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Transports maritimes : Les Obligations de service public réduisent la voilure


Nicole Mari le Vendredi 20 Décembre 2013 à 19:12

Retour au port pour les Obligations de service public (OSP), annulées par le Tribunal administratif de Bastia et remises en débat, vendredi matin, par l’Assemblée de Corse (CTC). Après cinq heures de discussions et de négociations sur les 15 amendements, le nouveau rapport, remanié pour affronter une éventuelle houle juridique, a été, comme le précédent, voté, par la majorité de gauche sans les Communistes. La droite et les Nationalistes se sont abstenus.



Transports maritimes : Les Obligations de service public réduisent la voilure
Les transports maritimes de la Corse sont, de nouveau, entrés dans une zone de très grande turbulence où la ligne a disparu de l’horizon et où l’avenir est plus incertain que jamais. Entre la compagnie délégataire de service public, la SNCM, qui tangue au bord du naufrage, les recours juridiques à répétition de son concurrent privé, la Corsica Ferries, le jeu ambigu de son partenaire, la CMN, les annulations des tribunaux administratifs, les rappels à l’ordre de la Commission européenne et les dettes colossales en suspens, l’avis de tempête est puissance maximale. Le double navire DSP/OSP, que la CTC tente délibération après délibération, réajustement après réajustement, vote après vote, de parer pour naviguer, n’en finit pas de revenir s’échouer au port territorial où les marges de manœuvre se restreignent comme peau de chagrin.
 
Des OSP invalidées
Les OSP sont censées garantir la continuité territoriale entre la Corse et les ports de Marseille, Toulon et Nice avec des exigences sur les ports à desservir, la régularité, la continuité, la fréquence, la capacité à prester le service, les tarifs pratiqués et l’équipage du bateau. Adoptées le 9 novembre 2012, elles devaient s’appliquer au 1er janvier 2014, mais ont, encore une fois, le 17 octobre dernier, été invalidées par le Tribunal administratif de Bastia, suite à une énième action en justice de Corsica Ferries et de la CMN.
Cinq raisons ont motivé l’annulation. La 1ère est la non conformité du vote de la délibération qui s’est fait par groupe et non de manière uninominale. La 2ème est le régime d’autorisation préalable à l’accès des opérateurs à la desserte maritime, jugé illégal. La 3ème est la possibilité donnée à l’Office des transports (OTC) de modifier le programme et de limiter les capacités des compagnies maritimes soumises aux OSP. Le Tribunal a sanctionné l’absence d’encadrement de ce pouvoir. La 4ème est le régime de tarification pour les non-résidents, notamment les prix planchers, jugé discriminatoire. La 5ème est le régime de pénalités applicables en cas de manquement aux OSP.
 
Une équation insoluble
Prudemment réécrite en fonction de ce jugement, une nouvelle mouture des OSP a, donc, été présentée, vendredi, aux élus territoriaux, dans l’espoir qu’elle pourrait survivre à d’autres assauts juridiques. L’équation est quasiment insoluble pour l’Exécutif qui tente de ménager la chèvre et le chou, de protéger la Délégation de service public (DSP), la survie de l’opérateur historique et ses 700 emplois insulaires tout en satisfaisant aux contraintes légales et règlementaires imposées par le droit français et européen. « Le texte est perfectible. Il ne protège pas la DSP. Il ne nous convient pas, mais nous sommes obligés de nous protéger juridiquement », admet sans problème Paul-Marie Bartoli, président de l’OTC. Tout en fustigeant la prédominance du pouvoir judiciaire qui remet en cause la légitimité de l’Assemblée régionale, il avoue que les nouvelles OSP sont très en recul par rapport aux attentes de la SNCM et aux désirs de l’Exécutif. « Je recule parce que je ne peux pas faire autrement. Je suis convaincu de la nécessité du tarif plancher pour sauvegarder l’intérêt de la DSP et non de celui de telle ou telle compagnie. Nous avons proposé un amendement pour que la main reste à la CTC ».
 
La part des choses
Les élus, toutes tendances confondues, sont bien conscients de la difficulté de l’exercice, coincé entre le marteau judiciaire et l’enclume de la nécessité de maîtriser les transports de la Corse. L’opposition va peu chercher chicane. Seule, une quinzaine d’amendements sera déposée, une douzaine par le Front de gauche, un par la droite et trois par l’Exécutif lui-même. « Ce rapport fait la part des choses entre le possible et le souhaitable », résume Jean-Baptiste Luccioni, élu de Corse Social Démocrate. « Toute décision prise est susceptible d’être annulée. Il y a une fragilité majeure dès lors qu’on essaye de poser des contraintes à la libre concurrence », renchérit François Tatti qui s’élève contre la possible création d’une compagnie régionale « Il est illusoire de croire que cela règlerait le problème. Il faut être d’autant plus clair que les salariés de la SNCM viennent d’adopter un plan social pour que la compagnie puisse vivre tant que les actionnaires le souhaitent ».
 
