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Carchetu : U Levante dénonce un projet d’exploitation de carrière de Verde d’Orezza, une roche emblématique


Nicole Mari le Lundi 27 Mars 2023 à 19:53

Jusqu’au 29 mars, une enquête publique est en cours concernant la demande d’autorisation de la Société corse de recherche et de valorisation des ressources naturelles (SOCOREVA) d’exploiter une carrière de « Verde d’Orezza » sur la commune de Carchetu Brusticu, en Castagniccia. Une exploitation qui, selon U Levante, pourrait porter atteinte à la biodiversité, le Vert d’Orezza étant une roche emblématique du patrimoine géologique de la Corse. L’Association de défense de l’Environnement a émis un avis défavorable.



Carchetu : U Levante dénonce un projet d’exploitation de carrière de Verde d’Orezza, une roche emblématique
« Une roche unique au monde et d’une beauté exceptionnelle en danger de disparition ». C’est en ses termes que l’association de défense de l’environnement, U Levante, qualifie « u Verdu d’Orezza », le « Vert d’Orezza », appelé également « « Verde di Corsica », une des deux pierres emblématiques du patrimoine géologique de la Corse avec la diorite orbiculaire de Santa Lucia di Tallà. « Le gisement de diorite orbiculaire a été pillé et … il est épuisé », précise U Levante, alors que celui du Verde d’Orezza « bien que très limité en volume, il n’est pas encore épuisé. Il a été exploité en carrière jusqu’au début des années 80 ». Pas épuisé, mais en danger de l’être, estime l’association de défense de l’environnement, par la potentielle reprise de l’exploitation d’une carrière sur la commune de Carchetu Brusticu, en Castagniccia. La Société corse de recherche et de valorisation des ressources naturelles (SOCOREVA) a déposé une demande d’autorisation environnementale en vue de cette exploitation qui fait l’objet d’une enquête publique jusqu’au 29 mars. U Levante a adressé à la Commissaire enquêtrice un avis défavorable et argumenté qu’elle vient de publier son site Internet.
 
Un matériau précieux
Si au Levante monte au créneau, c’est que cette roche striée de vert intense a été décrite au 19ème siècle comme la roche « la plus précieuse par le brillant de ses couleurs, de son tissu et de son beau poli ». Sa teinte varie énormément entre le vert issu de la smaragdite, le gris argent, le bleu ou le mordoré. Largement utilisé pendant la Renaissance par les artistes et les lapidaires italiens, u Verde d’Orezza est la matière première de nombreux objets d’art. Elle a notamment servi à construire le mausolée commandé par le prince Giovanni de Médicis dans la chapelle San Lorenzo, mais aussi à la confection de bijoux et de sculptures, et elle est largement présente dans la chapelle des Médicis. « Cette roche rare et exceptionnelle a donc une grande valeur pécuniaire. Depuis l’arrêt de l’activité de la carrière, cette roche est recherchée dans les éboulis et elle ne constitue aujourd’hui qu’un marché́ artisanal corse limité, lié à l’orfèvrerie », confirme U Levante. 
 
Un patrimoine à protéger
C’est en Castagniccia, que se concentrent les gisements, plus particulièrement sur trois communes de la région d’Orezza : Pietricaghju, Piupeta et Carchetu-Brusticu. La carrière de Carchetu, dont il est question dans l’enquête publique, a été exploitée régulièrement depuis l'Antiquité avec des traces qui remontent jusqu'à la préhistoire. « Le Verde di Corsica figure en bonne position dans l’inventaire du patrimoine géologique de la Corse et a vocation à devenir un géotope », ajoute U Levante.  « Les géotopes sont des monuments naturels d’intérêt géoscientifique qui méritent d’être protégés, des portions de la géosphère délimitées dans l’espace qui revêtent une importance géologique, géomorphologique ou géo-écologique particulière ». Avant d’indiquer que l’Arrêté Préfectoral de Protection de Géotope est un outil réglementaire de protection de la nature qui existe depuis fin 2015 et est entièrement dédié à la géologie. « Malheureusement, le périmètre figurant sur la fiche de l’inventaire du patrimoine géologique n’inclut pas les affleurements de Carchetu, objet de l’enquête publique en cours », déclare-t-elle.
 

