Corse Net Infos - Pure player corse

Affaire Colonna : Les députés corses et six groupes de l’Assemblée nationale réclament des gestes forts du gouvernement


Nicole Mari le Lundi 14 Mars 2022 à 21:17

En amont des auditions menées par la Commission des Lois qui débuteront mercredi pour faire la lumière sur la tentative d’assassinat perpétré contre Yvan Colonna, le 2 mars, à la centrale d’Arles, les députés nationalistes corses et des députés représentant six groupes politiques de l'Assemblée nationale (LT, UDI, Socialiste, GDR, LFI, MODEM) ont réclamé, lundi matin, d’une même voix, des gestes forts au gouvernement. D’abord, une enquête parlementaire pour faire toute la vérité sur le drame d’Arles, le rapprochement immédiat et la libération du commando Erignac et l’ouverture de négociations pour une sortie de crise et une solution politique globale.



Les députés de différents groupes parlementaires - dont Éric Coquerel (LFI), Stéphane Peu (PCF), Isabelle Santiago (PS), Pascal Brindeau (UDI) et François Pupponi (MoDem) -font bloc autour des députés nationalistes corses.
Les députés de différents groupes parlementaires - dont Éric Coquerel (LFI), Stéphane Peu (PCF), Isabelle Santiago (PS), Pascal Brindeau (UDI) et François Pupponi (MoDem) -font bloc autour des députés nationalistes corses.
Ce sont les mêmes députés qui, en décembre dernier, demandaient le rapprochement en Corse de Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna condamnés pour l’assassinat du préfet Erignac, qui entourent, lundi matin, dans la salle de presse de l'Assemblée nationale, les trois députés nationalistes dans un contexte, cette fois, nettement plus dramatique. Yvan Colonna est dans un état critique depuis le 2 mars, après la tentative d’assassinat dont il a été victime à la centrale d’Arles où il était incarcéré. Les conditions obscures et la sauvagerie de l’agression, la facilité avec lequel l’agresseur a agi, sont tellement incompréhensibles qu’elles ont suscité un véritable choc dans l’île, des manifestations massives de colère, et même un profond malaise sur tout le continent. Pour éviter que l’enquête, confiée au PNAT (Parquet national anti-terrorisme), ne soit « ni étouffée, ni enterrée », le président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, ex-avocat d’Yvan Colonna, a demandé, avec l’accord de la famille, l’installation immédiate, comme la loi le permet, d’une Commission d’enquête parlementaire pour faire toute la lumière sur le drame. Les trois députés nationalistes corses, membre du groupe Libertés & Territoires, Jean-Félix Acquaviva, Michel Castellani et Paul-André Colombani, ont déjà obtenu que des auditions soient menées par la Commission des Lois de l’Assemblée nationale à partir de mercredi. Le but de la conférence était d’annoncer ces auditions, mais la tension, qui est allée crescendo dans l’île depuis huit jours, a changé la donne. Pour désamorcer la crise qui menace de s’embraser, les députés insulaires et leurs homologues continentaux exigent désormais « des actes forts » du gouvernement, à savoir la vérité sur la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna, le rapprochement en Corse, voire la libération conditionnelle de Pierre Alessandri et d’Alain Ferrandi, et l’ouverture d’un dialogue de fond sur l’évolution institutionnelle de l’île et sa demande d’une autonomie de plein droit et de plein exercice.
 
