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Emile Zuccarelli et Jean Baggioni : deux "politiques", deux hommes au cœur du drame de Furiani


Pierre-Manuel Pescetti le Samedi 30 Avril 2022 à 19:26

L’un était ministre des Postes et des Télécommunications et maire de Bastia, l’autre nouvellement élu président du conseil exécutif de Corse. Présents à Furiani, le soir de la catastrophe du 5 mai 1992, Émile Zuccarelli et Jean Baggioni racontent. L’horreur qui efface les titres et place chaque homme au même niveau avant d’endosser le costume de personnalité politique de premier rang et de faire face, en mettant de côté ses propres émotions.



5 mai 1992 : Émile Zuccarelli et Jean Baggioni racontent (Photo Gérard Baldocchi)
5 mai 1992 : Émile Zuccarelli et Jean Baggioni racontent (Photo Gérard Baldocchi)
Le regard est tourné vers les immenses fenêtres qui donnent sur la place Saint-Nicolas de Bastia. Émile Zuccarelli fouille au plus profond de ses souvenirs. « Le matin du 5 mai 1992 ? Je ne me souviens pas précisément de ce que je faisais », souffle-t-il avant d’ajouter : « il me semble être arrivé à Bastia le 4 mai au soir ». Alors ministre des Postes et des Télécommunications depuis un mois dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy, l’ancien maire de Bastia, qui avait retrouvé à Furiani Bernard Tapie, président de l'OM et ministre de la Ville, se souvient parfaitement de la soirée du 5 mai 1992. Il soupire, marque un temps d’arrêt et fixe ses mains entrelacées : « l’un des pires souvenirs de ma vie ».

Jean Baggioni s’enfonce dans son canapé de rouge, silencieux. L’évocation de cette date du 5 mai 1992 tire ses traits. La mine grave, l’ancien président du conseil exécutif de Corse a posé ses mains sur ses cuisses : « je pourrais parler de politique pendant des heures mais ce drame me laisse sans voix. Même trente ans après, je n’ai pas les mots pour décrire l’horreur de cette soirée ». À 82 ans, Jean Baggioni se souvient des allers-retours quasi-quotidiens entre Bastia et Ajaccio, entre son domicile et son nouveau siège de président de l’exécutif, et à chaque fois la vision d’un Furiani, hôte d’un match qui s’annonçait grandiose. « Des milliers de personnes voulaient venir voir ce match. Comment faire pour recevoir tout le monde ? C’était la question que tout le monde se posait », se souvient Jean Baggioni. Ses gestes se font plus amples, comme habité par la ferveur de l’époque : « personne ne pouvait imaginer ce qui allait se passer. L’heure était trop à la fête ».

Tous deux se souviennent de leur arrivée en tribune sud. Pile en face de ce que beaucoup considéraient comme une prouesse technique malgré les premières réserves des jours passés quant à la solidité de l’édifice. « Gigantesque, bruyante, vivante ». La nouvelle tribune provisoire Claude Papi fait son effet. « J’en avais pourtant vu une identique, trois mois avant aux Jeux Olympiques d’Hiver d’Albertville, mais à Bastia, c’était vraiment différent », se souvient Émile Zuccarelli. Les deux édifices sont d’ailleurs érigés par la même entreprise reconnue et spécialisée dans le domaine : Sud-Tribunes, dont le directeur technique sera condamné à 24 mois de prison ferme en 1995 pour homicides, coups et blessures involontaires. 

20h23, la joie laisse la place à l’incompréhension puis à l’épouvante

Emile Zuccarelli était alors maire de Bastia et ministre des Postes et des Télécommunications. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Emile Zuccarelli était alors maire de Bastia et ministre des Postes et des Télécommunications. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
« Quelques secondes avant le drame je discutais avec Jean Paul De Rocca Serra [ndlr : alors président de l’Assemblée de Corse]. Je ne regardais pas la tribune », se rappelle Jean Baggioni. À quelques mètres de là, au même moment, Émile Zuccarelli fixe le sol, « la tête dans les genoux, préoccupé par toute cette violence entre supporters et contre l’équipe marseillaise ».

