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Centre d’enfouissement de Giuncaggiu : les travaux ont démarré. Tavignanu Vivu proteste


Jeanne Leboulleux-Leonardi le Samedi 28 Mai 2022 à 22:20

Samedi 28 mai, à Aleria, l’Association Tavignanu vivu organisait un rassemblement pour protester contre le démarrage des travaux relatifs au projet très controversé d’implantation d’un centre d’enfouissement de déchets à Giuncaggiu, dans la vallée du Tavignanu.



Tavignanu vivu a organisé un rassemblement pour protester contre le démarrage des travaux
Tavignanu vivu a organisé un rassemblement pour protester contre le démarrage des travaux
Une soixantaine de participants étaient présents. Parmi eux, on comptait quelques élus – notamment le député Jean-Félix Aquaviva, le sénateur Paolu-Santu Parigi, le maire de Belgodère et président de la Communauté de communes de Lisula Balagna Lionel Mortini… - ainsi que des personnalités ou représentants d’associations – comme Colette Castagnoli porte-parole de Zeru Frazu ou Jean-François Bernardini – dont plusieurs se sont succédé au micro, dénonçant la mainmise des « malfrats » sur le secteur des déchets, rappelant que « l’eau devient l’or du monde » et qu’il importe de la protéger. Pendant ces interventions, des tracts étaient distribués aux automobilistes, invités à signer pour soutenir le mouvement.
 
Un site inadapté
Un mouvement qui a vu le jour il y a plus de six ans : l’association Tavignanu vivu a été créée en janvier 2016, « lorsque les gens se sont rendu compte qu’il y avait un projet de centre d’enfouissement à la fois de terres amiantifères et de déchets ménagers, rappelle Marie-Dominique Loÿe, membre de la Direction collégiale de Tavignanu vivu. Certes, le projet répondait bien à une problématique existante et dont nous concevions la nécessité. Mais le lieu choisi était absurde ! » Le problème est double, explique cette universitaire, géologue de formation. Tout d’abord, le terrain prévu s’effondre depuis des années : on a d’ailleurs dû détourner la route existante qui relie la plaine à Corti, pour lui faire contourner la zone. Mieux, en 2005, quand on a voulu élargir cette nouvelle route, les travaux ont provoqué un glissement de terrain impressionnant. S’ajoute à cela le fait que la zone est parcourue par des circulations d’eau souterraines. Sur un terrain de cette nature, il est impossible d’assurer l’étanchéité qu’impose la loi pour protéger le sous-sol des infiltrations de fibres d’amiante et autres métaux lourds qui viendraient, au final, polluer le fleuve.
 
D’un refus d’autorisation…
Le projet de centre d’enfouissement porté par Oriente Environnement, un groupement dans lequel figurent une entreprise locale, Agrégats Béton Corse, et SICO Groupe – une holding regroupant différentes sociétés, notamment immobilières – est, donc, dans un premier temps, rejeté par l’administration. « Dans le cadre de l’enquête publique, il y a eu une opposition motivée générale au projet », explique Marie-Dominique Loÿe. Le rapport d’enquête est négatif. Le CODERST (COnseil Départemental de l'Environnement et des Risques Sanitaires et Technologiques) émet également un avis négatif. De même que la DREAL (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) , « même si le chef de la division risque, aujourd’hui parti en retraite, était, personnellement, favorable au projet ». En novembre 2016, le préfet refuse donc l’autorisation d’exploiter.
 
…A une autorisation sous conditions
En retour, le porteur de projet attaque la décision au Tribunal administratif. « Mais entretemps, redoutant des problèmes liés à l’hydrogéologie du site et à sa stabilité, l’autorité environnementale avait demandé une tierce expertise, à la charge du porteur de projet. C’est l’INERIS qui a été choisi. Un EPIC très sérieux qui va bien mettre en évidence les problèmes.  Sauf que la conclusion de chacun de ses chapitres était que, moyennant certaines précautions, le projet était faisable. Il est vrai que l’interlocuteur principal de cet expert était le porteur de projet. Et que le rapport produit n’avait pas été fourni à l’enquête publique alors qu’il aurait dû l’être… »
Lorsque le dossier passe au Tribunal administratif, celui-ci dispose donc de cette nouvelle expertise. « Quant au préfet, il avait changé. Le nouveau ne connaissait pas forcément aussi bien le dossier. » En octobre 2019, le Tribunal administratif annule donc l’arrêté préfectoral refusant l'autorisation d'exploiter.
 
