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Lutte contre la précarité : L’Exécutif corse lance une conférence alimentaire pour l’accès à une alimentation durable


Nicole Mari le Vendredi 21 Janvier 2022 à 21:36

Dans le cadre du Plan Salvezza et de la lutte contre la précarité, la Collectivité de Corse a lancé, vendredi, au Spaziu Charles Rocchi à Biguglia, une conférence alimentaire qui a réuni, pendant toute une journée, tous les acteurs publics et associatifs concernés. L’idée est d’aborder la question alimentaire dans toutes ses dimensions sociale, sanitaire, écologique et économique, pour mieux cibler les actions et les besoins de financement. Après avoir présenté un panorama de l’aide alimentaire d’urgence en Corse, les participants ont réfléchi aux moyens de mettre en œuvre la démocratie alimentaire et l’accès universel à une alimentation durable pour tous, tout en identifiant les opportunités et les défis à relever pour garantir un système résilient.



La conférence alimentaire lancée par la Collectivité de Corse.
La conférence alimentaire lancée par la Collectivité de Corse.
Le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a doublé en Corse depuis le début de la pandémie du Covid. A cette crise d’une ampleur sans précédent qui a fortement aggravé les difficultés économiques et sociales des populations les plus fragiles vient se greffer une flambée des prix toute aussi inédite, non seulement du prix de l’essence et de l’électricité, mais aussi du panier alimentaire de base, due notamment à l’augmentation des prix des matières premières agricoles. Si la hausse est, pour l’instant, contenue en France, elle impacte cependant les produits premiers prix et à marque distributeur et devrait se poursuivre en 2022. C’est dire si la problématique est urgente et prégnante. C’est la raison pour laquelle l’Exécutif de la Collectivité de Corse a décidé d’en faire sa priorité de ce début d’année en lançant une conférence alimentaire sur le même modèle que la conférence sociale qu’il avait organisée en 2018 et qu’il va réactiver. « La société corse subit, depuis de nombreuses années, les conséquences d’un contexte social économique dégradé qui est renforcé depuis bientôt deux ans par une crise sanitaire sans précédent dont l’impact économique et social n’est pas encore mesurable. Le président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, va proposer une nouvelle conférence sociale qui sera élargie à la problématique liée à la cherté du prix de l’essence et aux demandes fortes de la population. Nous avons voulu commencer par l’alimentaire parce que la première chose dont ont besoin les gens qui sont vraiment dans la précarité, c’est de se loger et de pouvoir manger comme il faut. On s’est rendu compte que la précarité notamment alimentaire s’étend de plus en plus dans la population, de manière générale partout dans le monde, mais encore plus sur notre île », explique Bianca Fazi, conseillère exécutive en charge des affaires sociales et sanitaires. La CDC a, donc, convié, tous les acteurs institutionnels et associatifs de lutte contre la précarité, mais aussi des universitaires et des chercheurs, comme Dominique Paturel, chercheur en Sciences sociales à l’UMR-INRAE de Montpellier, qui travaille sur l’accès à l’alimentation durable pour les familles à petit budget.

Bianca Fazi.
Bianca Fazi.
Une dynamique nouvelle
Cette conférence alimentaire est présentée comme une déclinaison du Plan Salvezza, qui a été initié par l’Exécutif corse en réponse à la crise Covid et adopté en novembre 2020 par l’Assemblée de Corse. « Cette conférence doit constituer le point de départ d’une nouvelle dynamique essentielle pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés », affirme Bianca Fazi. Elle part, d’abord, de constats partagés par les acteurs présents dans la salle. Un taux de pauvreté à un niveau inacceptable de 20%, un nombre sans cesse croissant de familles monoparentales qui vivent sous le seuil de pauvreté, une hausse du chômage, une augmentation des minima sociaux, une accentuation de la pauvreté sur le territoire qui renforce les inégalités. « Ces constats nous obligent à l’impérieuse nécessité d’assumer notre rôle de chef de file et de proposer une réponse forte, novatrice, coordonnée et pragmatique. Il n’y a pas que les associations, que l’on finance, qui doivent le faire, il faut aussi que le politique soit au cœur de l’action. Il est très important que nous puissions avoir ces échanges autour d’une table ronde afin de décliner ce plan sur le terrain », précise-t-elle. « Il s’agit tout d’abord de penser et d’élaborer des dispositifs innovants, cohérents et efficaces avec un souci constant de garantir la sécurité alimentaire de tous en luttant contre la privation matérielle, de renforcer l’accessibilité de l’offre alimentaire auprès des plus démunis sur tout le territoire, notamment par des solutions de proximité, en valorisant également les initiatives locales. Le plan Salvezza nous donne des moyens financiers d’action. C’est important de financer une association qui a une idée. Nous invitons également les représentants des Chambres d’agriculture à mettre en place un partenariat sur les circuits courts afin de faire travailler nos producteurs et de donner de bons produits aux personnes en situation de précarité. Il nous appartient collectivement de nous engager dans la durée et de garantir à tous le droit à l’alimentation durable dans un contexte d’accroissement des besoins et de complexifications des situations sociales ».
 

