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Intelligence artificielle : Le coup d’éclat de Jean-Félix Acquaviva avec un amendement rédigé par ChatGPT


Nicole Mari le Samedi 25 Mars 2023 à 20:18

Alerter sur les dangers de l’intelligence artificielle et de son utilisation dans la vidéosurveillance de masse, c’est le coup d’éclat du député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, qui a présenté, le 23 mars, le premier amendement de l’histoire de l’Assemblée nationale, entièrement rédigé par le logiciel ChatGPT. L’amendement, cosigné par le groupe LIOT et rejeté de peu, porte sur l’article 7 très controversé du projet de loi relatif aux Jeux Olympiques 2024 qui valide le recours à la vidéosurveillance « intelligente » pour assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles. Explications pour Corse Net Infos de Jean-Félix Acquaviva.



Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), présentant le 1er amendement généré par ChatGPT à l’Assemblée nationale.
Jean-Félix Acquaviva, député nationaliste de la 2nde circonscription de Haute-Corse, membre du groupe parlementaire LIOT (Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires), présentant le 1er amendement généré par ChatGPT à l’Assemblée nationale.
- Pourquoi avez-vous déposé un amendement rédigé par ChatGPT ?
- Le but était de dénoncer l’utilisation de l’intelligence artificielle dans différents secteurs de la société, en particulier, de manière expérimentale pour la vidéosurveillance des Jeux olympiques de 2024. L’article 7 du projet de loi relatif aux Jeux olympiques prévoit la possibilité d’analyser les images des caméras de surveillance ou des drones au moyen d’algorithmes afin de permettre par anticipation une prévention des risques et de déclencher, soit une interpellation, soit un contrôle… Il contient, donc, une possible atteinte aux libertés fondamentales sur l’interprétation que peut faire l’intelligence artificielle en devenir des faits et gestes des personnes, de la façon d’interpeller ou de prévoir des risques. M’est venue l’idée de voir comment peut réagir l’intelligence artificielle, de voir déjà si elle était capable de rédiger un amendement. J’ai donc présenté l’article 7 à la version 3 du logiciel ChatGPT (logiciel de texte par intelligence artificielle) et lui ai simplement demandé de rédiger un amendement, sans autre indication. L’intelligence artificielle a produit un amendement, puis elle a produit une justification, ce qu’on peut appeler l’exposé des motifs de cet amendement.

- Quel a été le résultat de cet amendement ChatGPT ?
- Cet amendement était centré sur le fait qu’il fallait sur cet article 7, selon l’intelligence artificielle, utiliser la main de l’homme à chaque traitement des données algorithmiques prévues par la vidéosurveillance et ce, pour s’assurer du respect des libertés fondamentales. Il fallait faire aussi preuve de transparence vis-à-vis des personnes qui feraient l’objet d’une interpellation dans le cadre d’une prévention de risque afin qu’elles aient la possibilité, elles aussi, de saisir les tribunaux ou des personnes humaines pour garantir leurs droits et contester les choses. C’est plutôt un bon résultat au sens qualitatif puisque cet amendement fait dire à l’intelligence artificielle qu’il faut des garde-fous humains à sa propre utilisation. C’est d’autant plus important que l’expérimentation prévue par l’article 7 commence pour les Jeux olympiques mais finit au 31 décembre 2024, c’est-à-dire qu’elle pourra concerner d’autres événements. On voit bien qu’elle a pour but d’être généralisée.
 
- Quelles conclusions en tirez-vous ?
- Premièrement, ce qui est fascinant et dérangeant, c’est que l’intelligence artificielle peut produire des amendements d’un point de vue juridique, politique et moral. C’est quand même problématique ! Deuxièmement, l’amendement paraît pertinent, mais l’intelligence artificielle inclut l’homme à son propre contrôle. Donc, même l’intelligence artificielle dit qu’il faut à ce stade amender l’article 7. Troisièmement, nous avons fait d’autres amendements un peu dans le même style dans la lignée de l’article 7 où, cette fois-ci, ChatGPT préconisait la généralisation de l’intelligence artificielle après l’expérimentation. Autrement dit, si, d’un côté, l’intelligence artificielle prévoit un amendement pour inclure le traitement humain, de l’autre, elle préconise quand même la généralisation de l’intelligence artificielle sur la vidéosurveillance dans la société, au-delà de l’expérimentation. Ce qui, là encore, est problématique !
 
- On pourrait vous objecter que l’intelligence artificielle ne peut pas se dénier elle-même ?
- Peut-être ! Mais on voit bien que l’intelligence artificielle par son évolution, parce qu’elle est amenée par nature à évoluer, peut être capable du meilleur comme du pire, et qu’on ne peut donc pas laisser clairement un certain nombre de faits dans les mains de l’intelligence artificielle. En tout cas, tout le moins, il faut une très forte réglementation, et non pas une expérimentation permissive qui a pour but d’être généralisée sans avoir intégré toutes les conséquences que peuvent avoir ces outils sur la société. Il me semble que cet acte-là démontre la pertinence de nos propos.
 
- Ce premier amendement ChatGPT était-ce un coup d’éclat ?
-  Oui ! Tactiquement, techniquement et d’un point de vue de la communication politique, il était là pour choquer ! C’est quand même le premier amendement généré au Parlement par une intelligence artificielle ! Je le répète, cela prouve bien que l’intelligence artificielle a pu faire un amendement et une justification de l’exposé des motifs, donc elle est aussi en capacité d’être utilisée par les parlementaires. C’est quand même problématique !
 
- Comment le gouvernement et vos confrères dans l’hémicycle ont-ils réagi ?
- Certains députés ont été étonnés agréablement, d’autres non. L’amendement n’est pas passé parce que le gouvernement a assuré qu’il avait mis des garde-fous juridiques un peu plus tard dans l’article. Il a demandé le retrait de l’amendement, pas de voter contre, ce qui prouve qu’il ne pouvait pas aller contre ce que disait l’intelligence artificielle. Je n’ai pas retiré l’amendement, je l’ai présenté au vote. Nombre de députés l’ont voté, il a été rejeté de peu, mais le débat n’est pas encore soldé sur ce point. On rentre dans une société qui va devenir de plus en plus sujette à l’utilisation de ces outils par facilité dans différents domaines, ce qui risque de multiplier les atteintes aux libertés fondamentales, faute d’avoir bien pensé la régulation. Au-delà de la vidéosurveillance, il y a bien d’autres domaines dans lesquels l’utilisation de l’intelligence artificielle est problématique, et où elle peut se substituer à l’homme. Par exemple, l’éducation avec la rédaction des devoirs ou le journalisme avec la rédaction d’articles, également, et la preuve en est faite, dans les débats juridiques où elle se substitue au collaborateur parlementaire. La tentation par simplicité risque d’être très grande, mais sans avoir bien saisi ce dont il s’agit. On ne parle pas d'un petit logiciel, on parle d’un logiciel intelligent avec une intelligence qui va croître, être nuancée et qui va développer sa propre capacité à dire et à agir. C’est, je le redis, quand même problématique !
 
Propos recueillis par Nicole MARI.

La présentation de l’amendement ChatGPT à l’Assemblée nationale