« Nous nous sommes portés en appel. Nous nous appuyions sur un expert géologue, Paul Royal, que la Direction des routes avait fait intervenir au moment des problèmes rencontrés lors de l’effondrement du terrain. Il connaissait donc bien le site. S’ajoutaient à cela un rapport que j’avais réalisé moi-même, en tant que géologue, ainsi que celui d’une collègue de l’Université de Corti. Nous avions repris les éléments qui figuraient dans les documents initiaux du porteur de projet : car nous avions réalisé qu’il avait déjà toutes les données dans son dossier ! Les carottes réalisées lors de ses sondages montraient que le terrain ne tenait pas. Et les mesures montraient que de l’eau souterraine circulait dans tout le terrain. Mais ces rapports n’ont même pas été examinés : la bonne réputation de l’INERIS a fait qu’en juillet 2020, le tribunal a suivi ses conclusions. »
Tavignanu vivu se pourvoit alors auprès du Conseil d’État : cette fois, l’association est soutenue par U Levante – qui a rédigé un mémoire – et par la CdC. Mais, à nouveau, l’association est déboutée. Nous sommes en avril 2021 et l’association n’a plus aucun recours juridique possible.
 
Pourtant, tout n’est peut-être pas perdu. Le préfet peut en effet émettre des prescriptions pour certains points techniques qui n’auraient pas été précisés dans le dossier par le porteur de projet. Et c’est ce qu’il fait : « Ça a un peu traîné à cause du COVID, mais elles sont sorties en septembre 2020. Et elles sont drastiques ! Le porteur de projet doit pratiquement refaire une étude pour démontrer la stabilité du terrain là où il sera le plus excavé et il doit prouver qu’il ne circule pas d’eau. Or c’est impossible ! » Aussi, le porteur de projet attaque-t-il les prescriptions. L’association qui s’est portée “intervenant volontaire” pour être tenue informée du dossier, suit l’affaire de près. «  Ça devrait passer au Tribunal administratif avant l’été… »
 
Contre toute attente, les travaux ont commencé !
Pour autant, tout n’est pas rose : « Notre crainte, c’est que le préfet change encore. D’autant qu’une nouvelle crise des déchets se profile… De plus, il ne faut pas oublier que le porteur de projet a déjà été condamné cinq fois pour atteinte à l’environnement, dont une fois au pénal ! ».
Lorsque le 11 mai dernier, un membre du collectif, passant par hasard devant l’entrée du terrain, aperçoit des engins de chantier, l’association s’alarme. « Des voisins nous ont confirmé les choses. U Levante qui faisait une campagne photo dans un autre cadre a pu prendre une photo des lieux le 13 mai : on voit le démarrage des travaux. S’ajoute à cela qu’une demande de défrichement des zones boisées a été déposée fin 2021. Complété en février 2022, elle a été instruite par les services de l’État… avec un accord de principe sous réserve notamment d’une demande de dérogation pour les espèces protégées. »
 
L’association fait alors réaliser un survol de drone autorisé ainsi qu’un constat d’huissier… Et décide d’alerter l’opinion : « Notre objectif, avec ce rassemblement, c’est de montrer aux services de l’État qu’on est déterminé. Nous pensons qu’ils ont bien réalisé les dangers du projet. Et nous voulons que l’État tienne sa position. La prochaine étape ? Nous rédigeons actuellement un dossier pour l’Europe. Un cabinet d’avocats spécialisés nous accompagne et nous irons plaider devant la Cour de justice européenne. »