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Logement : Les autonomistes bretons demandent un statut de résident pour lutter contre les résidences secondaires


Nicole Mari le Lundi 31 Mai 2021 à 18:05

« Un Manifeste pour un statut de résident en Bretagne ». Dans un livre paru en mars dernier, Nil Caouissin, professeur d’histoire-géographie et de breton et militant de l’Union démocratique bretonne (UDB), parti autonomiste qui compte une cinquantaine d’élus, s’inspire de la revendication corse pour lutter contre la forte pénurie de logements due au boom des résidences secondaires. Il explique, à Corse Net Infos, que, depuis la crise sanitaire, le littoral breton subit une tempête immobilière sans précédent, les biens en vente sont pris d’assaut et les prix flambent. La spéculation immobilière gagne même l’intérieur des terres. Résultat : les locaux ne peuvent plus, ni acheter, ni se loger. Nil Caouissin propose une solution simple : un statut de résident d’un an pour accéder à la propriété en Bretagne.



Douarnenez. (Photo libre de droit Christel SAGNIEZ de Pixabay)
Douarnenez. (Photo libre de droit Christel SAGNIEZ de Pixabay)
- Quel était votre but en écrivant ce livre ?
- Le manifeste pour un statut de résident en Bretagne traite uniquement du problème des résidences secondaires en Bretagne et de leurs conséquences sur la société bretonne. Il passe en revue plusieurs solutions, en particulier un statut de résident. Le problème des résidences secondaires sur les côtes bretonnes est ancien, nous avons suivi à l’UDB ce qui s’est passé en Corse, notamment la revendication du statut de résident en 2013. Ces propositions nous ont intéressés, nous les avons étudiés, mais nous avons mis du temps à les mettre sur le devant de la scène parce qu’il fallait les adapter au contexte breton qui est un peu différent du contexte corse. Finalement, cela s’est précipité avec le confinement et la crise sanitaire qui ont déclenché une tempête sur l’immobilier breton. Il y a eu beaucoup plus d’acheteurs qu’auparavant et des achats irréfléchis. Des gens se sont mis à acheter sans visiter ! Ce qui est nouveau, c’est qu’on ne peut plus acheter sur la côte bretonne, si on n’a pas des revenus très élevés, à moins d’avoir beaucoup de chance ! C’est la même chose pour arriver à louer.
 
- Vous dites qu’il y a eu une ruée, mais que c’est un phénomène ancien …
- Ce qui est ancien, c’est uniquement le taux des résidences secondaires qui est élevé sur la côte. Sur l’ensemble de la Bretagne, il n’est pas aussi élevé dans toutes les communes, il n’est globalement que de 16%, ce n’est pas énorme. Par contre, sur la côte, il monte en flèche ! Sur le département du Morbihan, par exemple, il atteint au total 20%, sachant que le Morbihan compte plus de 700 000 habitants. Dans le golfe du Morbihan, il monte jusqu’à 80 % ! Sur la côte Nord, c’est un peu moins, plutôt de l’ordre d’un tiers. Ce phénomène des résidences secondaires n’est donc pas nouveau en soi, mais il s’accélère avec la crise sanitaire. On n’a pas encore de recul sur les chiffres, mais ce qui est certain, c’est que des maisons sont mises en vente et partent très vite en moins d’une semaine, sans être visitées, parfois avec des prix totalement déconnectés des prix habituels. Et ce phénomène ne touche plus seulement la côte bretonne, même si c’est sur la côte où il reste le plus fort, il touche maintenant les terres. C’est ce qui est nouveau !

Nil Caouissin. Photo Auteur Pierre Morvan.
Nil Caouissin. Photo Auteur Pierre Morvan.
- Pouvez-vous mesurer la flambée des prix ?
- Oui ! Il n’est pas rare de voir des maisons partir à 400 000 €, alors qu’elles étaient, jusqu’à présent, cédées autour de 150 000 € ou 200 000 €. Les prix augmentent aussi bien dans l’ancien que dans le neuf, et même un peu plus dans l’ancien. Mais surtout, ce qui est frappant, c’est que les biens mis en vente partent très vite, et ça c’est nouveau !
 
- Les acheteurs sont-ils en majorité des gens qui ne sont pas bretons ?
- En partie oui ! Les acheteurs de la région parisienne sont les plus fortunés. Il y a aussi un phénomène interne à la Bretagne, c’est sans doute une différence avec la Corse, une partie des acheteurs sont aussi des Bretons, plutôt des habitants des métropoles qui ont des salaires élevés. Ils recherchent un pied-à-terre à la campagne ou sur la côte. Il y a donc, à la fois, des achats extérieurs et des achats internes à la Bretagne, mais pour les territoires concernés, le résultat est le même !
 
