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Nanette Maupertuis : « Une autonomie poussée contribue au bien-être économique et social des peuples »


Nicole Mari le Samedi 30 Juillet 2022 à 21:15

L’autonomie peut-elle augmenter le bien-être économique et social des Corses ? « Oui », répond clairement Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse et professeur d’économie à l’université de Corse. Lors de la dernière session estivale de l’Assemblée de Corse, elle a présenté un rapport « Autunumia è Benista », basé sur une étude inédite couvrant 80 pays et qui est un plaidoyer argumenté en faveur de l’autonomie fiscale. Elle explique à Corse Net Infos que la qualité de vie d’une population dépend directement de la qualité des institutions qui la gouvernent. Elle affirme que l’autonomie est, à la fois, une dynamique et une éthique de la responsabilité et de la confiance.



Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse, représentante de la Corse au Comité européen des régions et professeur d'économie à l'Université de Corse.
Nanette Maupertuis, présidente de l'Assemblée de Corse, représentante de la Corse au Comité européen des régions et professeur d'économie à l'Université de Corse.
- Vous avez choisi de présenter une étude inédite sur l’impact de l’autonomie dans le quotidien et le bien-être des Corses. De quoi s’agit-il exactement ?
- Depuis des années, lorsqu’on traite de la question de l’autonomie, on convoque, en général, le droit comparé et on mobilise les statuts existants dans des régions autonomes. On a raison de le faire, mais, le plus souvent, on ne regarde que l’angle du droit et on passe sous silence l’économie politique qui est, pourtant, très utile parce qu’elle nous permet de faire le lien entre la qualité des institutions et les indicateurs de bien-être. Ces indicateurs sont très intéressants parce qu’ils englobent, à la fois, les indicateurs de bien-être matériel, comme le PIB (Produit intérieur brut), donc le revenu, et des indicateurs de développement humain dans les domaines de la santé, de l’espérance de vie, du niveau d’éducation, de l’égalité de genres… et plus récemment aussi les questions environnementales. Mon souci était d’entrer dans le débat sur l’autonomie en mettant la focale sur la dimension économique et sociale, d’autant que nous l’avions évoquée, d’une part lors de la Conférence sociale qui s’est tenue il y a quelques semaines, d’autre part au sein de l’hémicycle. J’avais été interpellée par Jean-Martin Mondoloni de manière un peu ironique sur la question suivante : « est-ce que l’autonomie accroît le bonheur des gens et va régler leurs problèmes quotidiens ? ». Je me suis employée à investiguer la littérature académique existante sur le sujet pour voir quelle était la relation entre autonomie et bien-être économique et social.
 
- Vous aviez, en janvier, dans nos colonnes, affirmé que l’autonomie offrait de nouvelles opportunités de développement économique et social. Cette étude le confirme-t-elle ?
- Oui ! Lorsque j’ai commencé à approfondir le sujet, je me suis aperçue que dans la littérature académique internationale, il y avait énormément de contributions sur le lien entre autonomie et croissance économique, autonomie et développement, qualité des institutions et bien-être économique et social. J’ai, donc, sollicité un cabinet spécialisé en économie, Kyrn’Economics, créé par deux jeunes Corses, pour étudier tout cela. Il m’a rendu, le mois dernier, un rapport qui couvre 80 pays et analyse au total 53 travaux scientifiques reconnus. Je précise que d’un point de vue international, on considère une région comme autonome à partir du moment où elle dispose de la compétence fiscale. Ce rapport montre bien quels sont les bénéfices que l’on peut attendre d’un statut d’autonomie au regard des expériences qui sont menées dans toutes les régions autonomes de par le monde. Il établit clairement un lien très positif et très solide entre autonomie fiscale et croissance économique.
 
- Pourtant, des politiques, comme le Communiste Fabien Roussel, clament que l’autonomie ne permettra pas de remplir les frigos des Corses. Alors qu’en est-il ?
- L’expression est un peu triviale ! L’autonomie contribue au bien-être économique et social, l’étude le montre bien. Elle montre un lien stabilisé scientifiquement sur le panel de 80 pays. L’autonomie a, d’abord, des impacts quantitatifs. Plus elle est poussée - c’est-à-dire une véritable autonomie fiscale avec un transfert de compétences et de ressources -, plus elle génère de la croissance économique. Le niveau de capital humain est plus important parce qu’il y a une meilleure performance des systèmes de formation. Les disparités régionales diminuent parce que les régions autonomes développent des compétences et prennent des décisions au plus près des préoccupations des citoyens, donc les institutions ont une efficacité plus grande. L’autonomie a, ensuite, des résultats positifs sur le plan des variables qualitatives, c’est important parce qu’il y a d’autres choses dans le bien-être que le bien-être matériel. La décentralisation, en particulier lorsqu’elle conduit à une autonomie fiscale, a des effets positifs sur l’éducation, la santé, la réduction des disparités de revenus, la baisse des inégalités entre les genres. Elle permet aussi de meilleures performances en termes de politique environnementale.
 
