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Les œuvres pour violon du compositeur corse Henri Tomasi en CD


Jeanne Leboulleux-Leonelli le Samedi 29 Octobre 2022 à 16:20

L’intégrale des œuvres pour violon du compositeur corse Henri Tomasi n’avait jamais fait l’objet d’un enregistrement. Une négligence que son fils Claude, promoteur passionné des compositions de son père au sein de l’association Henri Tomasi, vient de réparer : elle est sortie cette année en CD, chez Naxos, portée par d’excellents interprètes – Stéphanie Moraly au violon, Romain David au piano et l’orchestre de la Garde républicaine dirigé par Sébastien Billard.



Claude Tomasi (Photo J. L-L)
Claude Tomasi (Photo J. L-L)
Une tradition familiale
La Corse a été le berceau de figures illustres dont la renommée a fait le tour du monde. Henri Tomasi figure parmi celles-ci. Mais s’il a consacré sa vie à la musique, il le doit pour beaucoup à son père, Xavier, qui n’a eu de cesse de voir son fils devenir musicien.
Natif de Penta-di-Casinca, Xavier Tomasi était lui-même flûtiste – premier prix du conservatoire de Marseille où la famille s’installe en 1900 – et surtout folkloriste – une appellation quelque peu désuète aujourd’hui, mais qui reflète bien l’esprit de ce début de siècle. C’est en effet Xavier Tomasi qui a publié la première anthologie de chants traditionnels corses, puis une seconde, plus connue : Les chansons de Cyrnos. Il s’essayait lui-même à la composition. « Il avait un ami à Bastia, Cecconi, un avocat je crois, qui était grand amateur de musique, se souvient Claude Tomasi. Il a dû jouer un rôle dans cette orientation ».  


Racines musicales…
Toujours est-il que Xavier Tomasi inscrit son fils au conservatoire de Marseille dès l’âge de six ans, alors que l’enfant, et plus tard l’adolescent, ne rêve que d’une chose : devenir marin comme ses oncles qui vivent au Panier, le quartier corse de Marseille. Une façon sans doute d’échapper à une éducation rude, sévère, qui le menait vers une voie qu’il n’avait pas choisie…
Mais l’adolescent témoigne manifestement de facilités au piano. Comme il faut bien gagner sa vie, son père est devenu facteur. Au fil de ses tournées dans les riches villas de Mazargues où il distribue son courrier, il parle de ce fils au talent prometteur : « Mon père en a beaucoup souffert. Il me disait : “Il faisait de moi un animal savant pour les bourgeois de l’époque.” »
La famille a des ressources modestes : dès 16 ans, Henri doit travailler comme pianiste pour rapporter un peu d’argent à la maison. Il joue dans les grands hôtels de Marseille – notamment La Réserve –, dans les premiers cinémas muets – où l’on accompagne les films en musique – et surtout dans… les maisons closes de la ville. « Ça l’a beaucoup marqué. Nous étions en 1917. C’était les débuts du jazz. Avec les marins américains, il y a appris des airs populaires. Ils réclamaient du foxtrot… Un air aussi l’a profondément touché et il le jouait souvent : Les roses de Picardie, qui sera plus tard repris par Yves Montand. Cette expérience humaine lui a donné le sens de l’improvisation, de l’invention  ».  


La Corse : première source d’inspiration
Toutes les racines musicales qui vont nourrir les compositions d’Henri Tomasi sont déjà présentes : une formation classique, au conservatoire, qui lui donne les premières bases. Le jazz. Et bien sûr la culture corse qui baigne toute son enfance :  avec ses parents – sa mère est une Vincensini de Cervioni – ; avec ses séjours au village – Penta ou Loretu –, où il passe toutes les vacances, et pendant lesquels sa grand-mère lui chante des chants traditionnels.
Après son prix de piano et son prix de solfège, quoi de plus naturel que de poursuivre sa formation dans le prestigieux Conservatoire de Paris ? Il quitte ainsi Marseille en 1920 pour étudier la direction d’orchestre et la composition, tout en continuant à jouer dans les hôtels, comme le Lutetia, ou le fameux café du Rat-mort, à Pigalle. En 1927, il remporte le grand prix de Rome de composition et le premier prix de chef d’orchestre à l’unanimité.
Il va ainsi entamer une double carrière, à Paris. Mais s’il s’est éloigné géographiquement de la Corse, son cœur y reste attaché : « Ses premières œuvres sont toutes corses : notamment la fugue variations sur un thème corse qu’il compose en 1925 pour quintette à vents, et qui est encore aujourd’hui très jouée dans le monde. Il était très fier car, disait-il, “c’est la première fois qu’on entendra une fugue corse”. Mais aussi le concerto pour deux pianos Cyrnos, qui a tout de suite rencontré beaucoup de succès ; le poème symphonique Vocero. Et d’autres mélodies corses… La musicologue Emmanuelle Mariini, qui a travaillé sur ses œuvres, explique que même dans celles qui n’ont pas de titre corse, on retrouve des thèmes… Ou bien c’est la structure, comme dans le titre Paghiella, qui est l’une de ses œuvres pour violon : elle parle d’une construction tuilée, comme pour les paghjelle. N’oublions pas non plus que mon père est le premier à avoir harmonisé le Dio vi salve ! ». Henri Tomasi ne perd pas contact avec son île d’origine : il y poursuit ses séjours, durant les vacances. Il y organise son voyage de noces, en 1929.
 