Photo site U Levante.
Photo site U Levante.
Un site classé
Dans ce contexte, le projet de réouverture d’une carrière sur l’ancien lieu d’extraction et l’ouverture d’un nouveau front pourraient, selon U Levante « porter atteinte à la biodiversité » d’un site du Parc naturel régional de la Corse (PNRC). « Le projet est situé dans le PNRC, dans un réservoir de biodiversité, une zone boisée, un site inscrit, une ZNIEFF et un corridor de moyenne montagne de la trame verte et bleue. Il entraîne défrichements et impacts sonores importants : circulation de véhicules et activité continue des machines pour effectuer un sciage très long et très difficile » explique-t-elle. « Distantes de 160 mètres, deux plateformes d’extraction et de sciage des blocs sont prévues ». Avant de tacler un projet d’extraction sous-estimé : « Le volume de matériau à mettre en œuvre pour trouver des blocs homogènes et non fracturés pour être exploitables est très sous-estimé. De plus, la superficie de la plate-forme d’exploitation prévue n’est que de 400 m2 pour algeco, blocs en cours de sciage, machines, véhicules, et surtout pour le stockage des déchets, au volume conséquent, résultant de l’épannelage des blocs. Cette surface est donc elle aussi très sous-estimée ».
 
Un impact sur la faune
U Levante pointe l’impact environnemental d’un tel projet : « La création des zones d’exploitation et des pistes afférentes aura des impacts importants sur une faune protégée, en particulier sur des chiroptères - le grand rhinolophe -, des oiseaux - l’autour des palombes et le milan royal -, des amphibiens dont l’euprocte , des insectes dont un capricorne très rare : la Rosalie des Alpes. Et elle mettrait en danger le chat sauvage, u ghjattu volpe, qui vient d’être reconnu par l’Office français de la Biodiversité le 16 mars 2023 comme espèce spécifique à la Corse et qui devrait donc être inscrit sur la liste rouge corse des espèces protégées. Des mesures de conservation adaptées pour préserver son habitat sont impératives ». L'association fustige, ensuite, ce qu’elle appelle « le manque de sérieux des documents présentés à l’enquête publique. Il est curieux qu’aucune étude approfondie de géophysique ne soit jointe. Il n’est pas démontré l’ampleur des affleurements de roche ornementale. Comment dans ces conditions évaluer le tonnage ? La seule nouvelle étude pétrographique concerne le risque amiantifère. Il est regrettable qu’aucune étude détaillée du gisement ne figure dans le dossier. A-t-elle été réalisée ? À la lecture des documents, on ne sait pas si la plateforme 1 exploitera des chaos de blocs ou la roche en place ». Elle estime qu’une coupe pose problème : « En fait, la coupe présentée dans le dossier d’enquête publique ne concerne pas le projet de carrière de Carchetu Brusticu, mais l’affleurement protégé de Teppa A Teghiale ».
 
Des intérêts privés
U Levante conclut son avis en rejetant l’argument économique que représenterait la réouverture de la carrière. « Pour la société, comme d’habitude, l’intérêt économique pour la Corse est évident puisque des emplois sont à la clé. Hélas, l’affirmation fait rire quand on se penche sur le projet : les blocs seront extraits par des ouvriers spécialisés … qui viendront de Sardaigne. Ils seront ensuite expédiés en Italie, très précisément à Carrare, où ils seront débités. Par contre, cette roche ayant une grande valeur sur le marché des roches ornementales, les plaques sciées seront sans doute vendues à prix d’or au bénéfice de la société. Ainsi la Corse perdrait une partie de son exceptionnel patrimoine minéralogique au profit d’intérêts privés… ». Aussi l’association émet-elle « un avis très défavorable » à ce projet de carrière qui devrait, à la fin de l’enquête publique, être examiné par le Conseil des sites de la Corse.