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Réchauffement climatique : les lourdes conséquences de la canicule marine sur la pêche corse


Livia Santana le Vendredi 29 Juillet 2022 à 16:00

Une grande vague de chaleur marine touche la Méditerranée occidentale depuis fin mai, avec des températures exceptionnelles supérieures de 4 à 5 degrés aux normales comme à Alistro où la température de l'eau a atteint les 30,7 degrés le 22 juillet dernier. Cette chaleur a de fortes conséquences sur les espèces marines, notamment sur les thons et les espadons que les pêcheurs de l'île, selon les endroits, n'arrivent plus à trouver.



Photo port d'Ajaccio : Michel Luccioni
Photo port d'Ajaccio : Michel Luccioni
Où sont passés les thons rouges et les espadons ? Depuis un peu plus de deux semaines, c’est la question que se posent les pêcheurs de la région bastiaise, de la plaine orientale et de l’extrême-sud.
Avec une température de l’eau comprise entre 28 et 30 degrés pouvant même atteindre 30,7 degrés à Alistro, les poissons ont déserté les côtes corses. Dans ses filets, Daniel Defusco, pêcheur au port de Taverna et nouveau président du comité régional des pêches de Corse depuis le 1er juin, n’a plus grand-chose. « Les espèces pélagiques comme le thon rouge ou l’espadon qui vivent à la surface de l’eau, entre 20 et 30 mètres de profondeur aiment les températures comprises entre 23 et 24 degrés, au-delà, ils n’ont pas assez d’oxygène donc désertent ou vont en profondeur », explique le spécialiste du thon et de l’espadon qui, à cause de l’absence de poissons dans le port de Taverna a dû se déplacer plus à l’Ouest de l’île pour les suivre.

L’homme regrette ainsi les bonnes prises du mois de juin et celles des années précédentes et craint que cette situation persiste dans les années futures. « Nous n’avons aucune idée de ce qu’il va advenir de ces espèces, en tout cas, elles ne seront plus dans nos zones », lance le nouveau président des 176 patrons-pêcheurs de l’île. Pour faire face à ce changement, des professionnels de la pêche pensent à se déplacer. C’est le cas notamment de l’un d’entre eux basé habituellement à Solenzara, qui, n’ayant plus réussi à pêcher du thon, se pose la question de migrer à Ajaccio.

Pourtant, de l’autre côté de l’île, le constat est assez similaire sur d’autres espèces. « Ce ne sont plus les pêches des années précédentes, nous avons entre 40 et 50% de moins », se désole Xavier Dorazio, pêcheur de la cité impériale. Lui a remarqué une baisse considérable de dentis, de corbes, de chapons et surtout de la langouste. « Je suis allé lundi, mardi et mercredi à la pêche et je n’en ai pris aucune dans mes filets », déplore le marin qui avait remarqué le même phénomène lors de la canicule de 2003. En discutant avec ses confrères, le président des prud’homies d’Ajaccio l’assure : « c’est pour tout le monde la même chose cette année ».


De nouvelles espèces tropicales
Avec le réchauffement de l’eau, les pêcheurs ont aussi pu observer un autre phénomène : l’arrivée de nouvelles espèces se développant habituellement dans les eaux tropicales. A Centuri, Dume Strina, pêcheur depuis 13 ans, remonte dans ses filets depuis seulement quelques semaines la baliste, un poisson évoluant dans les eaux chaudes ainsi que des dorades coryphènes, une espèce à la chair blanche rosée, qui se vend plutôt bien et qui de plus en plus, est proposée à la carte des restaurants. « On en voyait très peu dans le Cap Corse, mais c’est de plus en plus courant », explique Dume Strina. Ailleurs en Corse, c’est l’arrivée du barracuda qui questionne le nouveau président des pêcheurs. « Normalement on le voyait arriver vers le mois d’août. Maintenant on retrouve aussi le mérou gris qui est un poisson intéressant. Le problème c’est qu’il ne faut pas qu’ils prennent la place des espèces endémiques à la Corse afin de préserver la biodiversité. »


La période de reproduction perturbée
Autre phénomène qui semble découler du réchauffement de l’eau, les périodes de reproduction des poissons pourraient être perturbées. C’est en effet ce que relève Daniel Defusco sur le rouget, le chapon et le denti qui habituellement sont remplis d’œufs en juillet. « Cette année ils n’en ont pas, il se passe quelque chose », affirme le président des pêcheurs. Pour bien appréhender les évolutions de leur métier et les changements, l’homme estime qu’il faudra mettre en place un programme scientifique sur la température de l’eau et ses conséquences en collaboration avec les laboratoires Stella Mare et Station de Recherches Sous-marines et Océanographiques de Calvi. En attendant, une seule solution pour eux, suivre les poissons et descendre dans les fonds, là où l’eau a perdu quelques degrés.