Le Non communiste
Comme d’habitude sur ce dossier, la salve est tirée par le Front de gauche qui tente, contre vents et marées, dans un combat ultime, que beaucoup pense perdu d’avance, de sauver le navire SNCM, son onéreux service public et ses quelques 2000 emplois. « Où sont nos élus ? Que font-ils ? A travers l’avenir des salariés de la SNCM, c’est l’avenir des transports maritimes qui est en jeu », attaque Michel Stefani, élu communiste. Il dénonce « la déconfiture voulue du service public au bénéfice du low-cost, la volonté politique depuis 2002 et l’acharnement juridique de Corsica Ferries qui dépasse l’entendement ». Il reproche à l’Exécutif de ne pas avoir interjeter appel du jugement d’annulation du tribunal administratif. « Le rapport proposé ne suffit pas. Il peut être compris comme une acceptation de la fatalité imposée, notamment par Veolia, actionnaire majoritaire ». Le Front de gauche propose, donc, un rapport de substitution formé du rapport initial remanié par une douzaine d’amendements pour « stabiliser l’ensemble de la desserte de la Corse et empêcher le scénario désastreux du dépôt de bilan de la SNCM ».
 
Un équilibre à conserver
Proposition qui sera unanimement rejetée, tant par le reste de la majorité territoriale que par l’ensemble de l’opposition, de droite comme nationaliste.
Pas question pour le groupe « Rassembler pour la Corse » de conditionner la desserte maritime à la survie ou non de la SNCM. « On veut imposer des contraintes majeures aux OSP pour protéger la DSP, ce qui sous entend protéger la SNCM ! Depuis des décennies, nous essayons de protéger la SNCM pour arriver à la situation catastrophique où nous sommes. Malgré tout l’argent donné, on aboutit à un échec », déplore Marie-Antoinette Santoni-Brunelli.
Antoine Sindali plaide pour « un équilibre entre les besoins économiques, les besoins des usagers et le droit, entre la liberté commerciale et les contraintes de régulation pour fonder une desserte fiable. Je souhaite que cet équilibre ne soit pas rompu par des amendements qui viendront dénaturer le processus proposé qui semble tenir la route ».
 
Une SEM régionale
Pour les Nationalistes, la messe est dite : la SNCM a, déjà, reçu les derniers sacrements. Le renouveau maritime ne peut s’écrire qu’à travers la création d’une SEM (Société d’économie mixte) d’exploitation. Un sentiment d’autant plus renforcé que, la veille, le président de l’Exécutif, Paul Giacobbi, a annoncé que l’Exécutif préparait cette solution et bloquait des fonds à cette intention. « Nous avons la sinistre impression que les nouvelles OSP seront soumises à un nouveau recours. Nous voulons croire qu’elles vont oxygéner les transports, favoriser les contours d’une nouvelle offre de transport et laisser le champ libre à une compagnie régionale. Il s’agira de dimensionner les moyens nautiques et de personnels à la réalité de notre desserte », estime Jean-Christophe Angelini, élu de Femu a Corsica.
Jean-Guy Talamoni, élu de Corsica Libera, lui emboîte le pas : « Il faut accélérer le travail en cours en commission pour juger de la viabilité d’une compagnie régionale. Les évènements actuels montrent la justesse de notre position depuis des années. L’important est déjà ailleurs, plus loin ». Suivi par Paul-Félix Benedetti, élu d’U Rinnovu : « On fait la part belle à la SNCM. Ce n’est pas rationnel ! Il faut revoir la voilure. On n’est pas capable de sauver la SNCM et de proposer une tarification juste pour les Corses. On veut forcer les prix et on va mettre en place une concurrence italienne très forte qui va grever les entreprises corses ».  
 
Le spectre de l’ancien régime
Jean Biancucci, élu de Femu a Corsica, insiste, lui aussi, sur la politique tarifaire qu’il juste peu favorable aux résidents corses et remet le débat à sa juste place : « Si le nouveau projet d’OSP n’est pas approuvé, les anciennes OSP de 2001 seront en vigueur et, avec elles, le régime d’aide sociale, que nous avons aboli et qui nous a coûté si cher ».
Cette épée de Damoclès a conditionné les votes. Même si personne n’est dupe, les élus ont voulu éviter l’impasse. Néanmoins, le rapport n’a été adopté qu’avec seulement 18 voix pour, celles de la majorité territoriale amputées des 6 voix communistes qui ont voté contre. La droite et les Nationalistes se sont abstenus.
Cette adoption n’est qu’un répit dans la tempête qui pourrait bien se déchaîner si le bateau SNCF est lâché par ses capitaines financiers ou si la Corsica Ferries réengage un nouveau recours en justice. Quelque soit la suite des évènements, une seule certitude : la Corse, malgré tous ses efforts, ses sacrifices et sa bonne volonté, n'a pas la maîtrise de sa desserte maritime. D’une manière ou d’une autre, l’avenir proche pourrait bien l’y forcer !
 N. M.