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Thierry de Maria, directeur de la Police judiciaire de Corse : "on est face à une criminalité en recomposition"


Livia Santana le Lundi 20 Décembre 2021 à 17:16

Un an après sa prise de fonction en tant que directeur de la police judiciaire en Corse, Thierry de Maria fait un bilan des actions menées sur le territoire. Dans une interview accordée à CNI, l'homme qui dirige 200 policiers sur l'île revient sur les spécificités de la Corse en termes de criminalité, la collaboration de ses services avec la Jirs de Marseille, le grand banditisme et les trafics de stupéfiants.



Thierry de Maria, directeur de la Police judiciaire de Corse
Thierry de Maria, directeur de la Police judiciaire de Corse


- Vous êtes arrivé en Corse en décembre 2020, avant cela, où étiez-vous ? 
- Je viens du Var, de Toulon et cela fait 35 ans que je suis dans la police. Je suis passé d’abord passé par la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de Nice, la PJ de Marseille, celle de Toulon puis par la direction adjointe de la PJ Antilles-Guyane. J'ai aussi été directeur interrégional adjoint pour le Grand-Est à Strabourg  puis j'ai rejoint Limoges où j’étais directeur du Service régional de la police judiciaire durant dix mois.  

- En termes de criminalité, quelles sont les spécificités de la Corse ? 
Un contexte insulaire reste toujours particulier mais ce qui caractérise la Corse c’est l’historicité, l’antériorité des groupes criminels puissants. C’est un secret pour personne, des groupes comme la Brise de mer, des supposés parrains de la Corse-du-Sud comme feu Jean-Jérôme Colonna ont marqué l'histoire de l'île. La figure du bandit en Corse fait partie du paysage sociétal. 

Connaissiez-vous ces spécificités avant d’arriver ? 
- En ayant travaillé à Nice, Marseille et Toulon, le banditisme corse,  je connaissais déjà un peu. Il est vrai que je m’en étais éloigné quand j’étais à Strasbourg ou aux Antilles. Nécessairement, avant de prendre mes fonctions ici j’ai lu pas mal d’ouvrages consacrés à la matière.  

- Quand vous-êtes arrivé, la Police Judiciaire était dans la tourmente. Des fuites avaient permis à des membres du Petit bar de ne pas être présents lors de perquisitions. Votre service avait été dessaisi du dossier au profit de la gendarmerie.   

- Oui, les magistrats ont pris des positions. Il a fallu faire un état des lieux, renouer des liens. Ce n’était pas une crise systémique mais c’est un fait important qui s’est passé. Cela a pris du temps, il a fallu reconstruire quelque chose, redynamiser et amener ma façon de faire. Maintenant c’est terminé, il faut regarder devant.    

- Justement, un an après sur quoi travaillez-vous ? 
- Une partie de notre équipe de direction est renouvelée. On travaille avec un nouveau regard, de nouvelles ambitions. Les contours vont être définis par les manifestations de la criminalité organisée auxquelles nous seront confrontés sur l’île. On veut ouvrir les yeux sur ce qui fait la société civile, sur les nouveaux acteurs, les collectifs qu’il faut prendre en considération. On a encore du travail. Nous avons des équipes compétentes, avec de vrais savoir-faire. 

-Quid du grand banditisme sur l’île ? 
- Son histoire est telle qu’on a tendance à regarder en arrière pour se remémorer les alliances, les clans… Je crois qu’il faut abolir ces frontières et voir qu’on est face à une criminalité en recomposition, en mutation. Il y a de nouveaux héritiers, de nouvelles alliances, de nouveaux intérêts qui peuvent générer des alliances de circonstance.  

- Quels nouveaux intérêts ? 
- Cela peut-être le trafic de stupéfiants, des flux financiers, de l’économie souterraine, des captations de fonds publics… 
 
- Cette année, il y a eu beaucoup de règlements de compte…
- Moins qu’à une époque mais quelques-uns quand même. Entre les tentatives et les homicides, nous en avons relevé 14. La Corse reste tout de même un lieu très criminogène. 
 
- Sur ce genre de dossier, vous travaillez beaucoup avec la Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille. Quelles relations entretenez-vous ? 
Nous sommes sur des relations de confiance. J’ai la prétention de nous considérer, ainsi que la Jirs, comme de fins connaisseurs du banditisme et de la criminalité organisée insulaire. Le microcosme corse est d’une telle richesse qu’on peut vite s’y perdre, il faut savoir de quoi on parle. 
 
- La presse a relaté de nombreux démantèlements de trafics de stupéfiants. Vous y mettez un point d’honneur ? 
- C'est notre métier. Nous avons saisi plus d’une cinquantaine de kilos de résine de cannabis, presque 4 kilos d’héroïne et de cocaïne. Nous avons eu cette année quelques dossiers symptomatiques qui montrent que l’approvisionnement se fait par le transport maritime. La Corse n’est pas un lieu de transit mais plutôt un terminus, une destination. Avec une faible population, par rapport au territoire, la part des saisies est non-négligeable. L’afflux de touristes l’été, venus pour faire la fête engendre plus de consommation de cocaïne. 
  
Lors des saisies vous retrouvez souvent des armes ? 
C’est vrai que sur l'île on en retrouve beaucoup, dans les dossiers ce n'est pas rare. Les Corses nourrissent une certaine passion pour les armes, cela fait partie d’une image un peu légendaire.