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Jean-Baptiste Arena : « L’Etat ne peut pas mettre des lignes rouges en Corse et oublier le régime d’exception d’Alsace-Moselle »


Nicole Mari le Vendredi 29 Juillet 2022 à 22:57

Les lignes rouges fixées par Gérald Darmanin dans les discussions sur l’autonomie sont récusées en bloc par les Nationalistes. Jeudi après-midi, lors du débat sur l’autonomie à l’Assemblée de Corse, l’élu de Core in Fronte et maire-adjoint de Patrimoniu, Jean-Baptiste Arena, est notamment revenu sur le principe de la rupture d’égalité entre citoyens et sur le refus ministériel de deux catégories de citoyens sur le territoire français. Il objecte en citant le cas de l’Alsace-Moselle qui bénéficie d’avantages fiscaux et sociaux et surtout d’un concordat qui n’obéit pas au principe de la laïcité et de la liberté de culte. Et de conclure qu’il existe bien des régimes d’exception en métropole.



Jean-Baptiste Arena, conseiller territorial du groupe Core in Fronte et maire-adjoint de Patrimoniu. Photo Michel Luccioni.
Jean-Baptiste Arena, conseiller territorial du groupe Core in Fronte et maire-adjoint de Patrimoniu. Photo Michel Luccioni.
- Quel est votre sentiment sur la première réunion de Paris concernant l’avenir institutionnel de la Corse ?
- Si je me réfère à ce que m’a raconté Paul Quastana, qui était présent à la réunion, l’entretien sur la forme reste intéressant, mais nous avons tellement été déçus par un passé récent ou plus lointain que nous allons attendre de voir comment les choses avancent pour en juger. Et comme Paul l’a dit lors du débat dans l’hémicycle, jeudi après-midi, il faudra certainement faire des points d’étape pour savoir où nous en sommes. Si on ne peut pas les valider d’un point de vue législatif, puisqu’on ne peut pas à chaque point d’étape saisir le Parlement pour valider par une loi ce qui a été acté sur telle ou telle thématique, il faudra s'assurer au moins du consentement moral et politique du ministre de l’Intérieur, mais aussi de la Première Ministre. Je suis tout à fait d’accord avec Paul Quastana, on ne peut pas travailler et avancer pendant deux ans pour qu’au final, on nous dise que le Président de la République refuse le package global.
 
- Il y a quand même un risque que le Président de la République, qui doit trancher au final, raye tout d’un trait de plume ?
- Oui ! C’est le risque ! C’est pour ça qu’il faut faire un point d’étape et le valider au moins tous les six mois pour ne pas se retrouver dans deux ans avec une négation globale des discussions. Il y a un vrai risque de discuter deux ans pour rien ou pas grand-chose ! On ne pourra peut-être pas faire un point d’étape à chaque réunion, toutes les six semaines, mais, mais nous pensons qu’on peut valider, une fois par trimestre, ou au moins par semestre, de manière écrite, politique et publique, les thématiques qui ont été discutées et les avancées qui ont été actées, même si nous sommes tous conscients que c’est le Président de la République et le Parlement qui auront le dernier mot.
 