Le déclenchement de la seconde guerre mondiale l’ébranle profondément. Après sa démobilisation, il quitte sa femme et rentre chez ses parents, à Marseille où il va devenir second chef d’orchestre de l’Orchestre national. Commence alors une période que l’on pourrait qualifier de “mystique”, au point qu’il songe à devenir moine. Il compose alors des œuvres religieuses : la Première Symphonie de l’Apocalypse, son Requiem, mais surtout son chef d’œuvre, l’opéra Don Juan de Mañara, d’après la pièce de théâtre du poète Oscar Milosz. « C’est l’œuvre la plus jouée dans le monde, avec le concerto pour trompette », une œuvre qui, elle aussi, se rattache à la Corse de façon pour le moins inattendue. L’histoire, basée sur une réalité historique, rapporte la rédemption d’un noble sévillan d’origine corse, né en 1627, qui abandonne son existence de débauché pour mener une vie de sainteté. On peut toujours voir sa tombe à Séville.   
Cette période mystique prendra fin avec la guerre, les horreurs, dont l’opinion prend alors conscience, lui ayant fait perdre la foi.
 
S’impliquer dans le siècle
Après neuf ans à la direction d’orchestre – en France, et aussi ailleurs en Europe, dans des formations prestigieuses comme l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam ou l’Opéra de Montecarlo, sa santé l’oblige à mettre un terme à cette activité : « Ce sera providentiel, estime son fils, car il va pouvoir se consacrer à la composition ».
Henri Tomasi est un homme d’une vraie profondeur qui ne peut s’empêcher de relier ses réflexions à la musique qu’il compose : si la beauté de la Corse a irrigué ses premières œuvres, si la religion a sous-tendu sa deuxième période créatrice, au cours de la dernière période de sa vie, il va renouveler son écriture, la relier à des événements ou des textes contemporains porteurs de sens, en une sorte de “musique engagée”. Il s’y était déjà essayé en 1931 avec Tam-tam, une œuvre qui sacrifiait, certes, à l’attirance de l’époque pour les pays d’Orient, mais traduisait déjà une position anti-colonialiste.
Après 1956 et jusqu’à sa mort en 1971, il va ainsi composer un drame lyrique basée sur le Silence de la Mer – il sera d’ailleurs très ami avec Vercors –, un Concerto pour guitare à la mémoire du poète assassiné Federico Garcia Lorca, une Symphonie Tiers-monde inspirée d’un poème d’Aimé Césaire, un Chant pour le Vietnam et un Retour à Tipasa sur un magnifique texte d’Albert Camus… La Corse ne sera pourtant pas oubliée dans cet ensemble, avec, en 1956, le remarquable Sampiero Corso, un opéra qui synthétise sa connaissance des œuvres corses.
 
Du lyrisme avant toute chose…
Si, dans l’entre-deux-guerres, Henri Tomasi adhère au groupe musical Triton, aux côtés de Darius Milhaud, Serge Prokofiev, Arthur Honegger ou Francis Poulenc, « il a toujours été fondamentalement indépendant. Par son caractère, il n’aimait pas faire partie d’une chapelle ». La musique qui l’intéressait, était celle des périodes postérieures au XIXe siècle. « Il avait une forme de romantisme. Le lyrisme était fondamental à ses yeux, même avec une écriture plus contemporaine. Une musique qui exprime des émotions, qui chante. Le compositeur – et autre Grand prix de Rome – Florent Schmitt, a d’ailleurs dit de lui : “Enfin quelqu’un qui a un peu de lyrisme !” Il aimait beaucoup Duckas, Ravel, Debussy, Bizet et Rimski-Korsakov. Puccini, bien sûr… Et André Dutilleux, plus jeune et plus moderne que lui. »
 
Le retour aux sources
L’intégrale des compositions pour violon qui sort cette année, retrace à sa manière ce long parcours – à l’exception de la période mystique. « Quand j’ai fait écouter à la violoniste Stéphanie Moraly le Concerto “périple d’Ulysse” – la seule œuvre pour violon dont il existait un enregistrement radiophonique, avec l’excellent Devy Erlih au violon –, elle m’a demandé immédiatement s’il existait d’autres partitions. Elle voulait faire quelque chose de complet ! »
 
Après la Libération, Henri Tomasi n’est revenu en Corse que deux fois : en 1953 et 1956, pour faire découvrir à son jeune fils ce pays qu’il aimait tant. Il ne supportait pas que la Corse soit devenue une sorte de désert culturel et musical, après le bombardement du théâtre de Bastia. « Il n’a pas connu le Riacquistu », souligne Claude Tomasi.
Mais ses cendres ont été rapatriées au cimetière de Penta en 2001, avec pour épitaphes, une citation d’Albert Camus et les premières mesures de son Concerto pour trompette gravées dans le marbre. A cette occasion, un hommage lui a été rendu par la municipalité.
Car, peu à peu, les Corses redécouvrent ce compositeur dont le Conservatoire de musique de Bastia porte déjà le nom : en 2019, deux court-métrages ont été réalisés, l’un en corse, l’autre en français, par les collégiens de Biguglia, à l’initiative d’Emmanuelle Mariini. Et une conférence musicale organisée l’an passé à Folelli… Cet enregistrement vient donc à point nommé…
 

Les cendres de Henri Tomasi ont été rapatriées à Penta-di-Casinca en 2001, avec pour épitaphes, une citation d’Albert Camus et les premières mesures de son Concerto pour trompette gravées dans le marbre
Les cendres de Henri Tomasi ont été rapatriées à Penta-di-Casinca en 2001, avec pour épitaphes, une citation d’Albert Camus et les premières mesures de son Concerto pour trompette gravées dans le marbre