Des auditions élargies
Concernant la vérité sur le dossier Colonna, les députés demandent l’élargissement des trois auditions qui commencent mercredi, à raison d’une par semaine. Ces trois auditions concernent le directeur général de l’administration pénitentiaire française, à savoir Laurent Ridel, dès mercredi, « l’ancienne directrice de la centrale d’Arles qui était en poste le jour où nous avons rendu visite à Yvan Colonna, et l’actuel directeur qui est arrivé la veille de la tentative d’assassinat. Nous pouvons d’ores et déjà exigé, eu égard aux zones d’ombre béantes de cette affaire, l’élargissement des auditions à des acteurs administratifs, autres que ceux de l’administration pénitentiaire, et politiques, comme des anciens ministres, des ministres en exercice ou des directeurs de cabinet », précise le député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva. Ceci, poursuit-il « dans la mesure où l’on va évoquer la genèse, c’est-à-dire le refus obstiné de lever le statut de DPS des trois détenus dits du commando Erignac, dont il ne fait plus de doute aujourd’hui que la levée comme la non-levée avait une dimension politique, mais aussi le déroulé lui-même de la tentative d’assassinat car le temps de 12 minutes pose beaucoup de questions quand on connaît le fonctionnement du contrôle de la centrale d’Arles et quand on connaît le fonctionnement du contrôle des djihadistes en centrale et comment il s’opère ». Parlant au nom de ses collègues nationalistes, Jean-Félix Acquaviva martèle « C’est un scandale d’Etat ! Nous ferons tout pour que la vérité éclate et que la justice - la vraie ! – triomphe ». Avant d’embrayer sur la mobilisation qui ne faiblit pas en Corse : « La colère, l'indignation, la mobilisation, c'est un torrent qui vient synthétiser les défiances de Paris vis-à-vis de la Corse pendant ce quinquennat. On regrette les violences, mais le seul et unique responsable, c’est l’État, le gouvernement », et de marteler la nécessité d’ouvrir des discussions sur le statut de la Corse. « Il n’y aurait rien de pire qu’un énième rendez-vous manqué, l’embrasement serait devant et pas derrière nous ».

Une position radicale
L’enjeu, pour les députés corses, est d’obtenir, au-delà des élections présidentielles et législatives, la continuité de l’Etat dans cette affaire pour l’ouverture d’une commission enquête parlementaire par un engagement du gouvernement actuel et des autres forces politiques. « Il faut absolument que le ministre qui arrive, mercredi, prenne position, et une position radicale, sur les leviers sur lequel il a encore la main, c’est-à-dire faire la vérité sur l’assassinat d’Yvan Colonna, le rapprochement des prisonniers. Cela doit se mettre en œuvre très rapidement », déclare le député de la 2nde circonscription de Corse du Sud, Paul-André Colombani. « Pour le processus institutionnel, c’est autre chose. La Corse a vu trop de candidats à l’élection présidentielle passés lors des campagnes électorales, qui nous l’ont promis… ! Le discours d’un ministre, qui est en campagne pour sa réélection, est difficile à tenir. C’est pour cela que nous voulons avoir quelque chose de clair aujourd’hui ». De même, prévient-il : « La Commission d’enquête est techniquement très difficile à mettre en place à quatre semaines de l’élection présidentielle parce qu’il faut une convocation du Parlement. Nous allons formuler une demande. Le travail d’une Commission d’enquête parlementaire est un travail de fond qui ne se fait pas en urgence. Mais cela ne nous empêchera pas de poser les bonnes questions dans cette affaire au responsable de la centrale d’Arles, comme au responsable de l’État qui est désormais en charge du dossier de la Corse ».
 
Le prix du mépris
La colère de la jeunesse, le député de la 2nde circonscription de Haute-Corse, Michel Castellani, va l’expliquer clairement, en renvoyant, comme ses collègues, l’Etat à ses responsabilités : « On a voulu systématiquement décrédibiliser les élus de la Corse. On a voulu les humilier. Les centaines d’amendement, que nous avons déposées dans l’hémicycle, ont été balayées d’une parole : « Refusé ! », comme si les sujets, que nous soumettions, n’avaient aucun intérêt. L’action de Gilles Simeoni s’est heurtée à l’attitude du préfet Lelarge qui était un Préfet – je veux être gentil – hautain et provocateur. Et je suis en dessous de la vérité ! ». Il rappelle la façon dont le Président de la République, Emmanuel Macron, a traité les élus nationalistes, lors de sa venue en 2018 à Bastia : « On nous a fouillé à grand renfort de spectacle comme des gangsters devant tous les journalistes hilares. C’était visiblement pour bien montrer au peuple que nous n’étions rien ! Et maintenant, ça leur retombe sur la figure parce qu’en humiliant les élus du suffrage universel, c’est la démocratie que l’on refuse et que l’on humilie systématiquement. Aujourd’hui, en Corse, les jeunes se tournent vers nous pour dire : « Nous avons obtenu en sept jours ce que vous n'avez pas obtenu en sept ans ». Voilà la politique du gouvernement et de l’Etat ! Il n’a pas eu de respect pour nous, mais nous en avons pour eux parce que nous sommes des démocrates. C’est maintenant à eux de corriger leur faute et leur politique ».
 
