapporteur au sein de la Commission culture
François Alfonsi, député européen, membre du PNC, rapporteur au sein de la Commission culture
- Quel est ce rapport que vous présentez ?
- C’est un rapport d’initiative. Chaque Commission du Parlement européen a la capacité de rédiger deux rapports sur des sujets choisis après négociation avec tous les groupes de députés. J’ai été mandaté par un intergroupe de 42 députés, que je co-préside, sur les cultures traditionnelles et les langues minoritaires, qui a demandé de remettre cette question à l’agenda du Parlement européen. D’abord, les députés n’ont pas trouvé de consensus car chaque groupe tentait de placer ses propres préoccupations. Certains estimaient qu’il y avait des sujets plus urgents, comme la culture dans le numérique ou les droits d’auteur.
 
- Comment l’avez-vous obtenu ?
- J’ai remplacé, à la coprésidence, un Hongrois appelé à des fonctions officielles dans son pays. J’ai, finalement, en décembre dernier, obtenu que la Conférence des présidents du Parlement européen approuve ce sujet. Ce rapport a été confié à mon groupe qui me l’a proposé. J’ai eu accès à un certain nombre de moyens, d’expertises et de logistique. Il y a eu une audition et une réunion de concertation à laquelle la Commission européenne a participé. J’ai invité tous les acteurs travaillant sur les langues minoritaires pour qu’ils soient informés des nouvelles dispositions et de l’état d’esprit dans lequel les crédits européens pourraient être mobilisés.
 
- Quel est l’objet de ce rapport ?
- Ce rapport est une approche patrimoniale de la question des langues européennes menacées de disparition et de la diversité linguistique en Europe. Une langue est un patrimoine européen. Quand elle disparaît, le patrimoine européen est atteint. Cette approche patrimoniale donne, à l’Union européenne (UE) qui subit des conflits linguistiques parfois aigus, motifs à agir. Par exemple, aux frontières de la Hongrie avec la Roumanie ou la Slovaquie, il y a un conflit très dur sur la situation des minorités magyarophones dans ces deux pays. D’autres situations de discrimination sont aussi conflictuelles, comme celle de la langue et de la minorité turques dans l’Est de Grèce.
 
- Faites-vous des propositions ?
- Oui. Le rapport définit une doctrine, celle du Parlement européen, qui dit que la diversité linguistique fait partie du patrimoine de l’UE et qu’il faut la préserver. Une langue menacée est un préjudice européen et relève d’une responsabilité de l’UE. Il faut apporter des réponses qui engagent, en même temps, les Etats-membres, l’UE et les crédits européens. Le rapport fait, ensuite, des propositions précises pour faciliter la prise en charge des langues minoritaires par tous les programmes européens qui seront menés dans la prochaine programmation 2014-2020.
 
- Quels programmes ?
- Des programmes sur la culture, la formation, les échanges de type Erasmus pour tous… Egalement des programmes du FSE (Fonds social européen), voire du FEDER. Nous voulons ouvrir tous ces programmes à des possibilités linguistiques afin que le Parlement européen mette sur la table une volonté politique. La Commission européenne a montré une disponibilité réelle. Nous essayons, ainsi, de renverser une situation défavorable. Depuis l’an 2000 et la suppression des lignes budgétaires qui étaient, spécifiquement, vouées à la préservation des langues minoritaires, il y a eu un grand vide au niveau des engagements budgétaires européens. Tous ces programmes étaient en déshérence, voire supprimés.
 
