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Bagne de la Légion Etrangère à Corte : un ancien détenu en grève de la faim pour la reconnaissance des "tortures"


Pierre-Manuel Pescetti le Vendredi 15 Octobre 2021 à 13:49

Michel Trouvain, ancien légionnaire de 70 ans a installé son campement sur le domaine Saint-Jean de Corte. À quelques mètres de la section d'épreuve où il a été détenu et torturé en 1973, il a entamé une grève de la faim depuis le 14 septembre 2021 pour "qu'enfin l'armée reconnaisse ce qu'il s'est passé et fasse devoir de mémoire".



Michel Trouvain campe à Saint-Jean depuis le 14 septembre 2021. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Michel Trouvain campe à Saint-Jean depuis le 14 septembre 2021. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Les mains dans son sweat à capuche gris, la tête inclinée vers le soleil, Michel Trouvain « recharge ses batteries ». Voilà 31 jours que l’ancien légionnaire campe sur le domaine Saint-Jean de Corte, à proximité de l’endroit dont il cauchemarde encore chaque nuit : l’ancienne section d’épreuve de la légion étrangère de Corte.

29 jours que l’homme de 70 ans est entré en grève de la faim, le 14 septembre dernier, pour « briser l’omerta ». Michel Trouvain veut faire parler la Grande Muette sur ce qui s’est passé dans ce camp de discipline militaire entre 1969 et 1976. Dates pendant lesquelles près de 400 légionnaires appelés « les disciplinaires » ont passé les grilles en fer forgé du camp pour être « matés ».

Condamné au purgatoire pour avoir déserté

Les yeux cachés derrière des verres de lunettes fumés Michel Trouvain scrute le tabac qu’il roule dans son papier à cigarette. « J’ai vraiment eu une jeunesse de merde », lâche-t-il en portant sa roulée aux lèvres. Enfant de l’assistance publique, baladé de foyers en foyers, le jeune Michel Trouvain né en 1951 dans les Vosges enchaîne les erreurs de jeunesse. En 1968, après avoir détroussé un inconnu sortant d’un casino dans l’Yonne, Michel et quelques amis finissent leur soirée dans les geôles de la gendarmerie locale. Derrière les barreaux, il aperçoit une affiche vantant l’institution militaire : « engagez-vous dans la Légion, vous allez voir du pays ». Pour Michel, le choix est vite fait : « c’était soit cinq ans de prison, soit cinq ans de légion ». À peine âgé de 17 ans, il imite la signature de son père et s’engage. Direction Aubagne puis la citadelle de Corte pour faire ses classes au sein de l’unité d’instruction du 1er Régiment Etranger installé sur l’île après son retour d’Algérie en juillet 1962. Pour sa première opération extérieure, le jeune légionnaire est envoyé en Afrique de l’Est dans le camp de Djibouti.

« J’étais un lanceur d’alerte avant l’heure ». Appareil photo en main, Michel veut dénoncer certaines pratiques dont il aurait été témoin. Prostitution, violences envers les habitants, Michel déserte, pellicules cachées « dans le slip ». Une évasion de courte durée qui lui vaudra un retour en métropole, pieds et poings liés par des chaînes. Il sera condamné à trois mois de redressement dans la dernière section spéciale de discipline de l’armée française existante sur le sol national : celle du quartier Saint-Jean de Corte.
Michel Trouvain affiche ses revendications à l'entrée de son campement. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Michel Trouvain affiche ses revendications à l'entrée de son campement. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti

Neuf mois de tortures

Michel frissonne. « Il commence à faire froid maintenant », explique-t-il en remontant le col de son sweat. Toujours moins que cet hiver de 1973 pendant lequel il était incarcéré, à quelques mètres de là. « La nuit, on dormait en caleçon dans des cellules minuscules, avec une fenêtre grande ouverte. Le garde jetait de l’eau sous la porte. Elle gelait. Nous aussi. On appelait ça les frigidaires », se souvient Michel.
« Les encadrants nous faisaient ramasser la merde de chien avec la bouche. À cause de ça, j’ai perdu toutes mes dents à 35 ans et j’ai développé une tumeur aux mâchoires »

Une torture parmi tant d’autres qu’il aurait subie pendant huit mois et 29 jours. « On m’a offert un jour pour bonne conduite », ricane Michel, après avoir vu sa peine rallongée de six mois à cause de deux tentatives d’évasion.

