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Assemblée de Corse : le malaise des communes et intercommunalités dans les discussions avec Paris


Nicole Mari le Samedi 29 Octobre 2022 à 16:26

Certaines communes et intercommunalités s’inquiètent d’être exclues des discussions avec Paris sur le processus d’autonomie. Le président du groupe de droite « Un Soffiu Novu », Jean-Martin Mondoloni, s’en est fait l’écho à travers une question orale en ouverture de la session de l’Assemblée de Corse, jeudi matin. Il a demandé à l’Exécutif des signes tangibles d’un partage de compétences. L’Exécutif corse a rappelé que les échelons locaux participent déjà au dialogue avec l’Etat et que leur représentativité sera renforcée dans la Chambre des territoires. Il a martelé la nécessité de repenser les périmètres actuels des intercommunalités et de corriger les déséquilibres.



Photo CNI.
Photo CNI.
La question orale part d’une tribune de maires de Corse-du-Sud qui expriment des inquiétudes sur le processus d’autonomie en cours et dont le président du groupe Un Soffiu Novu, Jean-Martin Mondoloni, se fait l’écho en ouverture de la session de l’Assemblée de Corse, jeudi matin. C’est, au demeurant, la seule des huit questions orales initialement prévues qui se déroule normalement avant que la séance ne soit brutalement interrompue par les représentants des collectifs de prisonniers demandant le vote d’une résolution solennelle. L’idée de Jean-Martin Mondoloni est d’interpeller l’Exécutif corse au sujet de la prise en compte des politiques de proximité dans les discussions avec Paris. « Vous n’êtes pas sans savoir que le monde rural, l’intérieur, la Corse profonde se sentent, en quelque sorte, oubliés du processus de discussion, initié à Beauvau. On peut le comprendre, tant les problématiques du quotidien n’y sont pas ou peu évoquées, assez peu érigées en priorité et éclipsées par l’obsession statutaire », débute l’élu de droite. Avant de préciser que la question « n’est pas de négliger les leviers qui sont les vôtres en termes d’aides aux tiers et de règlement d’aides aux communes, tout comme les tournées que vous organisez dans les territoires, mais qui ne suffisent pas à combler ce malaise, les attentes et les besoins ». Pour lui, ce malaise relève quelque chose de plus profond. « J’étais de ceux qui, lors des discussions précédentes avec la ministre Gourault, plaidaient pour le renforcement du bloc intercommunal : en version allégée par l’attribution sous la forme de subdélégations de compétences départementales aux EPCI par la Collectivité de Corse (CdC), et en version plus poussée, par un statut spécial des EPCI de Corse ».

Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Jean-Martin Mondoloni. Photo Michel Luccioni.
Ne pas rester sourd
Jean-Martin Mondoloni maintient qu’il faut aller plus loin en matière de décentralisation : « Il y a un rééquilibrage à opérer, y compris depuis le mode de scrutin qui doit aboutir à une assemblée plus représentative de la diversité de nos territoires. Il apparaît qu’avec la disparition des départements, on assiste à une centralisation du pouvoir avec ce que cela implique en termes de respiration, de délai de décision et de proximité ». Et de marteler : « Il n’y a plus de respiration possible dans nos territoires. L’exercice donne l’impression qu’il n’y a plus d’alternative possible et que tout dépend de cette maison ». Il appelle l’hémicycle à ne pas rester « sourd à ces voix qui se lèvent et qui s’élèvent contre ce ressenti qui nous oblige à réintégrer les territoires dans la boucle politique des discussions avec Paris. Il faut que nous posions ensemble les bases de ce malaise ». Avant de pointer un manque de méthode et d’objectif. « La méthode ne peut pas être seulement la concertation des entités communales et/ou intercommunales. L’objectif reste à définir ». Il demande, donc, au président de l’Exécutif de « donner des signes tangibles ». D’abord, « sur le principe de la subdélégation pour permettre aux EPCI qui le souhaitent dexercer les compétences de proximité, avec le transfert des moyens financiers correspondants. Est-ce pour vous une option envisageable ? ». Plus généralement, de lever ces inquiétudes au « miroir des promesses passées ».
 
Une aide considérable
La réponse du président de l’Exécutif corse, Gilles Simeoni, s’axe sur trois points. Le premier sur « ce qui est fait et ce qui est en train d’être fait » depuis que l’Exécutif nationaliste a accédé aux responsabilités : « La problématique de l’intérieur, de la ruralité, de la montagne est au cœur de nos préoccupations ». Et de lister : « la création du Comité de massif, le renforcement des dispositifs d’aides, l’augmentation de 20 % de la dotation quinquennale en revisitant les règlements pour que les petites communes, et donc particulièrement celles de l’intérieur et de la montagne, soient proportionnellement plus aidées que les autres, la création du fonds de territorialisation, le règlement « una casa per tutti, una casa per ognunu », l’élargissement du dispositif visant à faire face aux catastrophes naturelles ou aux incendies... ». Il rappelle que l’aide apportée aux communes et intercommunalités par la Collectivité de Corse est « considérable, sans équivalent en France pour des collectivités de strate équivalente, qu’il s’agisse de départements ou de régions de droit commun ». A savoir 350 millions € d’aides directes en 4 ans, « organisées à travers des règlements qui fixent des critères qui garantissent la lisibilité et l’équité pour les communes et intercos. La plus grande part de cette aide directe va aux communes de l’intérieur et de montagne ». Et si « cela ne crée aucun droit pour la Collectivité de Corse et encore moins quelques intentions que ce soit de s’immiscer dans le libre exercice par les communes et intercommunalités de leurs compétences », cela prouve, selon lui, « une relation de qualité ».

Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Gilles Simeoni. Photo Michel Luccioni.
Un dialogue nécessaire
Le président Simeoni évoque, ensuite, la question de l’implication des communes et intercommunalités dans le processus de discussions avec Paris. « La perspective de dialogue avec l’Etat est aujourd’hui parasitée, voire paralysée, mais elle a pour but de définir une solution politique globale ». Processus dans lequel, souligne-t-il, les communes et intercommunalités sont déjà représentées à travers la présence des présidents des deux associations des maires du pumonti et du cismonti et d’un certain nombre de maires qui font également partie de la délégation. « Il faut les impliquer de façon structurelle, cela participe de l’animation du processus que la CdC a vocation à organiser, et c’est aussi un des enjeux du tour de Corse des communes et intercommunalités, initié en 2019 par l’Agence de l’urbanisme et de l'énergie (AUE), également dans le cadre des contractualisations ou de la prise en compte du fait urbain. Cela donne une intensité sur la perspective de mise à disposition d’ingénierie, qui doit se poursuivre par un dialogue constant. J’ai eu l’occasion de le dire notamment lors du Congrès des maires du Pumonti organisé par le président Ciccolini ». Il revient sur le projet de décret, qui doit être présenté lors de cette session, concernant l’évolution de la Chambre des territoires « dont la composition, imparfaite jusqu’à aujourd’hui, est sans doute l’une des explications, même si non exclusive, d’un fonctionnement à bas régime. Ce qui est proposé n’est pas la reprise, malheureusement, et il faut le regretter, des propositions de l’assemblée de Corse et de la Chambre des territoires, mais elle permet à chaque intercommunalité d’avoir trois représentants ». De quoi, malgré tout, donner aux élus des territoires « tout l’espace nécessaire pour que nous puissions échanger de façon régulière et structurante ».
 
Un terrain miné
Gilles Simeoni aborde, alors, la question de fond de l’évolution institutionnelle et des perspectives de réforme qui pourraient aboutir. « Devons-nous repenser la répartition des compétences, la répartition des ressources fiscales et l’organisation des rapports entre la Collectivité de Corse et les différentes communes et intercommunalités ? C’est indispensable ! Il faut en parler tranquillement », assure-t-il. Ceci posé, il ne voit guère de pertinence à un transfert de compétences vers des communes qui ont parfois bien des difficultés à gérer le quotidien. « Avant de parler de redistribution aux intercommunalités, le premier problème à traiter, avant même d’aller vers de nouvelles compétences, est la capacité des intercommunalités actuelles à exercer les compétences qui leur sont confiées par la loi avec des budgets étiques, extrêmement faibles, notamment parce que la plupart d’entre elles ne correspondent pas à une réalité géographique, administrative, vécue, ce qui crée des difficultés énormes ». Il soulève l’épineux problème de la taille des communes auquel il faudra réfléchir un jour : « Il y a, en Corse, un grand nombre de communes où le Conseil municipal peine à être formé, et où parfois même le Conseil municipal dans son intégralité dépasse le nombre de résidents permanents. Quand on voit des communes qui ont des budgets de 10 000 € ou 15 000 €, cela pose la vraie question de leurs capacités à exercer les compétences actuelles qui leur sont dévolues par la loi ». Tout en avouant : « c’est un terrain miné parce que chaque Corse est profondément attaché à son village, et donc à sa commune ».
 
Des déséquilibres profonds
S’il se dit prêt à ouvrir la discussion sur une meilleure représentation du territoire « y compris dans le jeu institutionnel », pour autant, le président de l’Exécutif ne souscrit pas à la proposition de réforme du mode de scrutin des territoriales, mise en avant par le sénateur de Corse du Sud, le LR Jean-Jacques Panunzi. « La représentation des territoires au sein de l’hémicycle est une question complexe. Nous sommes hostiles à la représentation territorialisée dans la mesure où elle nous semble incompatible avec le fait que l’Assemblée de Corse est composée d’élus qui, quelque soit leur territoire d’origine, ont vocation à représenter la Corse tout entière. C’est notre vision de principe ». Pas plus qu’il n’est question de revenir en arrière, à un bicamérisme département/région qui fut la bête noire des Nationalistes. Il balaie les critiques d’hégémonie de la région sur les autres territoires : « On ne peut pas imaginer un seul instant que nous rêvons d’une Corse corsetée, centralisée avec une espèce d’hégémonie de la Collectivité de Corse. Cela ne peut pas fonctionner ! Il faut faire évoluer cette situation en ayant en tête aussi les contraintes objectives qui pèsent sur nous. Les difficultés, que rencontrent les communes et intercommunalités, sont la transposition au plan administratif et institutionnel de la réalité de notre île qui est confrontée à des déséquilibres profonds en termes démographique, d’occupation spatiale et de répartition des services publics. Nous devons travailler à corriger ces déséquilibres par une politique ensemble ». Il confirme, au passage, que les rumeurs de la disparition de la dotation quinquennale sont fausses. Par contre, reconnaît-il « d’autres inquiétudes sont fondées. Nous devons être à l’écoute et créer les conditions pour que toutes ces questions soient posées et traitées ».
Le mot de la fin revient à Jean-Martin Mondoloni avec une réaction en forme de boutade : « Votre réponse est comme toujours hypnotique, mais j’y trouve quelques éléments de satisfaction ».
 
N.M.