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Calvi : face à la flambée immobilière, il s'installe sur un voilier à 1 euro


Olivier Bianconi le Dimanche 2 Janvier 2022 à 18:34

Avec un prix de l’immobilier oscillant entre 4 000 et 10 000 euros le m2, le littoral calvais est hors de porté pour beaucoup. Les solutions alternatives se développent et il arrive de croiser en zone péri-urbaine ou aux abords d’un village, une tiny house ou une yourte mongole. Hervé Harranz, par exemple, un quinquagénaire originaire de région parisienne qui vit en Corse depuis 2005, a fait le choix de s’installer à bord du Josika. Et depuis 2018il vit à l'année sur un petit voilier habitable de 8,20 mètres, qui quelques mois auparavant coulait dans le port de Calvi.

Témoignage



Hervé Harranz. Crédit photo Olivier Bianconi
Hervé Harranz. Crédit photo Olivier Bianconi
C'est une aventure qui débute dans la baie calvaise, celle de Hervé Harranz, qui en 2005 commence à se former à la navigation à voile en tirant des bords sur un petit bateau de 7 mètres qui appartient à un ami, et dont il assure l’entretien. Il ne savait pas que le  voilier habitable allait déclencher en lui une vraie passion et l'envie d'un véritable changement de vie : « Plus jeune, à l’occasion de vacances en bord de mer, j’avais été initié à la discipline, mais je n’avais encore jamais navigué sur un habitable. Début 2018, considérant les prix prohibitifs pratiqués dans l’immobilier, mais aussi par démarche philosophique et gout de l’aventure, j’ai eu envie de tenter cette expérience ! ».


Et c’est un peu le hasard qui le conduit à la découverte du voilier idéal pour réaliser son projet d’habitation. Se rendant pendant l’hiver sur le quai du port de Calvi où est amarré le bateau qu’il entretien alors, il se retrouve face à un monocoque flanqué d’une pancarte « à vendre », mais en train de couler : « J’appelle aussitôt le propriétaire pour le prévenir de la situation, qui sans trop s’en inquiéter, me propose de l’acheter pour 6000 € ! ». Face à un naufrage, une négociation s’engage, et le vendeur lui demande de faire une proposition. « Compte tenu de l’état de détresse de l’embarcation, je lui en offre 1€, mais lui garantis de débarrasser le port de l’épave, sans quoi l’opération allait lui couter cher. » L’affaire est ainsi conclue, et voilà Hervé propriétaire de son premier voilier et futur logement, entièrement à refaire ! 
Par chance, ce Parisien, Corse d'adoption, c’est un touche à tout. Très habile de ses mains, il en a fait d’ailleurs sa profession. Un fois le voilier à terre, il se lance dans une restauration complète qui lui prendra six mois : « J’ai remplacé le moteur hors service, par un autre que j’ai trouvé dans une casse à Bastia. Changé l’accastillage, refais entièrement le système électrique, installé des pompes neuves, travaillé la résine etc. ».


Pendant le chantier, Hervé vit encore dans un appartement à Calvi. Après de nombreuses heures de travail pour le rendre navigable et habitable, arrive le jour de la remise à l’eau, et les premiers essais en mer « Par chance, les voiles d’origines étaient en bon état et je n’ai pas eu à les changer. Le bateau marchait super bien ! ».  Au final, le bateau ne lui aura couté que 5000€ ! 
En janvier 2019, Hervé rentre d’un grand voyage entrepris avec un ami sur un voilier de 12 mètres. Ayant rendu son appartement, il s’installe enfin à bord du Josika, amarré au port de Calvi. Sur un petit bateau, tout comme dans une caravane, chaque chose a sa place, et l’on apprend très vite à se passer du superflu : « Je dispose principalement d’une pièce à vivre de 6m2, où l’on trouve un réchaud à gaz pour cuisiner, un évier et un réfrigérateur. En face, un espace polyvalent avec une table, à la fois salle à manger, et salon convertible en lit d’appoint. A l’avant du bateau se trouve une couchette double, ce sera désormais ma nouvelle chambre ! ». Et c’est dans cet espace réduit à l’essentiel, qu’il se rend compte que 80% de ce que l’on possède en appartement ne sert à rien. 
Le premier hiver au port arrive, et grâce à l’eau courante, et l’électricité qui permettent l’utilisation d’un chauffage d’appoint, tout se passe bien : « Par commodité, j’utilise les douches et WC de la capitainerie, qui sont ouverts aux plaisanciers. Le bateau ne disposant pas de lave-linge, il m’est cependant indispensable d’aller régulièrement à la laverie automatique. Je cuisine plus simplement qu’en appartement car l’espace est limité, mais j’y reçois les amis, tous très curieux de mon nouveau mode de vie. Les aventurières apprécient aussi, les citadines en revanche me prennent pour un extraterrestre ! ».


