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Le culte marial en Corse : Entre ferveur et tradition, la Nativité de la Vierge est célébrée sur tout le territoire


Nicole Mari le Mercredi 7 Septembre 2022 à 18:20

Le 8 septembre, la Corse célèbre la Nativité de la Vierge Marie, mère de Jésus. C’est l’une des douze grandes fêtes mariales du calendrier chrétien. Terre mariale par excellence, l’île compte au moins huit sanctuaires mariaux qui ont, chacun leur pèlerinage. De Bunifaziu au Niolu, en passant par Loreto ou Pancheraccia, chaque territoire a sa légende, son histoire et Maria Bambina est l’objet d’une dévotion particulière de la part de sa population.



La Vierge de Pancheraccia. Photo CNI.
La Vierge de Pancheraccia. Photo CNI.
Chaque 8 septembre, la Corse célèbre la Nativité de la Vierge Marie. Cette fête très ancienne, qui remonterait au Vème siècle, prend, dans l’île, une ferveur très particulière, d’abord parce que la Cunsulta du 30 janvier 1735 a placé la Corse sous la protection de la mère du Christ qui est devenue « la Madre universale », « la Reine de Corse », ensuite parce que la plupart des églises et oratoires de l’île, au moins 126 d’entre-eux, lui sont dédiés. Cette consécration a été renouvelée à deux reprises : le 18 mai 1935 sous l’épiscopat de Mgr Rodié et le 8 septembre 2014 par Mgr Olivier de Germay qui y a associé toutes les paroisses insulaires. Malgré le fait qu’on ne connaisse ni le lieu, ni la date de sa naissance, la Vierge Marie a été vénérée très tôt, d’abord à Constantinople et à Jérusalem, où la tradition antique fixe la maison de ses parents, Anne et Joachim, près de la piscine de Bethesda, porte des Lions. La légende dorée raconte la naissance miraculeuse de Marie, sa conception immaculée du fait d’une mère stérile et d’un vieillard. La Casa Santa, la chambre où elle serait née et où aurait eu lieu l'incarnation de Jésus, aurait été transportée par des anges à Loreto, en Italie, en 1294 pour la sauver des Ottomans. « La Nativité de Marie est une des grandes fêtes de l’année liturgique byzantine, car elle inaugure l’économie du salut et l’inscription du Verbe de Dieu dans l’histoire des hommes », explique l’Eglise de Corse. En 431, le concile d'Éphèse, instaure le culte marial. Une église, dont la dédicace a lieu un 8 septembre, est érigée près de la maison. Dans l’île, cette journée est vaquée dans tous les établissements scolaires et dans de nombreuses collectivités locales. C’est dire son importance ! C’est un jour de pèlerinage pour de nombreux Corses qui, du Sud au Nord, se rendent dans les paroisses dédiées et les sanctuaires mariaux. Bunifaziu, Alzilone-Ampaza, Ciamanacce, Aiacciu, Cargèse, Ghisoni, Pancheraccia, Rusio, Moltifau, Alesani, Cervione, Penta-Acquatella, Loretu di Casinca, Campitellu, Casamaccioli, Corbara, Calvi, Lavatojo, Vallica, Oletta, Lavasina, Morsiglia… Si certains sanctuaires ont perdu la pratique, d’autres restent très fréquentés et les coutumes perdurent parfois depuis le 17ème siècle.

