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Tocc'à voi. Déconfinement : Une cheffe d'établissement scolaire s'interroge


Florence Lodovici le Lundi 11 Mai 2020 à 09:44

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Le bon sens

Une reprise compliquée qu'on pouvait éviter
Une reprise compliquée qu'on pouvait éviter

Avec le confinement et la nécessité de continuité pédagogique, force est de constater que nombre d'enseignants ont déployé des trésors d'ingéniosité, de ténacité, de sérieux et d'humour mélangés. Combien qui n'avaient jamais envisagé leur métier en visioconférence se sont pris au jeu du rendez-vous donné aux élèves ? Combien d'entre eux qui ne voyaient les parents qu'au fil des rendez-vous perlés dans l'année ont vu l'appel hebdomadaire passer de quelques minutes à la demi-heure parfois ? Certes, les parents, eux aussi confinés, avaient le temps, l'envie d'échanger. Plus, sans doute, que lorsqu'ils sortaient du travail en courant et arrivaient essouflés au rendez-vous du professeur, gardant en tête pendant l'entretien qu'il faudrait faire la soupe, les courses, les devoirs ou envoyer un mail oublié à un collaborateur.
 

Oui, nous avons créé une relation différente avec les familles. En tout cas, certains, du côté des familles comme du côté des enseignants, l'ont appréciée, répétée, goûtée, savourée au point d'en faire un bon moment. La question se pose de savoir si ce confinement forcé ne nous a pas ramené à une relation plus apaisée. Plutôt que de jouer l'opposition, nous avons du jouer la coopération : les parents qui, pour certains, pensaient savoir ce qu'était qu'enseigner au motif qu'eux-mêmes avaient été élèves, se sont, tout à coup, trouvés démunis. Les enseignants, qui pour certains, pensaient qu'ils sauraient toujours enseigner à leurs élèves, se sont, tout à coup, trouvés désemparés : plus d'élèves dans les classes. Enfin, nous avons joué gagnant-gagnant parce que nous avions besoin les uns des autres. Et le résultat est réconfortant: ça a fonctionné ! En tout cas, pour l'immense majorité.
 

Mais voilà qu'il faut reprendre le chemin de l'école et du collège. Dans quelles conditions ? A un mètre de distance, en se lavant les mains avant, pendant et après, en ne touchant à rien et surtout pas aux autres, en ne guettant pas le sourire de la maîtresse parce qu'elle porte un masque. Chaque enseignant a entendu plus de cent fois au cours de sa formation initiale que la mission première de l'École -au sens large- était de socialiser et que le meilleur en pédagogie était de manipuler. Or le retour en classe, tel qu'il est envisagé aujourd'hui, exige rigoureusement l'inverse : se tenir à distance de son voisin qui devient suspect, ne plus rien toucher, pas de jeux collectifs... La consigne de rescolariser devient alors un non-sens.
 

Quid de la relation aux parents auxquels il va falloir dire que l'on ne prendra leurs enfants que deux fois dans la semaine et sans doute à temps incomplet ? Qui va entendre le mécontentement des parents dans l'incapacité de travailler parce que l'établissement ne pourra pas les accueillir tous les jours ? Les enseignants et les chefs d'établissements... qui ne pourront que regretter le temps plus doux du confinement durant lequel on pouvait échanger sans tension. C'est un comble.

La situation qui nous est imposée est la pire qui soit : ni la totalité de la classe permettant de revivre ensemble, ni l'absence totale permettant l'investissement via le numérique qui a exigé une vraie démarche. Nous savons d'avance que nous jouons perdant-perdant. Les enseignants vont se trouver dans la position inconfortable de devoir faire classe en reniant ce pour quoi ils ont été formés : mettre en oeuvre une école de la confiance et surtout faire face aux inquiétudes et mécontentements légitimes des familles.
 

Ces parents que nous sentons déjà anxieux et déchirés : je voudrais ou je dois reprendre le travail mais mon enfant sera-t-il dans les bonnes conditions sanitaires ? Suis-je un bon parent en l'envoyant ainsi se mêler aux autres ? Et s'il tombait malade ? Et s'il ne tombe pas malade ? Et si je le laisse à la maison, poursuivra-t-il comme les autres ?
 

Avait-on besoin de mettre en priorité le retour physique en classe en sachant que la maladie empêcherait d'accueillir tout le monde en même temps ? La question de la priorité se pose alors : soit la maladie est grave parce qu'il y a eu des morts en grand nombre et cela nécessite que l'on garde les enfants à la maison pour les protéger parce qu'il est impossible d'empêcher tous les élèves de toucher et que ce n'est pas le rôle de l'institution scolaire ; soit elle ne l'est pas et les élèves reprennent tous le chemin de l'école avec un protocole simple.
 

Cet entre-deux est anxiogène pour tous : que va-t-on répondre aux parents dont l'enfant va tomber malade ? Comment va-t-on justifier que l'emploi de l'imparfait ou du prétérit soit prioritaire sur la santé ou sur la mort ? Le propos peut paraître naïf mais il ne fait que préfigurer les réactions inévitablement démesurées auxquelles nous allons être confrontés alors que nous étions en train de rebâtir une relation plus juste. D'aucuns opposeront les élèves en décrochage scolaire pendant le confinement : ont-ils réellement attendu le confinement pour être en décrochage scolaire ou avions-nous bonne conscience en les voyant de temps en temps dans les classes ? Ceux-là ont de vrais besoins.
 

Chaque soir à vingt heures, nous applaudissons les soignants. Enfin ! Après des années où il semblait normal que les infirmières, les aides-soignants et les médecins soient là, présents, dans les hôpitaux, sans nous préoccuper le moins du monde du nombre de patients dont ils avaient la charge dans chaque service.
 

Le doute est permis quant à la possibilité d'enseignants applaudis en fin d'année, voire en début d'année prochaine, après avoir été confrontés à une situation inextricable mais parfaitement évitable qui demandait simplement de faire preuve de BON SENS.