- C’est-à-dire ?
- Le problème, c’est que les gens, qui vivent et travaillent sur le territoire, ne peuvent plus acheter ou très difficilement. Il faut avoir un coup de chance énorme aujourd’hui pour acheter parce que les prix sont déconnectés des revenus moyens en Bretagne, en particulier en métropole et sur la côte ! Des jeunes, qui habitent un territoire depuis leur enfance, s’ils veulent acheter un bien, doivent partir. Il y a aussi la difficulté d’accès à la location. Quand beaucoup de logements sont achetés, soit pour de la spéculation, soit pour de la résidence secondaire, parfois couplée avec de la location touristique, cela réduit aussi l’offre de location. On a des exemples assez fréquents dans la presse locale. Par exemple, une infirmière embauchée à l’hôpital de Guingamp, qui cherche à louer aux alentours et qui ne trouve pas. Des gens, qui habitaient sur la côte du Pays de Retz en Loire-Atlantique, ont été obligés de partir à 20 km dans les terres pour acheter. C’est un phénomène nouveau par son ampleur ! Avant les secteurs, qui étaient touchés, étaient beaucoup plus restreints : c’était le golfe du Morbihan, par exemple. Maintenant, ce phénomène s’étend partout, surtout le littoral breton.

- Pour y remédier, vous proposez un statut de résident, version bretonne. De quoi s’agit-il exactement ?
- Le statut de résident breton a deux différences avec la revendication corse. D’abord, il ne s’appliquerait pas à l’ensemble du territoire de la Bretagne, mais se déclinerait par pays, sans doute en particulier dans les pays côtiers. Mais il faudrait aussi poser la question dans l’intérieur parce qu’on n’a pas encore de recul de l’effet Covid sur l’immobilier dans l’intérieur. Ensuite, la résidence serait plus courte. Ce statut pose pour principe que, pour avoir le droit d’acheter dans certaines communes, celles qui, par exemple, ont plus de 20 % de résidences secondaires, il faudrait vivre dans le pays concerné, c’est-à-dire à peu près à l’échelle de l’intercommunalité, depuis un an. Par exemple, pour acheter à Trégastel sur la côte de granit rose, il faudrait pouvoir justifier d’une résidence principale, que ce soit location de propriété ou hébergement qu’importe, dans le Trégor depuis un an. Pour acheter à Douarnenez, il faudrait justifier d’une résidence depuis un an en Basse Cornouaille. Avec ce périmètre-là, on arriverait à contrer l’essentiel de la demande en résidence secondaire et à faire baisser les prix.
 
- Comme le statut corse, votre demande se heurte au droit français. Que proposez-vous pour le contourner ?
- Nous proposons de passer par le droit à l’expérimentation, qui suppose une modification au moins locale du droit existant. De toute façon, il faut faire évoluer le droit. Là-dessus, pour nous, il n’y a pas de débat. Là où il y en a un, c’est sur le droit constitutionnel. Nous estimons que ce statut de résident n’est pas nécessairement contraire à la Constitution. Nous aimerions bien avoir un moyen pour le sécuriser en droit en passant par une loi. Je pense qu’une loi ordinaire, un profil d’expérimentation téléguidé par une loi, pourrait suffire, sans révision constitutionnelle. Il n’y a pas de discrimination, étant donné que n’importe qui, quel que soit son origine, pourrait finalement accéder à ce statut de résident. Comme en plus, plusieurs territoires d’Europe ont déjà un statut de résident, ce ne serait pas contraire au droit européen.
 
- Cette demande de statut de résident est-elle faite uniquement par votre parti l’UDD, ou est-elle soutenue par des maires, des associations… ?
- C’est une demande que fait mon parti, mais aussi la tête de liste écologiste EELV aux élections régionales, Claire Desmares-Poirrier, qui est alliée avec l’Union démocratique bretonne. Donc, ce n’est pas seulement la revendication de l’UDB, mais aussi des écologistes et des fédéralistes. À l’heure actuelle, elle n’est pas soutenue par des maires. Il faut dire qu’elle est assez nouvelle, le livre a été publié au mois de mars. Notre objectif est de l’inscrire dans le débat des élections régionales de manière à ce que les Bretons puissent en avoir connaissance. J’ai demandé aux différents candidats de se positionner. L’idée est d’avoir, d’abord, une grande discussion en Bretagne pour qu’ensuite, la région demande au gouvernement d’expérimenter cette mesure.
 
- Comptez-vous sur l’appui des Corses ou d’autres territoires ?
- Nous sommes solidaires de la démarche qui a été initiée historiquement en Corse là-dessus. Nous espérons qu’une coalition de territoires réussira à débloquer ce droit. J’ai vu que, sur la côte basque et en Savoie, il y avait aussi des tensions du même ordre. Je pense que si on est plusieurs territoires à le demander avec nos représentants, on a des chances de réussir à débloquer la situation, plus en tous cas que la Corse toute seule qui, malheureusement, ne l’a pas obtenu à l’heure actuelle.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.
 
Livre disponible sur la boutique en ligne de l'éditeur : 
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