Les élus de l'Assemblée de Corse en session.
Comment en est-on arrivé là ? C’est la question posée par tous les groupes politiques sur tous les bancs de l’Assemblée de Corse (CTC). Nul ne comprend très bien, pourquoi, aux prémices de la saison touristique et à six mois du renouvellement de la délégation de service public (DSP) maritime prévu au 1er janvier 2014, l’appel d’offres est déclaré infructueux.
Déjà, l’annonce de cet échec, faite à l’Assemblée nationale par Paul Giacobbi, avait indisposé plus d’un élu, à commencer par Paul-Marie Bartoli, le président de l’Office des transports, qui se serait passé de cette communication hors de l’enceinte de l’hémicycle territorial.
L’Office des transports (OTC) a déclaré les deux offres reçues, celle du duo SNCM/CMN et celle de Corsica Ferries, irrecevables, jugeant la première trop cher et la seconde inadaptée au cahier des charges. Il demande, donc, à la CTC, d’en prendre acte et de lui permettre de recourir à une procédure de négociations directes, c’est-à-dire bilatérales, avec chaque compagnie maritime qui le souhaite.
Retour sur les faits
Le 22 mars 2012, la CTC choisit l’option DSP pour l'exploitation du transport public maritime de marchandises et de passagers entre les cinq ports de la Corse (Ajaccio, Balagne, Bastia, Porto-Vecchio et Propriano) et Marseille. Le 5 octobre, elle adopte le cahier des charges qui sera soumis aux candidats potentiels. Le 31 octobre, elle publie un appel d’offres.
Deux candidats y répondent : la Corsica Ferries et le Groupement SNCM/CMN, dont la candidature est retenue le 24 janvier 2013. Le 9 février, s’ouvrent des négociations qui se déroulent jusqu’au 15 mars. A partir de là, les candidats ont jusqu’au 23 avril pour remettre une offre finale pour une ou plusieurs lignes. Les offres par ligne, se basant sur les mêmes navires, ne peuvent être cumulées.
Des offres inacceptables
La Corsica Ferries présente une offre sur chaque ligne et une offre comprenant seulement trois lignes : Propriano, Porto-Vecchio et Ajaccio. Considérant cette offre incomplète, insuffisante en nombre de navires, inapte à couvrir les besoins du service public, l’OTC la rejette.
Le duo SNCM-CMN propose une offre globale et indissociable portant sur les cinq lignes maritimes entre tous les ports corses et Marseille. L’OTC privilégie cette dernière offre, mais plafonne le montant annuel de sa contribution financière forfaitaire à 104 millions € pendant toute la durée de la convention. Il justifie ce plafond par trois raisons : le gel de la dotation de continuité territoriale, un budget en déséquilibre et un vote de la CTC allant dans ce sens.
Or, l’offre de la SNCM-CMN, bafouant cette limite, finit par s’établir à 107 millions € par an en moyenne annuelle sur l’ensemble du périmètre de la DSP, un montant soumis à l'indexation, donc susceptible de flamber sur 10 ans. Elle devient, donc, de ce fait, également, inacceptable.
Renvoi à la case départ
Alors que tout le monde pensait ce dossier enfin bouclé, malgré les déclarations récurrentes de Paul-Marie Bartoli sur l’âpreté des négociations, il revient, une nouvelle fois, devant les élus qui prennent fort mal la chose. D’autant que le débat resurgit dans un contexte très agité pour la principale compagnie délégataire, la SNCM, prise dans l’étau d’une condamnation de Bruxelles l’obligeant à rembourser 220 millions € d’aides publiques indument perçues et des manœuvres de sabordage de son actionnaire principal, Veolia, dont les motivations réelles restent floues. La menace, le 4 juin, d’un plan industriel et social, qui sabrerait une partie des emplois, et un préavis de grève déposé pour l’avant-veille du début du Tour de France, le 27 juin, alourdissent la tension et l’irritation des élus insulaires qui s’estiment pris au piège de problèmes et d’intérêts qui les dépassent.
Le maintien du service public
Mais tous n’ont pas les mêmes préoccupations.
Pour le Front de gauche, l’enjeu est le maintien du service public et son impact en termes social et d’emploi. « La part d’inconnu de l’appel d’offres peut tourner à la catastrophe pour les salariés en Corse et en PACA. La CTC doit lever les incertitudes, rassurer les personnels des deux compagnies. Le gouvernement doit faire appel de la décision de l’UE. Nous ne voulons pas qu’au 1er janvier 2014, le service se fasse par OSP (Obligation de service public) généralisée. Nous proposons une rencontre entre la CTC et le gouvernement pour réindexer l’allocation de continuité territoriale, gelée depuis 2008 », précise Michel Stefani.