La haine des Nationalistes
Ce mépris, le député du MODEM du Val-d'Oise, François Pupponi, s’en désole : « La Corse est un sujet que j’essaye, depuis des années et des années, d’expliquer aux divers gouvernements qui se sont succédés. Il faudrait un jour peut-être avec raison, sans passion, et avec le respect du vote démocratique des habitants aborder l’avenir de la Corse. Mais on n’y arrive pas ! ». La raison, il l’avoue encore plus crûment : « Je pense que l’appareil d’État, l’État français, n’aime pas la Corse et déteste, au-dessus de tout, les Nationalistes ! Je le dis avec une certaine solennité : l’assassinat du préfet Érignac a rendu presque impossible le dialogue entre l’île et les institutions, et nous en sommes quelque part là ». Et de citer un exemple : le rapprochement des prisonniers : « A part les trois du commando Érignac, la quasi-totalité des prisonniers dit politiques ont été rapprochés. Quand nous avons demandé l’application du droit, on a bien vu que la technostructure s’est bloquée et comment elle est capable aussi de mettre la pression sur les politiques en disant : non ! ».

Le droit à la vérité
Un mépris du droit et des élus corses qui a scandalisé les autres députés présents, les mêmes qui avaient, déjà, en décembre dernier, accompagné leurs collègues insulaires visiter les détenus en prison, notamment Éric Coquerel (LFI), Stéphane Peu (PCF), Isabelle Santiago (PS) et Pascal Brindeau (UDI). Tous ont pris conscience de la colère de la population corse. « Les Corses ont droit à la vérité par une Commission d’enquête parlementaire et l’application du droit pour les prisonniers corses qui ont déjà accompli leur peine ! Aucun signal n’a été envoyé depuis depuis ans aux Corses. À un mois d’une élection, les candidats doivent prendre des engagements clairs », affirme Eric Coquerel, député Insoumis du 93, qui viendra dans l’île du 21 au 23 mars avec un meeting prévu à Bastia le 22 mars. Il en profite pour rappeler que « notre candidat Jean-Luc Mélenchon propose l’évolution du statut de la Corse dans le cadre de l’article 74 ». L’ouverture d’un « dialogue de fond sur l’évolution institutionnelle de l’île et ses problématiques économiques et sociales » semble aussi nécessaire à un autre député de la Seine-Saint-Denis, le communiste Stéphane Peu : « La lumière doit être faite sur la tentative d’assassinat de Colonna. Par ailleurs, il faut aller au-delà de la levée du statut de DPS pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Enfin, il faut entendre les revendications des Corses ». La député socialiste du Val de Marne, Isabelle Santiago, twitte : « Réunis avec mes collègues ce matin par-delà les clivages politiques pour apporter notre soutien aux demandes des députés corses : toute la lumière doit être faite sur la tentative d'assassinat d’ #YvanColonna . Il faut plus globalement que les élus corses soient enfin entendus ! ». S’ils jugent les violences, lors des manifestations, « inacceptables », les députés continentaux se sont alignés sur la position corse en indiquant qu’elles étaient « compréhensibles » et que « la faute revenait à l’Etat ».
 
N.M.