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"Balance ton crush", le phénomène Instagram qui met les jeunes corses en danger


Livia Santana le Mardi 7 Juin 2022 à 17:51

C'est devenu le "Tinder" des mineurs, les comptes "Balance ton crush" font fureur sur le réseau social Instagram. Le principe est simple, publier anonymement une photo d'une personne repérée dans la rue, au supermarché, au restaurant, au collège... pour trouver son identité et pouvoir l'ajouter sur les réseaux sociaux. Problème, sous son air bon enfant, ce procédé relève de l'atteinte au droit à l'image et à la vie privée.



Capture d'écran Instagram "Balance ton crush Bastia"
Capture d'écran Instagram "Balance ton crush Bastia"
Il vous est peut-être déjà arrivé d’être attiré par quelqu’un dans la rue sans connaître son identité. Les collégiens et les lycéens corses ont trouvé un moyen, non sans danger, de dégoter le nom de leur « crush » (ndlr ; mot utilisé pour désigner une personne sur laquelle on a eu un coup de cœur) pour pouvoir les ajouter sur les réseaux sociaux Instagram, Snapchatou encore Tik Tok. 
« Balance ton crush Bastia », « Balance ton crush Ajaccio », « Balance ton crush collège Giraud » ou encore collège Jeanne d’ArcMontesoro… depuis un peu moins de deux ans, ces comptes ont fleuri sur le réseau social Instagram et comptabilisent pour certains jusqu’à plus de 4 000 abonnés. C'est là que les jeunes postent une description physique de la personne qu’ils recherchent, le lieu, l’heure, la date où ils l’ont croisée et même…une photo de l’individu prise à son insu ! 

Contacté, l’un des modérateurs du compte qui a souhaité rester anonyme explique la démarche. « Le but principal de Balance ton crush est d’aider les gens à trouver les personnes qu’ils recherchent. Par exemple, pour les personnes trop timides, notre compte est un moyen plus simple de les aider à entreprendre une démarche. » Si la démarche part d’une bonne volonté, les créateurs de la page ne semblent pas avoir conscience des dangers que cela comporte pour les mineurs concernés. C'est d'ailleurs ce que souligne Sylvie, mère de deux collégiens scolarisés à Bastia : « J’ai vu passer un tweet d’une enseignante bastiaise qui se posait la question de la légalité d’une page comme celle-ci. Alors je me suis un peu renseignée, j’ai été choquée de voir une violation que des photos étaient prises sans le consentement, c’est une violation de la vie privée. Cela peut être très dangereux, car on sait que sur les réseaux sociaux, il n’y a pas que des personnes avec de bonnes intentions. »

Un an d’emprisonnement, 45 000€ d’amende

Capture d'écran Instagram "Balance ton crush Bastia"
Capture d'écran Instagram "Balance ton crush Bastia"
En effet, d’après Antonia di Maggio, doctorante en droit privé et science criminelle à l’Université de Corse, « ce phénomène pose de nombreuses questions juridiques, notamment celle du droit à l’image et de l’atteinte portée au respect de la vie privée ». 
Un article du Code pénal le 226-1 réprime d'ailleurs d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de porter atteinte à l’intimité d’autrui en fixant, enregistrant ou transmettant sans le consentement de cette personne, son image lorsque cette personne se trouve dans un lieu privé. « Un alinéa précise toutefois que si les clichés ont été pris au vu et au su des personnes intéressées et qu’elles ne s’y sont pas opposées alors le consentement est présumé, mais ici ce n’est pas le cas », détaille la doctorante. 
D’autre part, l’article 226-2 prévoit la même peine pour le fait de « conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelques manières que ce soit d’utiliser des documents obtenus à l’aide de l’un des actes mentionnés précédemment. » 

Bien que les articles du Code pénal considèrent que cela ne s’applique que dans des lieux privés, la jurisprudence judiciaire a déjà élargi cette notion de « lieu privé » à un supermarché. « Ceci est soumis à l’appréciation du magistrat », assure Antonia di MaggioPour « Balance ton crush », la voie civile plutôt que pénale sera privilégiée. 

Interrogés sur la dangerosité et les éventuelles poursuites qu’il pourrait y avoir à l’encontre de compte Instagram, ses gestionnaires répondent : « Nous sommes tout à fait conscient(e)s du danger de notre compte or les personnes ne souhaitant pas apparaître sur celui-ci, nous envoie un message et nous supprimons sans répliquer. Nous avons déjà eu des remarques de ce genre et nous avons pris des initiatives. » 

Quid des personnes qui ne connaissent pas ce compte ? « Au bout d’un voire deux jours de post sans réaction, si on voit que la personne n’est pas identifiée sur la photo (Ndlr ; par les autres abonnés du compte) on supprime». Pour Sylvie, la mère de famille, le problème reste entier. « Ce sont deux jours où nos enfants sont affichés, parfois devant leur domicile. Et si un pédophile tombe dessus ? », s’inquiète-t-elle.

De la prévention dans les collèges


Ce n’est que récemment, vers la fin 2021, que la police de Bastia a eu vent de ce phénomène. « Avec Balance ton crush l’anonymisation n’existe plus, les photos peuvent être détournées, grâce aux identités il peut y avoir des escroqueries. Pire, des personnes utilisent des faux comptes pour rentrer en contact avec les mineurs, cela peut faire partie des modes opératoires des pedocriminels », assure Laetitia Prignot, directrice départementale adjointe de la sécurité publique. Alors serait-il possible de faire supprimer les comptes ? « Pas tant qu’il n’y a pas eu de plainte et de procédure judiciaire », explique la directrice départementale adjointe. 
 
Pour éviter que cela n’arrive, la police nationale en partenariat avec l’éducation nationale procède chaque année à 60 interventions dans les classes de 6ème et de 5ème de Bastia. « Les plus jeunes sont sensibilisés aux dangers d’internet, les 5èmes au cyber harcèlement. Ce sont des interventions très demandées par les chefs d’établissement », continue Laetitia Prignot qui précise que : « de la même façon, la gendarmerie de Corse intervient aussi dans les collèges. »