Un montant inexpliqué
A droite, comme chez les Nationalistes, le point d’achoppement est le montant de 104 millions € jugé excessif alors que le coût du service de base est de 75 millions €. « Comment sommes-nous arrivés à ce chiffre de 104 millions ? Qu’est-ce qui justifie l’augmentation de 30 millions € de la facture SNCM et l’exclusion de Corsica Ferries ? », interroge Antoine Sindali. Pour l’élu du groupe Rassembler pour la Corse, l’OTC ne doit pas choisir une offre en fonction de la structure de la compagnie, mais de sa capacité à satisfaire au cahier des charges en termes de fréquence, de rotation, de capacité et de tarifs. « Nous voulons des garanties que la DSP ne coûtera pas 104 millions € », conclut sa colistière, Marie-Antoinette Santoni-Brunelli.
Réduire la voilure
Même incompréhension sur le surcout et la nature de l’opérateur chez Femu a Corsica. « Un différentiel de 30 millions € par an, équivaut à 300 millions sur 10 ans » remarque Jean-Christophe Angelini. Il évoque le budget en déséquilibre de la CTC et demande que soit transmis eux élus le rapport de la Cour régionale des comptes tombé le 29 mai. « La CTC est otage et prisonnière de négociations industrielles qui lui échappent. Le développement économique et touristique commande de réduire la part du maritime au profit de l’aérien, comme partout ailleurs ».
A sa suite, Gilles Simeoni annonce le dépôt de deux amendements. « Le choix initial étant ruineux, nous demandons par voie d’amendement de ne pas dépasser 85 millions €. La CTC ne peut pas porter le poids d’une situation historique dans laquelle elle a été bien plus victime que responsable de la situation. Nous demandons, également, qu’elle prenne en compte uniquement les intérêts de la Corse ».
Une compagnie insulaire
Même sentiment de Jean-Guy Talamoni : « Nous ne maîtrisons rien. Nous nous contentons de parer les coûts imposés par l’extérieur ». Pour lui, une seule solution raisonnable : la création d’une compagnie publique corse. La Commission, qui devait réfléchir sur la question et sur l’étude de faisabilité, ne s’est jamais réunie. L’élu de Corsica Libera fustige la désinvolture de l’Exécutif qui ne tient pas ses promesses. « Nous avons atteint un point de rupture. Nous demandons une date butoir avant laquelle vous avez l’intention ferme et irrévocable de réunir cette commission ». Il met Paul-Marie Bartoli au pied du mur : « Nous ne jouerons plus le jeu en rien sur ce dossier ».
Perplexité, également, de Paul-Félix Benedetti pour qui « la SNCM est plombée par un sureffectif lié à la baisse de l’activité sur les lignes d’Afrique du Nord. La CTC se retrouve à gérer un problème qui résulte d’un déséquilibre économique d’un transporteur. Ce n’est pas son rôle. On ne veut pas un contrat fermé de 104 millions € ».
Coup de sang
Violemment interrompue par un Paul Giacobbi très remonté, l’intervention de l’élu d’U Rinnovu vire à la prise de bec. « Il faut mettre l’Etat devant ses responsabilités. C’est à lui de régler le problème social. La CTC n’est tenue que par un intérêt général des transports corses, le droit et sa capacité financière », estime le Président de l'Exécutif. Il indique qu’à sa demande, une Commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la SNCM vient d’être créée à l’Assemblée Nationale et qu’il a saisi le Parquet sur le non-paiement par les compagnies de la taxe des transports qu’il qualifie de « plus gros détournement de fonds publics que la Corse ait jamais connu ! ». Pour lui, le problème n’est pas les 104 millions €, mais l’indexation de ce montant sur 10 ans. Puis, il aborde le problème du calendrier : « Il ne serait pas raisonnable de n’avoir pas conclu les négociations au début de l’automne ». Promettant que la Commission chargée d’étudier la création d’une compagnie corse se réunira dans les 15 jours, il conclut qu’il faut donner une chance à la DSP.
Un vote à l’unanimité
Au final, suite aux deux amendements de Femu a Corsica dont un sous-amendé par le Front de gauche, les élus sont arrivés à se mettre d’accord. « Pour ne pas fragiliser les négociations, nous n’imposons pas un plafonnement chiffré de l’offre, mais un montant acceptable, économiquement justifié et conforme aux intérêts de la Corse », énonce Gilles Simeoni. Un calendrier a été fixé. L’Exécutif s’engage à faire un bilan d’étape des négociations dès la prochaine session du 5 juillet et à conclure les négociations avant le 30 septembre. Ces deux amendements, comme le rapport amendé, ont été adoptés à l’unanimité.