Puis le vacarme, suivi d’un silence encore plus assourdissant. Il est 20h23 ce 5 mai 1992, la partie supérieure de la tribune Nord se décroche et emporte plusieurs milliers de personnes dans une chute vertigineuse et mortelle.
 
« À ce moment-là, il n’y a plus de titres qui tiennent. Nous ne sommes plus rien, si ce n’est des Hommes » - Jean Baggioni
Les deux hommes mettent alors quelques secondes avant de comprendre, frappés par l’impensable comme la majorité des personnes présentes. Puis, tous deux racontent s’être précipités sur le terrain pour rejoindre le lieu du drame. « Depuis la tribune sud il fallait passer par une petite porte grillagée où tout le monde s’engouffrait », raconte Jean Baggioni. Au milieu du chaos, ils sont emportés par l’élan d’abnégation qui soulève les premiers débris métalliques.

 « Les élus pourris ». La phrase interpelle Émile Zuccarelli qui tente de prêter main forte. Mais pour Jean Baggioni, l’atrocité de l’instant et le besoin de faire face placent tout le monde au même niveau : « À ce moment-là, il n’y a plus de titres qui tiennent. Nous ne sommes plus rien, si ce n’est des Hommes ».

Rester debout et faire face

Jean Baggioni avait été élu président du conseil exécutif de Corse un mois avant le drame de Furiani. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Jean Baggioni avait été élu président du conseil exécutif de Corse un mois avant le drame de Furiani. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Secours, forces de l’ordre, joueurs, politiques, anonymes … Après les premières minutes de chaos, chacun a un rôle bien précis à jouer dans la gestion de crise. « Je me souviens d’avoir accueilli Bernard Kouchner et Paul Quilès [ndlr : respectivement ministre de la Santé et ministre de l’Intérieur au moment du drame] à l’hôpital de Bastia, au milieu d’un ballet incessant d’infirmiers aux blouses multicolores, de médecins et de blessés. En arrivant dans le hall, le ministre de l’Intérieur voulait ‘’des têtes’’, il lui fallait des responsables. Nous, nous tenions encore les perfusions avec le maire de Marseille, Robert Vigouroux qui était médecin », se souvient Émile Zuccarelli. Cette fois, les réceptions républicaines ne se font pas dans les salons mais au cœur d’un hôpital en surchauffe et d’un stade de football éventré. « Peu importe, on doit faire face et assurer notre rôle » pour Émile Zuccarelli.

Une tâche qui s’est poursuivie bien après cette soirée du 5 mai 1992. Comment gère-t-on une telle crise quand on est au pouvoir ? « Difficile, confie Jean Baggioni, j’ai surtout essayé d’être au plus proche des familles de victimes, de les réconforter et de leur apporter mon soutien ». La figure paternelle que peut représenter le dirigeant politique est alors mise à mal par les zones d’ombres qui entourent le drame. « Les élus ont vite été désignés comme coupables et je me souviens de quelques rares réactions hostiles pendant les visites aux blessés mais peu importe, il fallait être là pour les victimes et leurs familles, que cela soit humainement ou financièrement », raconte Émile Zuccarelli.

Trente ans plus tard, les deux personnalités politiques, qu’ils aient été ministres, députés ou présidents de collectivité, en tirent une leçon à jamais gravée dans leur esprit : face à l’horreur, ils n’étaient « que des Hommes ».

Bernard Tapie, président de l'OM et ministre de la Ville, réconforte un jeune blessé (Photo Gérard Baldocchi)
Bernard Tapie, président de l'OM et ministre de la Ville, réconforte un jeune blessé (Photo Gérard Baldocchi)

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