Un nombre inconnu
Face à cette problématique large et complexe, la première séquence a été de présenter un état des lieux de l’aide alimentaire d’urgence dans l’île. Ce document de huit pages, réalisé par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi et des solidarités (DREETS) de fin 2020 à mi-2021, fait l’inventaire des structures de distribution de l’aide alimentaire, des acteurs, des associations caritatives, des communes qui ont des épiceries solidaires ou distribuent des paniers repas. Il en ressort que 90% de l’aide alimentaire repose sur des structures nationales ou locales, 41 centres de distribution ont été répertoriés sur l’île. Les associations sont surtout réparties sur les zones les plus denses. Une très grande majorité de la distribution se fait sous forme de colis ou de paniers. Les bénéficiaires sont principalement des salariés à bas revenus, des bénéficiaires de minima sociaux et des retraités. Ce sont souvent des familles monoparentales ou des personnes seules. L’étude établit une cartographie qui montre la complexité de la situation et identifie les zones blanches. Ce panorama bute sur un obstacle : l’impossibilité de comptabiliser le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire. « C’est une difficulté que l’on retrouve ailleurs et qui interroge sur le plan national. La tendance corse est que l’on est très en deçà de ce qui se passe dans les autres régions. Le taux de pauvreté monétaire est le plus élevé des régions métropolitaines, mais il y a, en Corse, une solidarité qui fait que l’on a moins besoin d’aide alimentaire », précise Didier Medori, Commissaire à la lutte contre la pauvreté auprès du Préfet de Corse. Néanmoins, cet état de lieux se veut un outil de base neutre pour repenser autrement l’approche de la précarité alimentaire et poser les jalons d’un modèle démocratique de l’accès à l’alimentation et à un droit à l’alimentation durable pour tous. Mais aussi d’identifier les opportunités pour l’avenir. Ce furent les sujets des deux tables rondes suivantes.
 
Une banque alimentaire ?
Dans la salle, les associations relayent une réalité de terrain préoccupante et pointent des déficits en produits, notamment le manque de fruits et légumes. Pour Dominique Corticchiato, responsable d’une unité territoriale d’action sociale, le seul moyen d’y pallier et d’être efficient est de créer une banque alimentaire : « Quand on parle de la mutualisation des moyens entre les associations, c’est un outil indispensable. Nous avons fait une étude en 2008, nous avons jugé cette création d’utilité publique, ce projet existe, il faut le remettre au goût du jour. La Corse est la seule région où cette structure n’existe pas ». Problème, répond Didier Medori, « Il est difficile de mettre en place une banque alimentaire, si on n’a pas ces indicateurs de quantification de l’aide. Il faut étudier cela sous l’angle de l’accès aux droits ». Réaction également fort courroucée du président de la Chambre d’agriculture de Haute-Corse, Joseph Colombani : « Vous ne pourrez pas faire de banque alimentaire ou d’aide alimentaire sans mettre dans la boucle les agriculteurs. A cette tribune, il n’y a ni l’ODARC, ni les Chambres d’agriculture, il y a un loupé ! Cela fait des années que les Chambres d’agriculture se battent pour faire des propositions qui ne sont pas écoutées. Notre profession aussi souffre de précarité : la moyenne des retraités agricoles corses est la plus basse de France ! ». Il fustige le Plan d’ambition qui « n’a, à aucun moment, présenté comme objectif chiffré d’atteindre l’autonomie alimentaire. Ce plan n’a pas été travaillé avec des professionnels et ne donne pas d’objectifs chiffrés clairs à atteindre ». Il demande que les propositions des agriculteurs soient prises en compte en matière d’accès au foncier, aux marchés, aux financements, à la formation et à la recherche. « On ne pourra pas résoudre le problème de la précarité, si on n’associe pas les agriculteurs, J’ai peur que notre travail ne puisse pas trouver d’issue ».

Un enjeu d’organisation
Pourtant, l’enjeu est majeur, comme le rappelle Nanette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse : « La crise Covid a permis de révéler qu’il y avait beaucoup de personnes en situation de précarité alimentaire, même si nous le savions déjà. La précarité alimentaire est d’autant plus difficile à supporter d’un point de vue social qu’il y a, par ailleurs, des excédents alimentaires. La véritable question, qui se pose, est celle de l’organisation pour mettre en relation les associations, qui font un travail extraordinaire, les personnes les plus précaires et ceux qui sont en capacité de produire et de distribuer au sein de l’économie ». Pour elle, il y a trois enjeux principaux : « Un enjeu organisationnel, un enjeu de solidarité évident et puis un enjeu de réflexion à moyen terme sur des circuits courts, comme on l’a déjà dit pendant la crise sanitaire. A partir du moment où l'on ne dépend plus de l’extérieur, où l’on est en capacité de produire ici et d’avoir des circuits de distribution du producteur au consommateur, peut-être peut-on aussi intégrer, dans ce schéma, les associations et au final, ceux qui en ont le plus besoin. C’est une question multidimensionnelle, fondamentale, si l’on veut construire une société équilibrée avec le moins de personnes laissées pour compte dans un contexte qui est quand même celui d’un pays développé ». Le débat a montré, qu’au-delà de l’aspect biologique, l’alimentation est surtout une question sociale. La conférence alimentaire a posé les jalons d’une réflexion globale et entend inscrire les expérimentations qui en découleront dans la durée. Cest pourquoi il est prévu qu’elle devienne un rendez-vous récurrent et annuel.
 
N.M.