N. M.
A venir : Les réactions des élus, des représentants des compagnies et des syndicats.
Déjà, l’annonce de cet échec, faite à l’Assemblée nationale par Paul Giacobbi, avait indisposé plus d’un élu, à commencer par Paul-Marie Bartoli, le président de l’Office des transports, qui se serait passé de cette communication hors de l’enceinte de l’hémicycle territorial.
L’Office des transports (OTC) a déclaré les deux offres reçues, celle du duo SNCM/CMN et celle de Corsica Ferries, irrecevables, jugeant la première trop cher et la seconde inadaptée au cahier des charges. Il demande, donc, à la CTC, d’en prendre acte et de lui permettre de recourir à une procédure de négociations directes, c’est-à-dire bilatérales, avec chaque compagnie maritime qui le souhaite.
Retour sur les faits
Le 22 mars 2012, la CTC choisit l’option DSP pour l'exploitation du transport public maritime de marchandises et de passagers entre les cinq ports de la Corse (Ajaccio, Balagne, Bastia, Porto-Vecchio et Propriano) et Marseille. Le 5 octobre, elle adopte le cahier des charges qui sera soumis aux candidats potentiels. Le 31 octobre, elle publie un appel d’offres.
Deux candidats y répondent : la Corsica Ferries et le Groupement SNCM/CMN, dont la candidature est retenue le 24 janvier 2013. Le 9 février, s’ouvrent des négociations qui se déroulent jusqu’au 15 mars. A partir de là, les candidats ont jusqu’au 23 avril pour remettre une offre finale pour une ou plusieurs lignes. Les offres par ligne, se basant sur les mêmes navires, ne peuvent être cumulées.
Des offres inacceptables
La Corsica Ferries présente une offre sur chaque ligne et une offre comprenant seulement trois lignes : Propriano, Porto-Vecchio et Ajaccio. Considérant cette offre incomplète, insuffisante en nombre de navires, inapte à couvrir les besoins du service public, l’OTC la rejette.
Le duo SNCM-CMN propose une offre globale et indissociable portant sur les cinq lignes maritimes entre tous les ports corses et Marseille. L’OTC privilégie cette dernière offre, mais plafonne le montant annuel de sa contribution financière forfaitaire à 104 millions € pendant toute la durée de la convention. Il justifie ce plafond par trois raisons : le gel de la dotation de continuité territoriale, un budget en déséquilibre et un vote de la CTC allant dans ce sens.
Or, l’offre de la SNCM-CMN, bafouant cette limite, finit par s’établir à 107 millions € par an en moyenne annuelle sur l’ensemble du périmètre de la DSP, un montant soumis à l'indexation, donc susceptible de flamber sur 10 ans. Elle devient, donc, de ce fait, également, inacceptable.
Renvoi à la case départ
Alors que tout le monde pensait ce dossier enfin bouclé, malgré les déclarations récurrentes de Paul-Marie Bartoli sur l’âpreté des négociations, il revient, une nouvelle fois, devant les élus qui prennent fort mal la chose. D’autant que le débat resurgit dans un contexte très agité pour la principale compagnie délégataire, la SNCM, prise dans l’étau d’une condamnation de Bruxelles l’obligeant à rembourser 220 millions € d’aides publiques indument perçues et des manœuvres de sabordage de son actionnaire principal, Veolia, dont les motivations réelles restent floues. La menace, le 4 juin, d’un plan industriel et social, qui sabrerait une partie des emplois, et un préavis de grève déposé pour l’avant-veille du début du Tour de France, le 27 juin, alourdissent la tension et l’irritation des élus insulaires qui s’estiment pris au piège de problèmes et d’intérêts qui les dépassent.
Le maintien du service public
Mais tous n’ont pas les mêmes préoccupations.
Pour le Front de gauche, l’enjeu est le maintien du service public et son impact en termes social et d’emploi. « La part d’inconnu de l’appel d’offres peut tourner à la catastrophe pour les salariés en Corse et en PACA. La CTC doit lever les incertitudes, rassurer les personnels des deux compagnies. Le gouvernement doit faire appel de la décision de l’UE. Nous ne voulons pas qu’au 1er janvier 2014, le service se fasse par OSP (Obligation de service public) généralisée. Nous proposons une rencontre entre la CTC et le gouvernement pour réindexer l’allocation de continuité territoriale, gelée depuis 2008 », précise Michel Stefani.
