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Gestion des déchets : L’Exécutif corse propose aux intercommunalités des conventions d’objectifs et de moyens


Nicole Mari le Samedi 1 Octobre 2022 à 22:49

Aider financièrement les intercommunalités qui s’engagent dans le tri à la source et la diminution des biodéchets, c’est la proposition de l’Exécutif de la Collectivité de Corse sur la base de conventions d’objectifs et de moyens. Ces conventions, d’une durée de 6 ans, obligent les EPCI à désigner deux terrains pour traiter et valoriser les déchets. L’idée est de mettre en œuvre immédiatement les principales mesures du Plan de gestion des déchets, sans attendre son adoption finale qui devrait intervenir d’ici à 15 mois.



Le conseiller exécutif en charge des déchets et président de l’Office de l’environnement de la Corse (OEC), Guy Armanet, et le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Le conseiller exécutif en charge des déchets et président de l’Office de l’environnement de la Corse (OEC), Guy Armanet, et le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
« Notre volonté est de créer les conditions pour sortir de l’état systémique de crise des déchets et de régler définitivement cette question récurrente. Ce rapport est un pas important dans l’émergence d’un nouveau modèle ». Comme il l’a souvent martelé, le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, n’entend pas attendre l’adoption de la version définitive du Plan déchets, qui interviendra, au terme de la procédure légale, d’ici 12 à 15 mois, pour mettre en œuvre les principales mesures. Avec le conseiller exécutif en charge des déchets et président de lOffice de lenvironnement de la Corse (OEC), Guy Armanet, il a, en préambule de la session de l’Assemblée de Corse, jeudi matin à Aiacciu, présenté un rapport sur les conventions d’objectifs et de moyens entre la Collectivité de Corse, l’OEC, l’Ademe, le Syvadec et les intercommunalités. Le rapport, qui aurait dû être débattu l’après-midi même, a été renvoyé à la session d’octobre après l’interruption prématurée des débats, suite au refus de la demande de liberté conditionnelle de Pierre Alessandri. Les conventions, que l’Exécutif propose, seraient conclues pour une durée de 6 ans, renouvelable une fois. Elles s’appuient sur le principe donnant-donnant : aider techniquement et financièrement les intercommunalités, qui sont asphyxiées par le coût de la collecte des déchets, sous condition qu’elles portent des projets de territoire en adéquation avec les grandes lignes du plan. « La situation devient de plus en plus complexe pour les intercommunalités, notamment en termes de financement. Elles font face à une hausse de 4,4% par an depuis 10 ans, liée aux déchets. Nous avons décidé de ne pas attendre et de nous mettre au travail », précise Guy Armanet.
 
Des contrats d’objectifs
Quatre axes majeurs font figure de prérequis à cette aide : le premier est l’obligation pour chaque intercommunalité de mettre à disposition deux terrains qui serviront, « l’un au traitement des déchets, l’autre à la valorisation, soit pour plateforme de compostage, soit pour déchetterie ou recyclage. Bastia a une déchèterie, elle devrait en avoir trois. Aiacciu a une déchèterie, elle devrait en avoir quatre. Il faut que dans 4 ans, on double les déchèteries. C’est une clé importante. On s’est rapproché des intercommunalités, certaines ont déjà mûri des projets. Déjà deux intercos ont fait remonter des possibilités de terrain pour un centre de stockage, cela donne au Syvadec la possibilité de faire des études. Donc, les choses évoluent plutôt dans le bon sens », confie le président de l’OEC. Le second est la mise en œuvre d’une redevance spéciale incitative pour les professionnels et d’une tarification incitative pour les ménages. Le troisième est de généraliser le tri à la source des biodéchets de façon adaptée à chaque territoire. « Nous avons lancé une première opération d’entrée en guerre contre les biodéchets à la prison de Borgu où nous traitons 160 kilos/jour, ce qui permet de retirer 60 tonnes par an de l’enfouissement. Certes, ce n’est pas grand chose au regard des 140 000 tonnes enfouis chaque année, mais c’est un premier pas, surtout quand on sait qu’enfouir une tonne coûte 400 € », ajoute-t-il. Le quatrième axe est de former les élus et les agents techniques aux opérations demandées, comme le compostage : « C’est important d’avoir un cadre bien précis puisque le métier est en train de changer et que les collectes sélectives ne se font plus comme les collectes des ordures ménagères que l’on faisait hier. Les élus ont bien évidemment besoin d’accompagner la démarche. Il faut que les mentalités changent à tous les niveaux ». L’idée est de territorialiser fortement le traitement des biodéchets au plus près des territoires « et pas que les biodéchets de Bastia soient traités à Cargèse, on ne transporte que de l’eau ! ».