- Que préconisez-vous ?
- D’abord, renforcer les réseaux et les grandes manifestations européennes qui mettent en valeur les langues et les cultures. Ensuite, soutenir une ingénierie, dans les régions et auprès des communautés linguistiques concernées qui sont, parfois, représentées par des institutions de niveau différent. Faire en sorte que celles-ci puissent élaborer et mettre en œuvre des programmations à long terme pour le Riacquistu tant au niveau de l’éducation, que des médias et de la vie publique, dans tous les domaines où il faut intervenir, en priorité, la première enfance. Enfin, s’assurer que ces programmes soient relayés par des crédits européens partout où c’est possible, pour mettre en place des structures de formation, faciliter les mesures nécessaires…
 
- Quand ce rapport sera-t-il voté par le Parlement européen ?
- Le délai de dépôt des amendements sera fixé 2 ou 3 jours après la présentation du rapport. Le vote en commission culture aura lieu en mai ou juin, en fonction du nombre d'amendements. Une fois adopté, le rapport sera mis à l’agenda d’une session plénière à Strasbourg et viendra en débat et au vote au Parlement probablement en juillet.
 
- Y-aura-t-il obligation pour les Etats membres de l’appliquer ?
- C’est complexe. Les questions culturelles ne font pas partie des compétences déléguées par les traités, comme l’agriculture ou l’environnement, où lorsque une directive est votée, elle devient loi dans les 27 pays de l’UE. Ceux-ci disposent d’un délai pour la transposer dans leur législation nationale, s’ils ne le font pas, ils sont en infraction et encourent des pénalités. Cette logique coercitive n’existe pas dans le domaine culturel qui n’a pas été transféré à l’UE pour raisons et réticences politiques, par la volonté des Etats à, par exemple, ne pas obtempérer à la Charte européenne des langues.
 
- La Charte n’est-elle pas incluse dans le Traité de Lisbonne ?
- Effectivement, la Charte européenne des langues est un élément constitutif du Traité avec la Charte des droits fondamentaux. Elle fait, donc, partie des textes contraignants. Quand un nouveau pays adhère à l’UE, il doit ratifier cette charte. Certains l’ont fait à contrecœur, comme la Roumanie. Parmi les pays déjà membres avant le vote du traité de Lisbonne, seuls deux pays n’ont pas ratifié : la France et la Grèce.
 
- Pourquoi la France, ayant signé ce traité, n’a-t-elle pas obligation de l’appliquer ?
- La Charte a été créée et votée alors que la France était déjà un Etat-membre. La France se prévaut de cette antériorité pour ne pas s’engager sur ce texte qui la met très mal à l’aise depuis 15 ans. Que ce soit Sarkozy hier ou Hollande aujourd’hui, tout le monde bute dans le mur de l’exception constitutionnelle française. La France a une structure profondément jacobine et, en réalité, antieuropéenne. La Charte européenne des langues est le révélateur de la nature obsolète de l’Etat français, qui s’impose à la Corse.
 
- Que vous inspire, en tant qu’élu des Verts, la décision de François Hollande de ne pas la ratifier sur simple avis du Conseil d’Etat alors qu’il s’y était engagé ?
- C’est plus qu’un renoncement, c’est une trahison ! La Charte a été signée par Lionel Jospin, il y a 12 ans. Sa ratification s’est heurtée à une censure constitutionnelle. François Hollande savait très bien, quand il a pris l’engagement de ratifier, qu’il fallait lever cette censure. Le Conseil d’Etat n’a fait que lui rappeler que la Constitution n’avait pas changé ! La méthode et la façon de faire de Hollande sont inacceptables. Mais, nous sommes aussi victimes du pouvoir d’une nomenklatura jacobine qui quadrille un appareil d’Etat très centralisé, où les allées du pouvoir sont très étroites. François Hollande puise dans ses coreligionnaires de l’ENA l’essentiel des hauts fonctionnaires qu’il nomme. Cette nomenklatura fonctionne en autarcie avec une vision passéiste, bunkerisé, de la vie publique. Elle n’est absolument pas ouverte aux autres, à la demande d’altérité que nous représentons avec d’autres minorités. Il faut la déstabiliser par l’Europe et la combattre par l’action politique que nous mènerons en Corse et ailleurs.
 
- De quelle manière en Europe ?
- Si la France n’a pas ratifié la Charte européenne des langues, elle a ratifié la Charte européenne des droits de l’Homme qui prévoit la lutte contre la discrimination, notamment pour des faits d’appartenance culturelle ou ethnique. L’application de cet élément du Traité peut générer des directives européennes qui condamneraient un Etat qui refuserait à une langue le droit d’exister. Depuis le Traité de Lisbonne, des ouvertures juridiques existent.
 
