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Barreau de Bastia : Les avocats en grève d'audience


Nicole Mari le Mercredi 2 Octobre 2013 à 22:36

Vendredi, les avocats du barreau de Bastia, comme leurs collègues d’autres barreaux français, feront grève pour protester contre divers projets de loi qui grignotent certaines de leurs prérogatives. La contestation monte et risque de se durcir, notamment sur la baisse de l’aide juridictionnelle. A 8h30, une motion, adoptée par le Conseil de l’ordre local, sera lue sur les marches du Palais de justice. Explications, pour Corse Net Infos, de Me Josette Casabianca-Croce, bâtonnière du barreau de Bastia.



Me Josette Casabianca-Croce, bâtonnière du barreau de Bastia.
Me Josette Casabianca-Croce, bâtonnière du barreau de Bastia.
- Pourquoi faites-vous grève ?
- Depuis quelques mois, des projets de loi remettent en cause la profession d’avocat et visent à lui retirer certaines prérogatives dans plusieurs domaines.
 
- Lesquelles ?
- D’abord, le législateur envisage d’habiliter les associations de consommateur à mener des actions de groupe devant les tribunaux. Or, devant un Tribunal, ce sont les avocats qui plaident. Ce projet de loi vise, une fois de plus, à nous déposséder de notre domaine naturel qui est, quand même, d’intervenir pour le justiciable aux audiences.
 
- Quel autre domaine est visé ?
- Un autre projet de loi, plus récent, vise à confier la cession de parts de sociétés civiles immobilières (SCI) aux notaires par le biais de la rédaction d’actes authentiques. Jusqu’à présent, les cessions de parts peuvent être faites par les avocats par acte sous seing privé. Si ce projet de loi passe, cela signifie qu’un nouveau domaine va encore échapper aux avocats.
 
- Quel est le point qui fait particulièrement polémique ?
- Le troisième point sur lequel la contestation est en train d’enfler et risque de se durcir. Dans le projet de loi de finances 2014, le gouvernement envisage de modifier l’unité de valeur en matière d’aide juridictionnelle totale. Aujourd’hui, les unités de valeur varient en fonction des barreaux pour tenir compte de certaines contraintes. Le projet gouvernemental vise à augmenter légèrement l’unité de base et à unifier les unités de valeur dans tous les barreaux. Ce qui va, en réalité, diminuer le montant de la dotation d’aide juridictionnelle dans certains barreaux, notamment le barreau de Bastia.
 
- Pourquoi cette aide juridictionnelle n’est-elle pas uniforme ?
- Parce qu’à l’époque, le coût des structures des cabinets d’avocats n’était pas identique pour toute la France. Ce coût pouvait varier en fonction de la localisation géographique, de la situation dans les grands centres urbains où les cabinets étaient plus structurés et pouvaient mieux faire face aux contraintes. C’est pour cette raison, pour que ce soit égalitaire, que nous avions prévu un régime différent qui aboutissait à cette égalité. Aujourd’hui, dans un souci de simplification administrative, le gouvernement souhaite la possibilité de moduler l’unité de valeur de référence du barème de l’aide juridictionnelle.
 
- Qu’est-ce qu’une unité de valeur ?
- L’unité de valeur détermine le paiement d’un avocat dans le cadre de l’aide juridictionnelle. Aujourd’hui, le barreau de Bastia a une unité de valeur de l’ordre de 8 devant le Tribunal correctionnel, multipliée par 24,20 €. Le total forme l’indemnisation de l’avocat. Si le projet de loi passe, l’aide s’élèvera à 22,84 € x 8 unités de valeur. En réalité, sous couvert d’une augmentation de l’unité légale, certains barreaux, comme celui de Bastia, verront diminuer l’aide juridictionnelle pour les avocats.
 
- Pourquoi cette uniformisation des unités de valeur ?
- C’est une façon pour la Chancellerie de récupérer une partie de la contribution à l’aide juridique du fameux timbre à 35 €. Les justiciables, lorsqu’ils font une action en justice, doivent, jusqu’au 31 décembre 2013, payer un timbre fiscal de 35 €. Le ministre de la justice a estimé que ce timbre ne favorisait pas l’accès au droit puisque les citoyens, qui sont juste au-dessus de l’aide juridictionnelle, ne peuvent pas mener leur action en justice. Le timbre est supprimé. On refinance une partie du manque à gagner par le biais de cette redistribution des unités de valeur en matière d’aide juridictionnelle.
 
- Ce sont donc les avocats qui payent la facture ?
- Oui. C’est encore à notre charge ! Il y a quelques mois, nous étions intervenus parce que Christiane Taubira voulait refinancer les 35 € en prélevant une somme sur le chiffre d’affaires des professions juridiques. Ça a déclenché le tollé de la profession qui a dit : « non ». Nous contribuons déjà à la mission de service public en faisant de l’aide juridictionnelle alors que nos cabinets ne peuvent pas supporter ces coûts forfaitaires. Nous avons fait savoir que nous n’accepterons pas de rajouter une taxe supplémentaire. Apparemment, ce projet a été abandonné. Mais, le financement de la contribution à l’aide juridique revient sous cette nouvelle forme.
 
- La fronde est-elle générale ?
- Oui. Un vent de contestation souffle sur tous les barreaux. Certains ont déjà débrayé sur des mouvements de grève, notamment tous ceux du Nord de la France : Lille, Arras, etc. D’autres ont déjà réuni des Conseils de l’ordre extraordinaires, comme nous l’avons fait à Bastia, aujourd’hui, pour nous positionner en vue de l’Assemblée générale extraordinaire du Conseil national des barreaux qui aura lieu le 4 octobre et à laquelle j’assisterai. Au cours de cette assemblée, Christiane Taubira va intervenir. Ces mouvements de contestation sont l’occasion et le moyen de lui dire que nous n’accepterons pas ce projet de loi de finances 2014 sous cette forme.
 
- Est-ce un moyen de pression avant l’assemblée générale ?
- Oui. Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire à envisager des actions collectives avec l’ensemble des barreaux pour lui dire : non ! Plusieurs barreaux ont, comme nous, déjà pris des mesures de grève totale des audiences, le 4 octobre. Nous avons voté une motion où nous réclamons le retrait des textes concernés. Pour défendre la profession  d’avocat et l’intérêt de l’avocat, nous irons jusqu’à mener un tas d’actions pouvant aller jusqu’à l’arrêt total des missions d’avocat.
 
- Le barreau d’Ajaccio sera-t-il aussi en grève ?
- Je suis en relation avec le bâtonnier du barreau d’Ajaccio qui est informé de ce qui se passe à Bastia et au plan national. C’est très grave.
 
Propos recueillis par Nicole MARI