- Vous avez demandé une session spéciale de l’Assemblée de Corse sur la dérive mafieuse. Le ministre Darmanin a conditionné l’autonomie à l’éradication de cette dérive. Qu’en pensez-vous ?
- Je réponds au ministre que ce sont ses services et ses prédécesseurs qui, depuis 40 ou 50 ans, n’ont pas fait leur travail. Pour l’instant et jusqu’à preuve du contraire, nous n’avons pas en Corse de pouvoirs régaliens, nous n’en demandons pas, en tout cas pas à court et moyen terme. En tant qu’Indépendantistes, il est certain que nous les demanderons dans 50 ou 60 ans, mais aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Donc, si on comprend bien : jusqu’à présent, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes ! Et d’un coup, on oppose la mafia à notre demande d’autonomie. C’est un peu grossier ! Le ministre ne peut pas aujourd’hui prétexter l’existence de la mafia, même s’il ne veut pas prononcer le mot, je remarque qu’en 2022, à l’heure de l’Europe, ne pas prononcer des mots de nos voisins européens, c’est un peu malpoli et surtout déplacé de sa part, mais ça le regarde ! Je lui fais remarquer que nous n’avons pas l’autonomie et pourtant il y a bien un certain nombre de dérives mafieuses. En tout état de cause, le grand banditisme n’a pas prospéré ces cinq, six ou sept dernières années sous le pouvoir nationaliste. C’est un problème bien plus profond.  Il ne faut pas se réfugier derrière cette excuse pour mettre en préalable des discussions ces fameuses lignes rouges.
 
- La première ligne rouge, justement, est l’indépendance, mais ce n’est pas d’actualité ? 
- Exactement ! Que ce soit Josepha Giacometti pour Corsica Libera, Paul-Félix Benedetti et Paul Quastana pour Core in Fronte, aucun n’a parlé d’indépendance pendant la rencontre à Paris. À partir de là, je ne vois pas pourquoi l’État en parlerait ! Ensuite, attaquer une discussion en mettant déjà en préambule des lignes rouges, c’est plutôt maladroit ! Avec la question de l’indépendance, il y a aussi celles de la coofficialité de la langue corse et du statut de résident. Je fais remarquer que ces deux statuts ont été validés par une assemblée non nationaliste sous le mandat 2010-2015. Tout comme le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse). Cela veut dire qu’il n’y a pas que les Nationalistes qui sont montés au créneau sur ces sujets-là ces 10 ou 15 dernières années. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement met un veto d’entrée à certaines discussions et surtout à certaines thématiques, moyens et outils législatifs pour combattre la spéculation immobilière, la dépossession foncière et la perte de notre langue.
 
- L’autre ligne rouge est le refus de deux catégories de citoyens sur le territoire français. Vous lui objectez le cas de l’Alsace Moselle. De quoi s’agit-il ?
- Cette ligne rouge est inacceptable ! Elle est même limite méprisante ! Sachant que la Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un statut particulier qui lui donne une citoyenneté spécifique. Sachant que la Polynésie française bénéficie aussi d’avantages spécifiques. Beaucoup plus proche de nous, pas directement au niveau de la citoyenneté, mais au niveau de certains avantages fiscaux et sociaux et même culturels et cultuels, il y a l’Alsace Moselle. La liberté de culte est, quand même, à travers la loi sur la laïcité de 1905, une des pierres angulaires de la République française. Or, on sait très bien que trois départements de l’Alsace-Moselle bénéficient, depuis le début du XIXe siècle sous l’époque bonapartiste, à travers le Concordat, d’avantages sociaux et fiscaux, comme par exemple des droits spécifiques sur les faillites, mais surtout d’un régime particulier au niveau du culte. Ce qui, d’un point de vue républicain, argument que l’on nous bassine souvent, les met en marge de la République. On ne peut pas nous demander à nous, Corses, de mettre des lignes rouges sur nos propres revendications et nos problématiques, et oublier ce qui se passe dans d’autres départements en France, comme le Haut-Rhin et le Bas-Rhin qui bénéficient depuis des siècles de régimes pratiquement d’exception sur la laïcité.
 
