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Gilles Simeoni : « Il faut impérativement réussir le processus qui va s’ouvrir parce que l’échec serait dramatique ! »


Nicole Mari le Jeudi 7 Juillet 2022 à 22:06

La première réunion d’ouverture du processus d’évolution institutionnelle de la Corse devrait se tenir le 20 juillet à Paris entre les élus insulaires et le ministre de l’Intérieur. Au préalable, Gérald Darmanin se sera entretenu en tête à tête avec le Président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, pour une reprise de contact après la double pause électorale. Et devrait venir dans l’île à la fin du mois. Gilles Simeoni, qui était jeudi après-midi au Parlement européen à Strasbourg pour une conférence-débat sur l’avenir de la Corse en Europe, a réaffirmé la nécessité d’une solution politique globale. Il explique à Corse Net Infos qu’on ne peut pas opposer l’aspiration politique de l’autonomie aux réponses à apporter aux problèmes du quotidien, les deux étant indissociables.



Gilles Simeoni, Président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, au Parlement européen à Strasbourg pour une conférence débat sur l'avenir de la Corse en Europe. Photo CNI.
Gilles Simeoni, Président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, au Parlement européen à Strasbourg pour une conférence débat sur l'avenir de la Corse en Europe. Photo CNI.
- Le Premier Ministre a fait, dans son discours de politique générale, une petite allusion à la Corse. Est-ce satisfaisant ?
- Je suis, bien sûr, satisfait sur le principe qu’il y ait eu, dans le discours de politique générale de la Première Ministre, une référence explicite à la Corse et au processus de discussion qui va s’ouvrir prochainement. Je note que cette référence est allée de pair avec celle consacrée aux Outre-Mer et à la Nouvelle-Calédonie. Au-delà des différences de situation, il y a, entre nous, un fonds commun politique, économique, social, historique, qui doit nous conduire à établir des synergies et une convergence pour que l’approche globale de ces problématiques soit engagée. À charge ensuite à chaque territoire et à chaque peuple de décliner ses propres demandes et sa problématique spécifique. Sur le contenu de la déclaration lui-même, les mots utilisés par la Première Ministre sont en deçà, au plan symbolique et au plan politique, de ceux utilisés par le ministre Darmanin lors de sa venue dans l’île en mars dernier sur mandat du Président de la République. Il n’y a, par exemple, pas de référence explicite à l’autonomie, ni à une solution politique globale. Il est indispensable que le processus s’enclenche désormais. Pour notre part, nous allons vers ce processus avec la volonté de réussir, mais en sachant que, pour l’instant, rien n’est acquis.

- Quel est le calendrier fixé ?
- Je vais, au préalable, dans les prochaines heures ou les prochains jours, avoir une rencontre en tête-à-tête à Paris avec Gérald Darmanin. C’est une reprise de contact puisque nous ne nous sommes pas entretenus directement depuis les élections présidentielles. La première réunion politique concernant l’ouverture du processus de négociation est normalement prévue le 20 juillet, également à Paris. Elle sera consacrée à la méthode et au calendrier. Elle réunira d’un côté de la table, le ministre et son équipe et de l’autre, les élus de la Corse. Gérald Darmanin a annoncé, lors d’une interview sur une chaîne télévisée qu’il envisageait de venir en Corse après la réunion, à la fin juillet. Au moment où je vous parle, je n’ai pas connaissance, ni d’une date précise, ni de ce que serait le contenu de cette visite.
 
- Que comptez-vous dire au ministre de l’Intérieur lors de ce tête-à-tête ?
- Ce sera l’occasion de reprendre contact, de refaire le point sur ce qui s’est passé depuis notre dernière rencontre qui remonte à mars dernier, et de réaffirmer ce que sont nos positions. Ces affirmations ne surprendront personne. Je ne dirai rien d’autre que ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire publiquement et à maintes reprises dans le cadre de la campagne électorale et devant l’Assemblée de Corse depuis ma réélection en tant que président du conseil exécutif. Ce sera l’occasion aussi d’un échange et d’une rencontre physiques qui sont toujours plus constructifs qu’un échange par téléphone ou par visioconférence.
 
- Allez-vous discuter en amont avec les élus corses en vue de la réunion ?
- Bien sûr ! En vue de préparer la séquence du 20 juillet à Paris, nous avons prévu une réunion ce vendredi avec la présidente de l’Assemblée de Corse et les présidents des groupes pour chercher à dégager une position commune sur la méthode et le calendrier.

- Le député Laurent Marcangeli vous a tendu la main lors de la dernière session de l’Assemblée de Corse. Comment réagissez-vous ?
- J’ai félicité Laurent Marcangeli, comme les autres députés de Corse, pour son élection. J’ai noté qu’il avait été élu président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, ce qui est une reconnaissance forte de la part de ses pairs et de son groupe politique. Je lui souhaite une pleine réussite dans l’exercice de son mandat au service de la circonscription qui l’a élu et plus globalement de la Corse. Ceci dit, nous avons des différences importantes au plan politique avec Laurent Marcangeli. J’espère néanmoins que, dans le respect des convictions des uns et des autres, il sera un relais de la Corse auprès du gouvernement dans les discussions qui s’ouvrent.
 