L'Ermitage de la Trinité à Bunifaziu. Photo mairie de Bonifacio.
L'Ermitage de la Trinité à Bunifaziu. Photo mairie de Bonifacio.
Le pèlerinage de la Trinité
A l’Extrême-Sud de l’île, c’est à l’Ermitage de la Sainte Trinité, connu depuis le Haut Moyen-Age (13ème siècle), que les Bonifaciens se rendent traditionnellement à pied en pèlerinage. Ce lieu hors la ville, situé à 7 kilomètres, perché à 200 mètres d’altitude, surplombant les Bouches de Bunifaziu et la Sardaigne, est le gardien de la mémoire des sept moines martyrs du monastère Notre-Dame de l’Atlas à Tibhirine en Algérie. « L’Ermitage de la Trinité est un endroit extrêmement sacré et extrêmement cher pour tous les Bonifaciens et auquel ils sont viscéralement attachés. Deux fêtes se tenaient à cet endroit. Une première célébration, le jour de la fête de la Sainte Trinité, en mai ou juin en fonction de la date de Pâques. On l’appelle dans la dialectique locale : « A Trinita dei paesani ». Elle représente la Trinité du Grand Sud : la population du Grand Sud venait en pèlerinage de Figari, Pianottoli, Sotta… jusqu’à Sartène voir jusqu’à Sainte-Lucie de Porto-Vecchio. Je me rappelle qu’il y avait les stands des forains avec des animations et des jeux et un vrai engouement. Le pèlerinage a perduré jusqu’au début des années 80, puis s’est perdu », explique Etienne Serra, Bonifacien et confrère de la Cunfraternità di a Santa Maria Maddalena, une des cinq confréries de la ville. La Trinité rayonne donc sur ce territoire que le Plan Terrier nomme « la commarque de San Martino ». Par contre le 8 septembre, la Nativité de la Vierge est toujours fêtée à la Trinité. « En septembre, c’est plutôt un rassemblement de Bonifaciens. On dégustait les spécialités, notamment les aubergines farcies à la Bonifacienne, i mirizani. Les pécheurs montaient des langoustes. C’était l’occasion de faire des bouillabaisses. Chacun montait des plats en fonction de ce qu’il avait. L’une de mes tantes montaient des mirizani et du sauté de veau. D’autres personnes montaient des mirizani et des langoustes bouillies qu’on dégustait avec de la mayonnaise ou avec une sauce faite avec le corail de la langouste ». C’est pour cela que la Vierge Marie est, parfois, appelée affectueusement « A Madona di i Mirizani », mais rappelle ce marinacciu de cœur et de profession : « Cela n’a rien à voir ! Tout comme on associe aujourd’hui la fête de la Trinité à la fête de Bonifacio. Pas du tout ! C’est une hérésie ! C’est la fête de la Nativité de la Vierge que l’on fête dans le lieu que les Bonifaciens appellent La Trinité et qui s’appelle : l’Ermitage de la Trinité ». Le pèlerinage de septembre reste très couru. « Il y a beaucoup de monde. Les Bonifaciens ont coutume de dire entre eux : « Tu montes à la Trinité ? ». La municipalité organise un parking à 2 kms du sommet et un aller-retour en navette pour éviter les embouteillages et les accidents sur le trajet ». 
 

A Scupritura de Ciamannacce
Toujours au Sud, dans le Talavu, canton de Zicavo, plusieurs villages fêtent la Nativité : Moca à la chapelle Abbadia, datant du Xème siècle, qui a été restaurée et qui est située en pleine nature, ou encore l’Eglise de Sainte-Marie Azilone, et surtout Ciamannacce où l’Église paroissiale A Nunziata est un haut lieu de pèlerinage avec une coutume très particulière. « Dans cette église de Ciamannacce, une femme priait quand une lumière est apparue, s’est posée sur le mur latéral droit, et l’image de la Vierge s’est imprimée sur le mur. La tradition orale fait remonter cet évènement au 17ème ou au 18ème siècle. Cette image est miraculeuse et voilée, un voile la recouvre. Quand on veut demander des grâces, on fait ce qu’on appelle : una scupritura. En Corse, il n’y a pas de tradition de la scupritura, peut-être y en-a-t-il eu auparavant, mais il y en a en Italie », explique le curé Antoine Peretti, prêtre dans l’Ornano. Le voile est traditionnellement enlevé le 8 septembre, après la messe, lors de la cérémonie de la scupritura : « On dévoile la Vierge. On récite le « Notre Père » et le « Je vous salue Marie ». On chante les litanies de la Vierge sur le ton férial. Ensuite, on chante indifféremment le « Diu Vi Salvi Regina » ou le « Dio Ti Salvi Maria », plus fréquemment le Dio Ti Salvi Maria », précise-t-il. Ce chant fait partie de la Lira Sacra, un recueil de chants sacrés communs à la Corse et à la Sardaigne. « Le 8 septembre, il y a des scupritura toute la journée. En cours d’année, également, les gens, qui ont une grâce à demander, demande une scupritura. Selon la tradition, si on voit que le manteau de la Vierge est plus bleu que d’habitude, la grâce est accordée ». Les cérémonies débutent la veille par une procession au flambeau, se poursuit le jour même avec une messe le matin, et la procession, l’après-midi, avec le salut du Saint Sacrement. Ciamannacce abrite également un autre lieu de pèlerinage, une très vieille fontaine réputée miraculeuse dédiée à Santa Lucia et située près de l’Eglise romane éponyme. De Santa Lucia, qui était l’église mère de tous les villages autour, on admire toute la vallée du Taravu jusqu’à Porto Pollo. « Tous les ans, pour Sainte Lucie, tous les gens des villages environnants viennent assister à la messe et à la bénédiction de l’eau. Les gens prennent, ensuite, de l’eau pour les maladies des yeux ».
 