Le transport de déchets jusqu'à Viggianellu.
Le transport de déchets jusqu'à Viggianellu.
Des aides financières
En échange, les Intercos bénéficieront d’aides financières en fonctionnement et en investissement. Aux Intercos pilotes qui s’engagent sur les quatre prérequis et qui « disposent d’un projet de territoire innovant, pertinent techniquement et financièrement, permettant de réduire les tonnages destinés à l’enfouissement  », l’OEC apportera un soutien financier maximal de 80 % aux opérations d’investissements éligibles. « Tous les investissements adaptés, dont les études préalables, les matériels et les véhicules de collecte, les équipements de traitement des données, qui contribueront à la mise en œuvre opérationnelle de ce plan d’action se verront soutenus à un niveau maximum ». Pour les autres, l’OEC s’engage à les accompagner dans la définition de leurs besoins. « Une participation financière pouvant atteindre 80 % dans une étude d’optimisation du service public de gestion des déchets sera garantie par l’OEC ». Pour assurer le financement des projets, la Collectivité de Corse (CdC) mobilisera des crédits issus notamment du CPER (Contrat plan Etat-région) pour un montant annuel de plus de 3 millions d’euros gérés par l’Ademe et l’OEC. Ces financements croisés s’élèveront à 9,7 millions d’euros donnés par l’Etat et 9,7 millions d’euros donnés par la CdC sur 6 ans. S’y ajoutent « des fonds propres alloués à l’OEC à hauteur de 5 millions d’euros déjà budgétés pour l’année 2022. Au total, la CdC mobilisera près de 15 millions d’euros. C’est un accompagnement fort », indique Guy Armanet. Concernant le financement du restant à charge, les Intercos pourront faire appel à tout autre fonds financier de soutien, mais également au dispositif d’ingénierie financière qui sera initié à compter de 2023 par la Collectivité de Corse. Elles pourront également bénéficier de l’avance remboursable à l’investissement, déjà mise en œuvre dans le Fond Paese. « Nous ferons une clause de revoyure tous les ans pour vérifier si les projets correspondent au Plan territorial et les quantifier en termes de résultats dans la diminution des biodéchets. Le projet de territoire deviendra l’épine dorsale du Plan déchets », prévient le président de l’OEC. Le bilan d’évaluation se fera sur des indicateurs clés.
 
Un coup d’avance
« Nous avons un coup d’avance avec notre convention », se réjouit Gilles Simeoni, citant un rapport de la Cour des Comptes, publié la veille qui tacle la gestion des déchets sur le territoire national. « Ce rapport montre les difficultés de la gestion des déchets qui touche l’ensemble français, la trop grande complexité des procédures et une politique de réduction des déchets qui reste le parent pauvre. L’une des préconisations de la Cour des Comptes est de mettre en place une coopération spécifique avec les intercommunalités. C’est ce que nous sommes en train de faire, en dehors de nos compétences, puisque que notre rôle devrait se limiter à définir et à adopter un plan, mais nous souhaitons le faire pour construire une vraie politique concertée. Nous avons déjà budgétisé 5 millions € de crédits de paiement à cet effet ». L’idée est d’aller vite et d’accélérer le processus, notamment pour que les centres de stockages, capables de recevoir entre 2000 et 3000 tonnes de déchets, soient effectifs le plus rapidement possible : « Les habitants de Viggianellu et de Prunelli en ont ras le bol d’être les déversoirs des poubelles de Corse. C’est compréhensif. La contractualisation permettra de les soulager, de monter en puissance sur les biodéchets et d’avoir dans 24 mois des plateformes de compostage sur tout le territoire. Le second élément fort est de permettre l’émergence de nouveaux centres de stockage sous maîtrise publique », assure-t-il.