Un montant inexpliqué
A droite, comme chez les Nationalistes, le point d’achoppement est le montant de 104 millions € jugé excessif alors que le coût du service de base est de 75 millions €. « Comment sommes-nous arrivés à ce chiffre de 104 millions ? Qu’est-ce qui justifie l’augmentation de 30 millions € de la facture SNCM et l’exclusion de Corsica Ferries ? », interroge Antoine Sindali. Pour l’élu du groupe Rassembler pour la Corse, l’OTC ne doit pas choisir une offre en fonction de la structure de la compagnie, mais de sa capacité à satisfaire au cahier des charges en termes de fréquence, de rotation, de capacité et de tarifs. « Nous voulons des garanties que la DSP ne coûtera pas 104 millions € », conclut sa colistière, Marie-Antoinette Santoni-Brunelli.
Réduire la voilure
Même incompréhension sur le surcout et la nature de l’opérateur chez Femu a Corsica. « Un différentiel de 30 millions € par an, équivaut à 300 millions sur 10 ans » remarque Jean-Christophe Angelini. Il évoque le budget en déséquilibre de la CTC et demande que soit transmis eux élus le rapport de la Cour régionale des comptes tombé le 29 mai. « La CTC est otage et prisonnière de négociations industrielles qui lui échappent. Le développement économique et touristique commande de réduire la part du maritime au profit de l’aérien, comme partout ailleurs ».
A sa suite, Gilles Simeoni annonce le dépôt de deux amendements. « Le choix initial étant ruineux, nous demandons par voie d’amendement de ne pas dépasser 85 millions €. La CTC ne peut pas porter le poids d’une situation historique dans laquelle elle a été bien plus victime que responsable de la situation. Nous demandons, également, qu’elle prenne en compte uniquement les intérêts de la Corse ».
Une compagnie insulaire
Même sentiment de Jean-Guy Talamoni : « Nous ne maîtrisons rien. Nous nous contentons de parer les coûts imposés par l’extérieur ». Pour lui, une seule solution raisonnable : la création d’une compagnie publique corse. La Commission, qui devait réfléchir sur la question et sur l’étude de faisabilité, ne s’est jamais réunie. L’élu de Corsica Libera fustige la désinvolture de l’Exécutif qui ne tient pas ses promesses. « Nous avons atteint un point de rupture. Nous demandons une date butoir avant laquelle vous avez l’intention ferme et irrévocable de réunir cette commission ». Il met Paul-Marie Bartoli au pied du mur : « Nous ne jouerons plus le jeu en rien sur ce dossier ».
Perplexité, également, de Paul-Félix Benedetti pour qui « la SNCM est plombée par un sureffectif lié à la baisse de l’activité sur les lignes d’Afrique du Nord. La CTC se retrouve à gérer un problème qui résulte d’un déséquilibre économique d’un transporteur. Ce n’est pas son rôle. On ne veut pas un contrat fermé de 104 millions € ».
Coup de sang
Violemment interrompue par un Paul Giacobbi très remonté, l’intervention de l’élu d’U Rinnovu vire à la prise de bec. « Il faut mettre l’Etat devant ses responsabilités. C’est à lui de régler le problème social. La CTC n’est tenue que par un intérêt général des transports corses, le droit et sa capacité financière », estime le Président de l'Exécutif. Il indique qu’à sa demande, une Commission d’enquête sur les conditions de la privatisation de la SNCM vient d’être créée à l’Assemblée Nationale et qu’il a saisi le Parquet sur le non-paiement par les compagnies de la taxe des transports qu’il qualifie de « plus gros détournement de fonds publics que la Corse ait jamais connu ! ». Pour lui, le problème n’est pas les 104 millions €, mais l’indexation de ce montant sur 10 ans. Puis, il aborde le problème du calendrier : « Il ne serait pas raisonnable de n’avoir pas conclu les négociations au début de l’automne ». Promettant que la Commission chargée d’étudier la création d’une compagnie corse se réunira dans les 15 jours, il conclut qu’il faut donner une chance à la DSP.
Un vote à l’unanimité
Au final, suite aux deux amendements de Femu a Corsica dont un sous-amendé par le Front de gauche, les élus sont arrivés à se mettre d’accord. « Pour ne pas fragiliser les négociations, nous n’imposons pas un plafonnement chiffré de l’offre, mais un montant acceptable, économiquement justifié et conforme aux intérêts de la Corse », énonce Gilles Simeoni. Un calendrier a été fixé. L’Exécutif s’engage à faire un bilan d’étape des négociations dès la prochaine session du 5 juillet et à conclure les négociations avant le 30 septembre. Ces deux amendements, comme le rapport amendé, ont été adoptés à l’unanimité.
N. M.
A venir : Les réactions des élus, des représentants des compagnies et des syndicats.