- En clair, on vit mieux dans un régime autonome que dans un régime centralisé ?
- Oui ! Il semblerait à travers l’ensemble des études qui ont été répertoriées qu’effectivement, une autonomie poussée, en permettant d’accroître la qualité des institutions au niveau local, en permettant une prise de décision au plus près des problèmes qui se posent au quotidien, augmente effectivement le bien-être des peuples qui sont concernés par cette autonomie. A partir du moment où nous avons une représentation du monde, une économie, des attentes différentes des autres régions, si les décisions sont prises en matière de production, d’échanges et d’allocation de ressources au plus près, en termes de subsidiarité, du territoire et des acteurs du territoire, cela ne peut être que très positif pour la population.
 
- Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, agite le spectre du manque de moyens financiers, des risques sur les salaires, la sécurité sociale… Que répondez-vous ?
- Alors qu’on commence à peine à discuter sur l’autonomie, il ne sert à rien d’agiter des chiffons rouges et de faire peur aux gens en disant : « Attention ! L’autonomie ne remplit pas les frigos ! Attention, vous allez avoir à gérer la sécurité sociale… ». Que je sache, il y a des pays très centralisateurs où des choses ne marchent pas ! Ensuite, il faudra, dans les échanges que nous aurons avec l'État, faire le point sur ce qui peut être réglé à droit constant. Mais, on sait déjà que beaucoup de choses ne peuvent pas être réglées à droit constant. C’est pourquoi on ne peut pas se passer d’une analyse d’un point de vue économique, fiscal et social pour voir ce qui relèverait du régalien et resterait, donc, compétence de l’État, et ce qui relèverait des compétences d’une Corse autonome. Je ne pense pas au moment où je parle que la sécurité sociale fasse partie d’un package de compétences. On n’en a pas encore discuté. La posture positive et surtout la méthode efficace sont véritablement celles que nous avons définies ensemble le 21 juillet. On prend les huit thématiques qui ont été évoquées à Paris et on regarde ce qui ne marche pas et en quoi le statut d’autonomie nous permettrait de progresser sur ces différents points. Enfin, je tiens à dire que l’autonomie, on le voit à travers les exemples historiques que l’on peut mobiliser sur d’autres îles en Méditerranée, en Europe ou sur la façade atlantique, c’est aussi une éthique de la responsabilité.
 
- C’est-à-dire ?
- Une région autonome devient responsable. L’étude constate qu’elle prend à bras le corps les sujets et règle les questions avec les outils qui sont à sa disposition, des outils soit juridiques, soit économiques qui existent en France et dans des pays qui ont expérimenté des processus d’autonomie qui fonctionnent. La Sardaigne, la Sicile, le Val-d’Aoste, les communautés espagnoles - Baléares, Catalogne, Pays basque - les Açores et Madère sont autonomes. L’autonomie existe depuis 1948 en Italie et depuis 1978 en Espagne. L’autonomie, c’est une dynamique et c’est surtout la responsabilité et la confiance. Je crois qu’il faut aborder le cycle d’échanges avec le gouvernement avec le sens de la responsabilité, le sens de la confiance et la ferme volonté de régler l’ensemble des problèmes corses qui sont multiples. Il y a des problèmes politiques - je n’oublie pas ce qui s’est passé au mois de mars – et des problèmes économiques qui ne peuvent pas être réglés avec le statut actuel de l’île. Il ne faut pas oublier que les discussions sur les différents statuts et les évolutions institutionnelles que la Corse a connu n’ont jamais visé la dimension économique et sociale. C’est pour cela qu’avec la majorité territoriale, il nous semble fondamental que les questions économiques et sociales soit au cœur de la discussion institutionnelle.
 
- L’opposition objecte que l’autonomie n’est pas une réussite en Sardaigne. Partagez-vous cette opinion ?
- C’est bien pour cela que je n’ai pas demandé des études économiques comparatives. Si on ne fait que de l’analyse comparative, on trouve toujours le cas qui n’a pas marché. L’étude de Kyrn’Economics, au contraire, démontre des régularités statistiques. Elle démontre qu’en moyenne, pour les 80 pays analysés, la relation entre autonomie, notamment fiscale, et bien-être économique, social et environnemental, est positive. Quand à la Sardaigne, si elle a peut-être un PIB par tête moindre que celui de la Corse, elle a des performances économiques supérieures et une trajectoire d’investissement qui est particulièrement spectaculaire. La Sardaigne a un port international - le port de Porto Torres -, des aéroports internationaux très performants, une agriculture florissante qui exporte aux États-Unis depuis les années 70. Les fromages sardes, en particulier, ont été validés par la Food and Drug administration. La Sardaigne est en capacité d’avoir une autonomie alimentaire, et ce, dans un contexte environnemental où, je le rappelle, elle n’a pas d’eau, contrairement à la Corse. Or, malgré les difficultés de sécheresse, elle est en capacité de produire des fruits et légumes et de les vendre à sa population à des prix beaucoup plus bas qu’en Corse. Elle n’importe pas des biens venant d’ailleurs. Du point de vue de son bien-être, la population a, donc, à sa disposition pour son alimentation des biens de meilleure qualité et moins chers. La Sardaigne produit aussi de l’énergie. Vous voyez que tout est relatif.
 
- Donc, en conclusion, l’autonomie, ça marche ?
- Oui ! Je reste persuadée qu’aujourd’hui, la Sardaigne a une capacité de résilience, de gestion et de réaction par rapport à des chocs exogènes, comme celui du Covid, bien plus grande que la Corse.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.