Le Collectif Tavignanu Vivu contre le projet de Ghjuncaghju.
Le Collectif Tavignanu Vivu contre le projet de Ghjuncaghju.
Non à Ghjuncaghju
L’objectif de l’Exécutif est d’ouvrir en 2026 le premier centre multifonction, mais cela suppose de négocier avec Paris, c’est même un des enjeux des discussions en cours. « Il faut des aménagements législatifs et réglementaires au système actuel en termes de délai, pour obtenir une réduction des délais administratifs, tout en maintenant bien sûr le plus haut degré d’exigence environnementale. Il faudra aussi des discussions de fonds sur la fiscalité, notamment la territorialisation totale ou partielle de la TGAP (Taxe générale sur les activités polluantes) et la reversion à 100 % des éco-organismes, comme dans les DOM-TOM, contre seulement 70% aujourd’hui en Corse », explique Gilles Simeoni. Il rappelle qu’il reste 42 millions d’euros au PEI (Plan exceptionnel d’investissements) : « Il faut un accompagnement financier au bénéfice des intercommunalités et réfléchir à un nouveau système vertueux. Pour nous, ce système vertueux de gestion des déchets doit placer la maîtrise publique au cœur de son fonctionnement ». Le président de l’Exécutif martèle son opposition au projet de centre d’enfouissement de Ghjuncaghju : « On ne souhaite pas qu’il ouvre ses portes. On ne souhaite pas que des privés aient des monopoles en termes de stockage et de transport des déchets ». Le changement de préfet permet d’apaiser les tensions sur le sujet. L’actuel préfet de Corse a accepté le principe de 4 à 5 centres de stockage supplémentaires. « De toute façon, la loi oblige à valoriser au maximum les déchets et impose à l’horizon 2035 une limite d’enfouissement de 18 000 tonnes, le fossé est colossal avec les 180 000 tonnes que la Corse enfouit actuellement ». Pas question non plus pour le président Simeoni d’ouvrir le débat des CSR (Combustible solide de récupération) qui pourrait amener un bras de fer avec le préfet au risque de faire annuler le Plan.
 
Une prise de conscience
Restent les divergences de vues avec le Syvadec et la CAPA qui suivent leur propre trajectoire basée sur deux centres de sur-tri. Le Syvadec a lancé deux appels d’offres de 130 millions € sur la commune de Monte et sur la CAPA qui posent, pour l’heure, un problème de financement. L’Exécutif corse ne compte pas mettre la main au pot, sans pour autant vouloir entrer dans une logique de confrontation institutionnelle. Guy Armanet se veut rassurant : « Chacun a une trajectoire, mais les trajectoires finissent toujours par se rejoindre. Le Syvadec a adhéré à la convention que l’on présente, on finira par trouver des passerelles intéressantes, il faut que l’on apprenne à travailler ensemble. La Collectivité de Corse a probablement la possibilité de conventionner avec le Syvadec pour qu’on puisse l’accompagner dans toutes ses démarches tout en ayant un droit de regard, on ne paiera pas à l’aveugle ». Pour lui, les choses sont arrivées à maturité et doivent se mettre en route tranquillement. « Il y a une prise de conscience. Les intercos sont bousculées certainement par l’aspect financier et par le cadre réglementaire. Nous avons peut-être aussi mis un peu plus de pédagogie. Elles ont l’air d’adhérer plus facilement au projet que l’on présente. Il y a un autre état d’esprit. De toute façon, les objectifs deviennent impératifs. Le but est aussi de réduire la facture du contribuable ». Le président de l’Exécutif se veut, lui aussi, optimiste et pragmatique : « Il n’y a pas de solution unique. Il faut amorcer la pompe. Il faut démontrer aux gens que le geste de tri est efficace, il faut qu’ils voient les résultats ». Une campagne de sensibilisation sur les biodéchets sera prochainement lancée dans les collèges et les lycées.
 
N.M.