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Vendredi Saint : Du Calvaire à la Résurrection, la longue procession des pénitents blancs en Orezza


Nicole Mari le Vendredi 7 Avril 2023 à 21:52

Près de cent pénitents en Orezza pour le chemin de croix du Vendredi Saint qui se déroule dès huit du matin au départ de Pie d’Orezza, en passant par Piedicroce, Stazzone, Carchetu, Pedipartinu et retour à Pie d’Orezza. Une longue procession blanche de village en village, d’église en église, où la tradition alterne, entre chants, prières, granitula et festin, le Calvaire du Christ et la fête de la Résurrection. U Catenacciu, en images et en vidéo.



A Granitula au coeur de la procession du Vendredi Saint de Pie d'Orezza. Photo CNI.
A Granitula au coeur de la procession du Vendredi Saint de Pie d'Orezza. Photo CNI.
En Orezza, c’est traditionnellement le matin que l’on choisit de revivre la Passion du Christ, un long Catenacciu de près de quatre heures qui part de Pie d'Orezza et y retourne dans une large boucle en passant par quatre autres villages. Une longue procession d’une centaine de pénitents blancs de tous âges s’ébroue, dès huit heures du matin, de l’Eglise St Antoine. Derrière les deux pénitents noirs, deux jeunes gens portent chacun une croix, la population des cinq villages a revêtu l’aube blanche des pénitents. Ici, tout le monde est pénitent, une survivance de l’organisation communautaire en Castagniccia, qui date du 18ème siècle et où les confréries, structurées par les nombreux couvents, jouaient un rôle important, même si, aujourd’hui, il n’y a plus de confréries. « C’est traditionnel. Notre procession est très réputée. C’est quelque chose de fort. Il y a beaucoup de monde, des gens des divers villages reviennent chaque année la faire chez nous. C’est une procession très chantée avec des chants traditionnels que nous avons conservés », déclare Pierre-Antoine Ucciani qui est l’un des porteurs du chant en paghjelle. C’est d’ailleurs son jeune fils qui porte le Christ voilé en croix. « C’est une tradition qui remonte à loin et qui a perduré. Je l’ai toujours connue. Cette année, j’ai 80 ans. J’ai fait ma première procession quand j’avais sept ans. Je n’en ai jamais manqué une seule. Il m’est arrivé d’être sur le continent et de venir spécialement à Pâques pour faire la procession. Nous avons gardé les mêmes chants. Il n’y a pas de changement depuis le début », confirme Jean Pierre Marsili, qui fait, lui aussi, partie de l’équipe de chant. « On en parlait déjà du temps de mes grands-parents. J’ai des photos qui le prouvent », se souvient une autre pénitente, l’historienne Lezia Rogliano. « Je viens tous les ans. Je ne raterai la procession pour rien au monde », enchaine une autre enseignante, Marie-Elise Ucciani.

Le jeûne et le festin
S’il y a trois processions matinales en Orezza – Pie d’Orezza, Stazzone et Piedicroce -, celle de Pie d’Orezza a la particularité de faire une boucle pour revenir à son point de départ, c’est la seule qui relie cinq églises. « Nous démarrons tous la procession le vendredi matin à 8 heures, c’est la tradition. La procession part de Pie D’Orezza pour rejoindre l’église de Piedicrocre, puis celle de Stazzone. De là, on coupe à travers le maquis pour monter jusqu’à Carchetu où l’on fait une pause, avant de repartir vers Pedipartinu et retourner à Pie d’Orezza. Devant chaque église où il y a une place, on fait la granitula. Comme on est nombreux, on essaye de la faire la plus large possible pour que ce soit un bel escargot », indique Pierre-Antoine Ucciani. Viennent d’abord les hommes, puis les femmes et les enfants. Entre les haltes dans chaque église, s’intercalent deux pauses où les pénitents offrent à boire et à manger. « Cette procession a une fonction symbolique, bien sûr, celle de commémorer un évènement très triste, la mort du Christ, mais en sachant que la résurrection est proche. C’est le principe de la granitula qui est le symbole même de la résurrection. C’est la spirale de la vie et de la mort avec l’idée que la vie gagne toujours sur la mort. On sait que le Christ est mort, mais on sait aussi qu’il va ressusciter. C’est pour cela que dans cette procession, on fait pénitence en marchant et en chantant, puis on s’arrête pour festoyer. On rompt le jeûne, le temps de la pause, pour partager un moment de convivialité parce que l’espoir arrive et avec lui, le printemps. C’est aussi toute la symbolique de l’hiver qui est vaincu par l’arrivée du printemps et le renouveau. Et d’ailleurs, souvent il fait beau », explique Lezia Rogliano. Et c’est de bon cœur que les pénitents festoient sur le bord du chemin.

Le symbole du renouveau
Autre particularité de l’Orezza : les trois processions, qui partent à la même heure et se déroulent de façon simultanée, ne se rencontrent jamais. « Chacun part de son côté, toujours l’une devant l’autre, mais normalement les processions ne doivent pas se rencontrer. La procession de Stazzone arrive directement à Carchetu. La procession de Piedicroce arrive directement à Stazzone. Nous partons de Pie d’Orezza pour arriver en première étape à Piedicroce. On se suit, mais sans se croiser, même pas à la fin », commente Pierre-Antoine Ucciani. « En riant, nous disons que les trois processions sont censées se battre si elles se croisent. En réalité, si elles se croisent, elles sont censées entrechoquer les croix. C’est arrivé une fois lorsque le pont de Stazzone s’est effondré et que la procession de Stazzone a été obligée de rebrousser chemin. A ce moment-là, les croix se sont croisées. A Pie d’Orezza, on était très fier, on connaissait un autre parcours où le pont pouvait être franchi, donc on a innové, on n’a pas été obligé de rebrousser chemin », précise Lezia Rogliano. Avant de poursuivre : « La symbolique part de l’idée qu’on ne retourne pas en arrière, mais toujours aller vers l’avant. Si on se croise, on transgresse cette idée. C’est une explication, il peut y en avoir d’autresLe parcours, qui fait une boucle, participe encore à la granitula. Cette boucle immuable est le symbole du recommencement éternel ». La procession, qui aura duré près de cinq heures, s’achève à 13 heures, après une dernière granitula et le chant final, qui éclate dans l’Eglise de Pie d’Orezza, annonce le début des festivités pasquales.
 
N.M.