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Rebondissement dans l’affaire de la Madone de Brando : Le tableau gardé comme séquestre


Nicole Mari le Jeudi 6 Avril 2023 à 18:53

L’étude De Baecque, qui était chargée de la vente aux enchères de la Madone de Brando, le 31 mars dernier, explique, dans un communiqué, qu’elle a été « contrainte » de différer la vente, dénonce un procédé « choquant » et affirme que le tableau « n’a jamais relevé du domaine public ». Elle annonce qu’elle garde le tableau comme séquestre et invite la commune de Brando, la collectivité territoriale de Corse et l’État à lui justifier les motifs d’une demande de restitution qu’elle juge « incompréhensible ».



La Madone de Brando. Document CNI.
La Madone de Brando. Document CNI.
« La Madone de Brando n’a jamais relevé du domaine public ». C’est ce qu’affirme l’étude de commissaires-priseurs De Baecque et associés, qui était chargée de la vente aux enchères du tableau de la Madone de Brando, prévue le 31 mars dernier à 14 heures à l’Hôtel Drouot à Paris. La vente a été retirée in-extrémis, suite à la contestation de la commune de Brando, de la Collectivité de Corse et de l’Etat. L’étude De Baecque dénonce le procédé : « La revendication tardive de la Madone de Brando dans la nuit précédant la vente prévue vendredi 31 mars à 14 heures, nous a contraints à reporter la vente de ce tableau. Ce procédé est particulièrement choquant alors que la vente était annoncée en amont et que la fiche détaille clairement les raisons excluant la domanialité publique dans ce cas très particulier ». Ce chef d’œuvre de la peinture du 16ème siècle, représentant la Vierge et l’Enfant Jésus, découvert dans le couvent franciscain de Brando, était estimé autour de 300 000 €. La Collectivité de Corse avait déjà provisionné près de 400 000 € et appelé, via la Fondation du patrimoine, au mécénat populaire pour « se donner toutes les chances de remporter les enchères » et obtenu du Ministère de la culture de revendiquer la paternité publique de l’œuvre.
 
Pas de doute !
Une paternité que l’étude De Baecque récuse, documents à l’appui : « Par chance, la provenance et les circonstances de la vente de ce tableau en 1839 sont parfaitement documentées par un dossier très complet aux archives de Corse. Au vu de ces éléments nous considérons que ce tableau ne relève pas du domaine public et que sa vente en 1839 est définitive ». Les commissaires-priseurs s’appuient sur les archives « établissent que ce tableau provient du Couvent Saint François de Brando, désaffecté, puis abandonné après la révolution. Contrairement aux biens des églises paroissiales qui sont entrés dans le domaine public des communes au moment du Concordat, les biens des églises supprimées ont été affectés aux fabriques paroissiales qui avaient le droit de les vendre ». Et de citer le décret du 30 mai 1806 qui, selon elle, ne laisse pas de place au doute : « Les églises et presbytères qui, par suite de l’organisation ecclésiastique, seront supprimés, font partie des biens restitués aux fabriques et sont réunis à celles des cures ou succursales dans l’arrondissement desquels ils sont situés ; ils pourront être échangés, loués et aliénés au profit des églises et presbytère des chefs lieu ». Avant de commenter : « La jurisprudence et les ouvrages du XIXe siècle confortent la clarté des termes de ce décret : les biens de églises supprimées constituent les biens propres des fabriques destinés à être aliénés en vue de procurer des ressources affectées aux églises paroissiales et presbytères ».
 
Une vente autorisée
L’étude déclare que c’est précisément dans ce cadre que le tableau a été vendu pour un prix de 600 francs or en 1839, une somme considérable à l’époque qui correspondrait à 250 000 euros aujourd’hui. « Cette vente a été autorisée par délibération du conseil de fabrique, approuvée par le maire de Brando, appuyée par l’évêque d’Ajaccio, ainsi que par les habitants de la commune qui ont compris que le prix de cette vente permettait de mener les dépenses indispensables à leur église que l’état du budget communal ne permettait pas d’engager ». Même si, précise l’étude, « ce tableau porte le récit de l’histoire d’un village corse dans la première moitié du XIXe siècle », le maire de Brando, selon elle, « présume son appartenance au domaine public par le fait qu’il se trouvait dans l’église. Mais cette présomption ne peut s’appliquer qu’à des tableaux qui appartenaient à la commune, ce qui n’était pas le cas de la Madone de Brando ». Elle rappelle « qu’il ne s’agit pas d’un bien soustrait frauduleusement à la propriété publique, mais d’une vente réalisée il y a près de deux siècles avec l’aval de la mairie de Brando et parfaitement connue de l’administration qui aurait pu la contester à l’époque, mais qui a choisi de ne pas le faire. Les archives documentent le fait que l’Etat décide d’interdire les ventes futures, mais décide de ne pas remettre en cause la vente de la Madone de Brando. Cette vente reçoit donc a posteriori l’aval du Préfet, du sous-préfet et du Ministre de l’intérieur ».

Une solution à l’amiable ?
Dans ces circonstances, l’étude de Baecque juge « assez miraculeux qu’une longue tradition familiale ait conservé le souvenir de cette provenance qui, sinon, aurait été définitivement perdue ». Elle estime que c’est « uniquement aux propriétaires actuels et à leurs ancêtres que l’on doit cette redécouverte et la connaissance détaillée de cette provenance ». Des propriétaires dont elle défend les intérêts et qui, indique-t-elle, « sont de parfaite bonne foi et ont agi de manière transparente ». Et conclut que « L’État et la commune ne peuvent pas balayer d’un revers de main la vente réalisée il a plus de 180 ans alors qu’elle leur était parfaitement connue depuis l’origine et qu’ils l’ont précédemment validée ». L’étude annonce donc qu’elle conserve le tableau « comme séquestre » et va inviter, dès cette semaine, la commune de Brando, la collectivité territoriale de Corse et l’État « à lui justifier les motifs d’une demande de restitution qui s’avère incompréhensible au vu des documents ». Elle se dit prête à échanger « sur une éventuelle solution amiable avant toute démarche contentieuse qui deviendra nécessaire si les considérations politiques prennent le pas sur les éléments matériels et juridiques ». Et prévient : « Dans le cas contraire, la décision sera contestée en justice et la responsabilité de l’Etat comme de la commune seront mises en cause ». Affaire à suivre...