La dévotion à Maria Bambina
Cette fête de la Nativité de la Vierge, rappelle le père Antoine Peretti est une fête franciscaine : « Le 8 septembre est fêté de partout en Corse parce que la dévotion à Maria Bambina est une dévotion franciscaine. Les Franciscains la répandent aux 12-13ème siècles et l’implantent en Corse dans de nombreux villages. Ce qui n’est pas sur le continent où, dans certains endroits, on ne sait même pas ce que c’est ! Cette fête a même pris le pas sur la fête de l’Annonciation. C’était un gros pèlerinage, les gens montaient de toute la vallée. L’autre pèlerinage majeur, également très ancien, est celui de Saint Antoine l’Ermite dans la montagne de Palneca le 22 juillet avec une tradition particulière où les gens habillent le Saint et se partagent le vêtement après la messe comme protection. Des gens montent du Fiumorbu pour y assister ». La dévotion à Maria Bambina, estime le père Peretti, « C’est tout l’attachement que la Corse a pour les enfants. C’est aussi une anticipation sur toute la réflexion qui sera menée sur l’Immaculée Conception de la Vierge dont les Franciscains se sont faits les défenseurs et qui a abouti à la reconnaissance du dogme, relativement tard puis qu’il a été proclamé le 1er novembre 1850. Quelque temps après, il y a eu les apparitions de Lourdes où la Vierge a dit à Bernadette : « Je suis l’Immaculée Conception ». C’est, en entendant ces mots, que le curé a compris qu’il se passait quelque chose d’important, étant donné que le dogme venait d’être proclamé et que la jeune Bernadette ne pouvait pas l’avoir inventé ».

A granitula di a Santa di u Niolu. Photo CNI.
A granitula di a Santa di u Niolu. Photo CNI.
La Vierge à la cerise
En Haute-Corse, à Alisgiani, le 8 septembre est l’unique occasion de sortir l'original du célèbre tableau de la Vierge à la Cerise attribué à Sano di Pietro, peintre siennois du 15ème siècle. Après les deux messes, le tableau porté en procession repart, sous bonne escorte, au musée d'Aléria, tandis que sa copie reste visible dans l’église. « La Madonna à la cerise est un trésor d’un point de vue patrimonial. Nous déplorons qu’elle soit reléguée dans un dépôt d’un musée d’archéologie où elle n’a rien à y faire. La Castagniccia était un haut-lieu de culture et de traditions avec un patrimoine certain, c’est aujourd’hui la région la plus déshéritée de Corse, notamment au niveau humain. Ce tableau est symbolique, il représente ce qu’il nous reste de magnifique », confie Bastiana Polverelli, une paroissienne du hameau de Bonicardo du village de Tarrano. « Traditionnellement, les neuvaines sont dites par les femmes pendant neuf jours au couvent, cela continue, même s’il y a moins de gens. A l’origine, la fête durait trois jours comme pour A Santa du Niolu et il y avait des stands, des paghjelle. On piqueniquait, on le fait toujours. C’était le moment où les gens se retrouvaient. C’est très important. J’habite à Ajaccio, si je ne peux pas être là le jour de la Santa, j’allume des bougies parce que la veille, on illumine toutes les fenêtres des maisons dans tout le canton avec un nombre impair de bougies. C’est la tradition en Corse. Mais, cette année, j’y suis ».
 
Des sanctuaires miraculeux
A Pancheraccia, l’un des deux seuls lieux avec Campitellu d’apparition de la Vierge en Corse attestée par l’Eglise, les festivités débutent par une première procession la veille, également suivie avec beaucoup de ferveur. C’est à une enfant égarée et qui avait soif qu’apparut Marie au 18ème siècle. Une chapelle a été édifiée sur le lieu, et la tradition veut que la statue soit portée uniquement par des femmes. Des ex-voto, qui s’enrichissent chaque année, témoignent des grâces accordées. Autre sanctuaire majeur, Notre Dame des Grâces de Lavasina et son tableau miraculeux dont la légende remonte au 17ème siècle. Une religieuse franciscaine de Bunifaziu s’y réfugia lors d'une tempête alors qu’elle se rendait en pèlerinage à Gênes pour obtenir la guérison de maux qui paralysaient ses jambes. Elle oignit ses jambes d'huile de la lampe qui éclairait le tableau de la Vierge et guérit instantanément. Depuis, les nombreux ex-voto exposés dans le couloir du couvent témoignent, comme à Pancheraccia, de guérisons inexplicables. Chaque année, la procession rassemble de nombreux fidèles et l'on y mange les fameuses tripettes. A Moltifau, la faveur de porter la statue de La Santa est mise durant la procession aux enchères. Mais la fête la plus importante, pour de nombreux Corses, reste A Santa di U Niolu à Casamaccioli. Ce pèlerinage, le plus ancien et le plus important de l’île, continue de déplacer, chaque année, les foules. Vêtue de son manteau d'apparat, la Vierge part en procession et remonte la rue principale du village jusqu'au champ de foire où plus d'une centaine de confrères, venus de toute l'île, portent la statue et déroulent au rythme des chants sacrés, la traditionnelle Granitula, la procession des pénitents. La foire du Niolu, qui est aussi la plus ancienne de Corse, revient après deux ans d’absence, suspendue pour cause du Covid. Elle reste, au-delà des générations, le rendez-vous incontournable de la rentrée de septembre
 
N.M.