- Êtes-vous confiant ou inquiet ?
- Je l’ai dit souvent : on a laissé passer beaucoup trop de temps depuis décembre 2015. Ces sept années ont été caractérisées, par-delà les deux Présidences de la République qui se sont succédées, les divers gouvernements et Premier ministre, par un refus total de l’État de prendre en compte la question Corse dans sa dimension politique globale. Ce déni de démocratie réitéré, avec parfois des expressions qui ont confiné au mépris, a créé une situation de tension. Il faut impérativement réussir le processus qui va s’ouvrir parce que l’échec serait dramatique !
 

Photo CNI.
Photo CNI.
- Vous étiez, mercredi, au Parlement européen à Strasbourg pour une conférence débat sur l’avenir de la Corse en Europe. Quel est l’enjeu ?
- C’est un enjeu important. D’abord, parce qu’ont participé au débat des députés de pratiquement tous les groupes politiques représentés au sein du Parlement européen, des députés importants et charismatiques du Pays basque, de Catalogne, notamment Jordi Solé et le président Puigdemont, également les députés irlandais du Sinn Fein. Cela montre que la question corse intéresse à l’échelle européenne. Au-delà de notre poids démographique et économique qui est faible, la Corse est, d’un point de vue politique, considérée comme un territoire important au plan européen. Ensuite, venir au Parlement européen dans le contexte actuel permet de dépasser le tête-à-tête avec l’État qui, pour nous, a été stérile. Il s’agit de continuer d’expliquer ce que nous sommes, ce que nous voulons, porter le message de l’aspiration démocratique du peuple Corse, et trouver des soutiens. Renforcer les solidarités est un travail politique essentiel.
 
- Les députés européens ont taclé la psychorigidité de l’État français et vous ont souhaité bonne chance ! C’est dire la difficulté de la tâche ?
- Oui ! il faut, d’abord, rappeler que toutes celles et ceux qui étaient à Strasbourg sont tous des Européens convaincus. Nous croyons à l’idéal européen, même si nous considérons que l’Union européenne, dans sa forme actuelle, doit être améliorée de façon très significative au plan politique, économique et social notamment. Ceci étant, historiquement, l’Europe est beaucoup plus ouverte aux revendications linguistiques, à la prise en compte des identités nationales et des spécificités historiques et culturelles. Les députés européens présents à la Conférence sur la Corse, y compris les Français, regrettent globalement l’attitude de blocage de l’État français. C’est une attitude qui puise effectivement à un fond idéologique et culturel extrêmement prégnant, par delà les appartenances politiques. Et il est vrai que l’État français apparaît un peu anachronique à l’ensemble européen, tout comme son attitude vis-à-vis de la Corse, du fait démocratique et du suffrage universel qui s’est quand même exprimé à trois reprises en 2015, 2017 et 2021 de façon particulièrement claire. Ce blocage et ce déni démocratique apparaissent aux yeux des Européens de façon générale, notamment des députés, comme quelque chose d’incompréhensible.
 
- Le député vert, Yannick Jadot, qui était présent, estime que les Français ont du mal à comprendre l’autonomie. C’est toujours la même ritournelle qu’on vous oppose ?
- Oui ! C’est pour cela que j’ai rappelé que nous inscrivons notre démarche dans le fil historique du combat du peuple Corse pour la reconnaissance de son existence et de ses droits, et rappelé aussi que, pour nous, cet idéal et ce fil historique sont indissociables de la construction d’un projet de société qui se décline en termes très opérationnels. On ne peut pas opposer l’aspiration politique globale qui nous porte et notre volonté de répondre au mieux aux attentes des Corses, y compris dans les domaines de la vie quotidienne. Ces aspects forment un tout indissociable. La séquence politique qui va s’ouvrir avec l’engagement effectif, je l’espère, dans les prochains jours du processus de discussion avec l’État, nous permettra de démontrer que l’autonomie n’est pas un slogan, mais la traduction institutionnelle de notre aspiration à être en capacité, y compris au plan juridique et législatif, d’apporter des réponses à tous les enjeux et à tous les problèmes du quotidien des Corses : le social, la santé, la formation, le logement, la lutte contre la spéculation foncière et immobilière, la place de la langue dans la société, etc. Opposer l’un à l’autre, c’est n’avoir pas compris, et il faudra faire un travail de pédagogie. Mais, c’est aussi quelquefois feindre de ne pas comprendre ou d’essayer de façon artificielle, voire calculée, de trouver des arguments pour refuser de prendre en compte la question Corse dans sa dimension politique.
 
Propos recueillis par Nicole MARI.