Quelques fois, la mémoire se fait hésitante, Michel balbutie, revient sur certaines dates mais le souvenir de cette période est ancré en lui. Il se souvient parfaitement des sévices qu’il aurait subis : « Les encadrants nous faisaient ramasser la merde de chien avec la bouche. À cause de ça, j’ai perdu toutes mes dents à 35 ans et j’ai développé une tumeur aux mâchoires ». La machine s’enclenche, les souvenirs remontent. Michel raconte l’horreur, presque l’air détaché. « On nous faisait creuser la roche, 12h par jour, avec une masse de 16 kilos au bout d’un manche où des boulons sortaient à peine pour nous écorcher les mains. Une autre fois j’ai tenté de m’échapper, j’ai pris un coup de pioche dans la tête. Je me suis réveillé le lendemain matin, à 5h30, à poil dans 1 mètre 20 de neige. Ils m’on fait creuser des tunnels jusqu’à 13h non-stop et quand je n’allais pas assez vite, le chien me mordait le derrière ! », raconte-t-il. Soudain, les barrières du passage à niveau s’abaissent, le train passe. « À l’époque, ils nous faisaient nous allonger sur la voie avant de nous sortir juste avant que le train ne passe », se souvient-il.

Supplice du poteau, course sans pause pendant des heures sur « un grand huit », tabassage. Les brimades et les tortures qu’il aurait subies sont affichées sur le capot de sa voiture garée juste devant sa tente.
De ses souvenirs, l'ancien légionnaire a fait des sculptures dont les photos sont affichées sur le capot de sa voiture. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
De ses souvenirs, l'ancien légionnaire a fait des sculptures dont les photos sont affichées sur le capot de sa voiture. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti

La reconnaissance après l’exil

Au fil de la discussion, sa haine pour ses anciens tortionnaires jaillit : « il faut qu’ils payent. Peu importe leur âge ! C’est à eux que j’en veux, pas à la Légion ». L’argent ne l’intéresse pas. Il veut la reconnaissance par la Légion Etrangère de ce qui s’est passé. « Je veux qu'on ressorte les dossiers pour voir qui a été condamné ou pas. Il faut faire devoir de mémoire », martèle-t-il. En 1977, il avait déjà tenté d’alerter le public en témoignant dans le livre du journaliste Henry Allainmat "L’épreuve : le bagne de la Légion". Après la parution, Michel aurait été contraint à l’exil en Italie pendant 21 ans. « On a tenté de m’assassiner à Marseille la même année », témoigne-t-il. Cette fois, il ira jusqu’au bout. A-t-il peur ? Il rigole. « Plus maintenant .»

Voilà un an qu’il se prépare à sa grève de la faim. Bouteille d’eau en main, Michel fait le compte des kilos perdus depuis le 14 septembre. « Je me suis pesé hier j’étais à 77 kilos, j’en faisais 95 quand je suis arrivé ». Il l’a pourtant promis à ses soutiens, ce soir il mangera de la soupe, « pour être lucide pour la suite ». Il la sent venir. Après le député Jean-Félix Acquaviva ce lundi 11 octobre, le président de l’exécutif corse Gilles Simeoni a débarqué peu avant midi ce 12 octobre. Avocat de formation, il lui a témoigné son soutien dans son combat contre le silence et l’oubli. Ces hôtes de marque réveillent l’espoir tenace de Michel : « que l’affaire soit portée devant le Sénat et l’Assemblée Nationale ». Une pétition a été lancée sur internet pour mobiliser le plus grand nombre.

Les cortenais n’oublient pas

L’ancien légionnaire s’est constitué son petit campement de fortune. Abrités sous les feuillages, un canapé permet de recevoir les visiteurs quotidiens. Des cortenais, pour la plupart, viennent le réconforter, lui apporter leur soutien. « Ça me donne la pêche ! Un grand merci à eux ! », sourit Michel.

L’un d’eux est venu le saluer, comme presque tous les jours. Gilles Simon Jean connaît le dossier sur le bout des doigts. « Avec d’autres cortenais nous avons mené des investigations et avons recueilli d’autres témoignages, retrouvé des tortionnaires », explique-t-il. Sur une page Facebook, il donne des nouvelles de Michel Trouvain. Pour l’enfant du pays, né quelques années avant le démantèlement de la section d’épreuve, les récits transmis de génération en génération font partie de l'héritage cortenais. « Ça s’est passé chez nous, il faut s’en souvenir et faire quelque chose », expose-t-il.

Michel écoute, silencieux. En guise d’au revoir, un seul mot lui vient : « Merci ».

Le ministère des armées a été contacté par la rédaction. En vain. 
Michel Trouvain n'en veut ni au pays, ni à l'institution militaire mais à ses tortionnaires. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti
Michel Trouvain n'en veut ni au pays, ni à l'institution militaire mais à ses tortionnaires. Crédits Photo : Pierre-Manuel Pescetti