- C’est-à-dire ?
- Dans ces départements, la liberté de culte n’est pas la même qu’ailleurs en France. Les prêtres, les pasteurs et les rabbins sont payés directement par l’État français et dépendent du ministre du culte qui n’est autre que le ministre de l’Intérieur. Ils peuvent même bénéficier des indemnités chômage. Certaines religions ne sont pas à égalité parce que la principale religion aujourd’hui en France, qui est la religion musulmane, ne bénéficie pas de ce concordat, puisqu’elle n’existait pas à l’époque au sein de la République. La religion est enseignée dans les écoles publiques. Le Vendredi Saint est jour férié. Jusqu’en 2017, le droit de blasphème était interdit en Alsace-Moselle, c’est le Conseil constitutionnel qui l’a aboli. Le concordat va encore plus loin : l’archevêque de Strasbourg et l’évêque de Metz sont nommés directement par le Président de la République. Le président français est le seul chef d’État au monde qui, aujourd’hui, nomme des prélats catholiques. Et pourtant personne ne s’en émeut ! Il y a même une faculté de théologie catholique et une faculté de théologie protestante à l’université de Strasbourg et un département de théologie à l’université de Lorraine à Metz. Ce sont les seules universités publiques françaises où la théologie est enseignée et qui participent à la formation des prêtres et des pasteurs, mais aussi de laïcs. Elles délivrent des diplômes d’Etat de théologie, ce qui n’existe nulle part ailleurs en France ! Cela veut dire que sur le territoire français, il y a des exceptions à la règle. Pourquoi n'y aurait-il pas d’exception pour la Corse !
 
- L’Etat peut répondre que cette spécificité alsacienne vient de son histoire tourmentée. Cela peut expliquer la différence ?
- Cet avantage n’a pas été donné en compensation de la guerre de 1870 et de la défaite de Sedan. C’est important de le dire ! Cela vient du fait que Napoléon Bonaparte voulait instaurer à l’époque un contre-pouvoir au Saint Siège, il a, donc, fait le concordat. Quand l’Alsace et la Moselle sont devenus allemandes, pendant près de 50 ans, ce droit est resté actif. Au retour de la Première Guerre mondiale, il a été validé par le Parlement français, revalidé par la suite et validé une dernière fois en 2003 par le Conseil constitutionnel. Ce droit est donc désormais acquis. Pourtant il touche un des piliers fondamentaux de la République française, à savoir la laïcité et la liberté de culte. Avec cette histoire de Concordat, on dépasse l’aspect politique et on rentre vraiment dans l’aspect sociétal et dans les fondements mêmes de la République française, à savoir la liberté de culte qui n’est pas la même pour tous les citoyens et surtout l’intervention directe de l’État dans l’église catholique, protestante et israélite. On ne peut pas nous imposer des lignes rouges et pas à d’autres. Ce n’est pas possible ! Ou encore nous dire que ce droit n’existe pas, c’est faux !
 
- Donc, pour vous, le principe de rupture d’égalité se fait toujours au détriment de la Corse ?
- Oui ! Trois départements qui sortent du cadre de la laïcité, ce n’est pas anodin, ce n’est pas rien ! Quand on se prévaut d’être un État laïque avec la séparation des trois pouvoirs, on ne peut pas faire une différenciation entre les cultes et entre les citoyens ! Lorsque, nous Corses, nous demandons de reporter la rentrée scolaire - ce que nous pourrions faire en cas d’autonomie et de pouvoir législatif - d’une seule semaine pour des raisons climatiques, mais aussi en raison de nos us et coutume parce que le 8 septembre est le jour de la Santa. À chaque fois, cela provoque une levée de boucliers des syndicats français de l’éducation nationale qui nous accusent de faire rentrer la religion dans le cadre éducatif et politique. L’Etat nous répond toujours la même phrase : « On ne peut pas ! ». Par contre, en Alsace-Moselle, il ne trouve rien à redire ! On ne peut pas faire des réponses à géométrie variable selon le positionnement politique ou géographique. En tant que Corses, ce qui se passe en Alsace-Moselle ne nous regarde pas. Nous n’avons rien contre ce Concordat et nous ne le remettons pas en cause. Ce sont des acquis que les Alsaciens ont obtenus et qu’ils ont bien raison de défendre, mais il est utile de rappeler au gouvernement qu’il existe déjà deux types de citoyens sur le continent français et qu’il doit autoriser nos spécificités.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.