Mais vivre sur un voilier n’est pas toujours simple, la plus grande contrainte étant la météo. Car être à bord d’un bateau c’est déjà naviguer, même au port. Les nuits de tempête, Hervé doit s’accommoder du bruit des autres embarcations, de tous ces gréments qui tapent sur les mats, des bouts qui ne sont pas bien accrochés, des bateaux qui cognent et du vent qui siffle : « On finit par s’y habituer ! On est aussi en recherche d’équilibre et ça fatigue. De retour à quai après cela, on a le mal de terre, l’impression que c’est le sol qui bouge et plus l’inverse. A ce moment-là j’étais seul dans le port à vivre de cette façon. Une femme et ses deux enfants venaient juste de quitter à regret, une vie à bord d’un grand voilier de 14 mètres, et un autre ne consacrait à ce mode de vie que quelques mois de l’année ». Cependant la communauté des plaisanciers est très solidaire et les belles rencontres sont nombreuses. Pour celui qui saura s’en accommoder, la vie à bord offre l’avantage d’un rapport très compétitif : « N’ayant pas une place au port de Calvi à l’année, je ne peux alors m’y établir que neuf mois par an, de septembre à juin. Pour cette période, il me semble que je payais à l’époque 1300 €, avec l’eau et l’électricité comprises. Cela pourrait correspondre à un loyer de 145 €/mensuel, toutes charges et taxes inclues, en bord de mer, avec une superbe vue sur la citadelle, c’est imbattable ! ». A cela, il conviendra tout de même d’ajouter l’entretien du voilier, et il est prudent de prévoir 10% par an de la valeur du bien pour cela, sauf à réaliser ces travaux soit même.


Après un hiver à l’abri, viennent les beaux jours, et le temps pour Hervé de quitter le port pour un mouillage au fond du golfe de Calvi, en face du centre amphibie de la Légion, ou à la Revellata. L’ancrage à l’avantage d’y être gratuit, mais nécessite l’emploi d’une annexe pour rejoindre la ville : « A ce moment-là je me retrouve en autonomie d’eau et d’électricité, et c’est très compliqué. Avec un petit réservoir de 100 litres d’eau douce, j’arrive à tenir trois semaines. L’essentiel se fait donc à l’eau de mer. Les toilettes fonctionnent ainsi, la vaisselle par exemple, est réalisée à l’eau de mer chaude pour le lavage, et à l’eau douce froide pour le rinçage. Je me brosse les dents à l’eau de mer et les rince à l’eau douce. La douche quotidienne est également faite à l’eau de mer avec un gel spécifique non polluant. Enfin, je fais cuire mes spaghettis dans le même bouillon salée ! ».  Au mouillage, le principal péril arrive quand le vent se lève et la mer se forme. Là ce n’est plus le confort sécurisant du port de la cité, et le marin passe quelques nuits sans sommeil, très seul, à surveiller depuis le pont que le bateau ne décroche pas, au risque de voir son habitation finir dans les rochers : « Dans ces cas-là, le stress est important, et on se sent très vulnérable ». 
N’ayant pas eu l’opportunité d’obtenir une place au port à l’année, Hervé a fini par se résoudre à intégrer un logement terrestre. Pour autant, ce premier bateau désormais vendu, mais des souvenirs plein la tête, il envisage déjà d’en acquérir un autre, plus grand cette fois, pour plus de confort, mais sans renoncer à sa liberté chérie !

A ceux qui auront frémis à la lecture de ces lignes, en 1932, Marcel Pagnol disait : « si vous voulez aller sur la mer, sans aucun risque de chavirer, alors, n’achetez pas un bateau : achetez une ile ! ».

 


Calvi : face à la flambée immobilière, il s'installe sur un voilier à 1 euro