- Est-ce la volonté de Bruxelles d’aller jusque-là ?
- Le fait nouveau, dans la mandature, est que nous avons réveillé une motivation et un intérêt pour cette question du patrimoine culturel et linguistique européen. Si le rapport est, comme je l’espère, voté dans de bonnes conditions, deux pans entiers de l’UE, le Parlement et la Commission, seront d’accord pour relancer une dynamique autour des langues minoritaires et menacées de disparition. C’est positif et fera une pression sur les Etats. Parmi eux, certains sont vertueux, comme la Finlande qui donne à sa minorité suédophone des garanties dont nous rêvons en Corse.
 
- Le suédois est une langue officielle de l’UE. Son statut n’est-il pas différent d’une langue régionale minoritaire comme le corse ?
- La Finlande compte deux langues minoritaires : le suédois, langue transfrontalière, et le sami, une langue du Nord de l’Europe, menacée de disparition sur laquelle le gouvernement exerce une politique très active, très avancée et très intéressante. La Norvège pratique, aussi, une action puissante pour sauver le sami, parlée par des populations vivant au-delà du cercle arctique. Ces politiques obtiennent des résultats. Aujourd’hui, le sami remonte en termes d’estime de soi pour les populations concernées, en termes de pratique et d’enseignement. La Finlande, par exemple, met en place des systèmes de crèche scolaire très avancés pour que la langue maternelle puisse être transmise aux jeunes générations.
 
- Vous dites que « défendre les langues, c’est défendre l’Europe ». Pourquoi ce parallèle ?
- Le schéma centraliste, 1 Etat, 1 capitale, 1 gouvernement, 1 langue, 1 culture, qui est la matrice des Etats-Nations tels qu’ils existaient au 19ème siècle, peut fonctionner dans un Etat, comme l’Allemagne, qui possède une certaine unicité culturelle. En France ou en Espagne, il fonctionne jusqu’à une certaine limite. Mais, l’Europe ne peut fonctionner de cette manière ! Elle est, sous peine d’explosion, forcée de promouvoir un schéma qui est l’antithèse de l’Etat-Nation, un schéma avec 23 langues officielles, chacune vigilante sur son rôle et sa place dans la construction de l’UE. Gérer 23 langues ou en gérer 40 revient au même, même si certaines, comme l’anglais, l’allemand, le français ou l’espagnol, ont, par leur résonnance internationale ou leur poids économique, une place supérieure à l’estonien ou au gaélique irlandais.
 
- Le corse saura-t-il trouver sa place en Europe ?
- Chaque langue doit trouver sa place pour que chaque Européen se sente bien en Europe. Si l’Europe veut s’inscrire dans la durée, elle doit être un corps vivant qui évolue. La construction européenne suppose une grande acceptation de la diversité, sans quoi, il n’y a plus d’Europe ! Egalement, une grande souplesse et une grande capacité d’adaptation aux attentes démocratiques des peuples, parce que le seul moteur de l’Europe, c’est la démocratie qui s’exprime par la volonté des peuples. Si le peuple corse veut que la langue corse soit officielle et veut la faire vivre, l’Europe est d’obligée de dire : « Oui ».
 
- L’UE est-elle le seul recours pour les langues et les cultures en danger ?
- Oui. En tous cas, c’est un terrain sur lequel on peut poser un discours, une démarche, et la rendre collective afin que les Corses ne soient plus tous seuls face au problème. Ils sont, d’abord dans l’ensemble français, avec d’autres langues et d’autres cultures, ils sont, aussi, avec des Sardes, des Frioulans, des Catalans, etc. Cette mise en commun commence à avoir un poids politique important et peut aider à trouver des appuis politiques et institutionnels qui pèseront dans le rapport de forces. Mais, l’avenir de la langue corse dépend surtout de la volonté du peuple corse.
 
Propos recueillis par Nicole MARI