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Statut de "résident corse" pour les infiltrés grecs ?


le Mercredi 14 Août 2013 à 00:37

Un statut de "résident corse" pour les infiltrés grecs? (Naturalisation du lexique corse "savant") : c'est le titre de la nouvelle chronique de Jean Chiorboli pour Corse Net Infos



Statut de "résident corse" pour les infiltrés grecs ?
Une question posée en juin dernier dans le groupe Facebook " U POPULU CORSU CANTA, PARLA, SCRIVE ! " concernait la traduction corse de "DIOCÈSE".
Parmi les réponses données par les membres figuraient: diucesi, diòcisu, viscuvatu.
Les dictionnaires donnent également diòcesi, diocesi dioccesi).
Certains dictionnaires corse-français "trichent" par des stratégies d'évitement, en donnant par exemple viscuvatu ("évêché") comme seule traduction de "diocèse". Or "diocèse" n'est pas toujours équivalent à "évêché":
  1. Diocèse : 1) Nom de circonscriptions administratives établies dans l'Asie mineure par les Romains.// 2) Étendue de pays sous la juridiction d'un évêque (dico-definitions.com )
Les mots "savants" comme celui-ci, souvent d'origine grecque, sont la plupart du temps passés dans les langues romanes à travers le latin. La "naturalisation" de ces termes dans les diverses langues modernes pose des problèmes épineux, à commencer par celui du genre (masculin ou féminin). Deux autres types de problèmes, la voyelle finale et la place de l'accent tonique, se posent aussi (sauf dans la moins romane des langues romanes, le français, où la voyelle étymologique est "muette" et l'accent tonique frappe invariablement la dernière syllabe).
Le genre
L'équivalent corse de "diocèse" est-il de genre masculin comme en français ("le diocèse") ou féminin comme en italien (la diocesi)?
Notons d'abord que l'ancien français est souvent plus "roman" que le français moderne:
           2.Diocèse a d'abord été féminin, conformément à l'étymologie (Littré). En corse diocesi, au féminin la plupart du temps, est bien présent dans la littérature:
  1. e casce di a Diocesi viote di denari (P.Mari, 0801
  1. i novi statuti di a diocesi (R.coti, 0666)
  1. Diòcesi n.f. diocèse; v.: viscuvàtu (Muntese, DFC)
Mais il est aussi employé au masculin:
  1. vescu d’u diucesu (Prete Desanti, 1003)
Le masculin s'explique sans doute par la pression du français, peut-être renforcée par l'existence du (quasi) synonyme viscuvatu.
Ce type d'emploi était déjà l'objet de railleries il y a une centaines d'années:
  1. Una volta si diceva "a diocesi"; ma poichè in francese si dice "le diocèse", è giusto che diocesi muti sesso. Presto sentiremo dire "a mare", "a denta", "a fiora"…
Le "changemement de sexe" n'est pas très préoccupant pour des mots savants, et très rares. Il est plus surprenant quand un mot aussi courant que "fleur" est employé au féminin en corse:
  1. A fiori "la fleur", Santa-Maria-Siché (MJ.Dalbera, Nouvel Atlas Linguistique Corse)
La voyelle finale La terminaison <-i> ou <-e-> étant ambiguë (masculin u pane, u pani; féminin a parte, a parti) la tendance populaire est d'harmoniser voyelle finale et genre (<–a> pour le féminin, <–u> pour le masculin) quelle que soit la finale étymologique): latin grandinE(m) > corse a grandinA; latin piscE(m) > corse pesciU.
La même tendance joue à plus forte raison pour les mots savants d'origine grecque qui ont donné en latin des féminins en –is. Si diocesi a conservé sa finale savante (par imitation de l'italien), d'autres mots du même type sont conformes à l'évolution populaire (<-a> en corse, <e> en italien):
  1. Latin phrasIs > corse frasA, italien frasE
Dans d'autres cas, l'intervention "savante" a conservé  ou rétabli une finale qui suit parfois le latin, parfois le grec, parfois ni l'un ni l'autre. Le résultat, en corse comme en italien, est une "belle pagaille", et une fluctuation dans l'usage comme dans les prescriptions normatives. Ainsi pour les équivalents corses de "syntaxe":
  1. a sintassA (DA.Geronimi, 0324)
  1. sippuru curretta in tuttu a sintassI (S.Casta, 0351)
En fait l'évolution populaire résiste en corse lorsque la forme est "populaire" dans le modèle italien:
  1. Latin basis > corse a basA, italien la basE
On note pour ce type mots un féminin singulier en <–e> du type analise (rare, à côté de avalisa, analisi, l'accent tonique est fluctuant à l'oral):
  1. A psicanalise ci hà amparatu (GG.Franchi, 0063)
  1. l'analise di a nostra literatura hè stata poca (DA.Geronimi, 0324)
Le corse présente une finale populaire (-a) pour beaucoup d'autres mots savants, mais dès qu'un "savant" se rend compte que la finale corse n'est pas conforme à l'italien, il préconise une correction (d'ordinaire en la justifiant par le modèle … grec). Ainsi certains mots qui avaient une forme populaire dans les dictionnaires des années soixante optent pour une forme "savante" dans les années 80:
 
 

Muntese

LFC

Muntese

DCF

 

populaire

savant OU populaire

savant

thèse

 

tesI , tesA

tèsI

antithèse

antitèsA

 

antitèsI

 
Nous avons assimilé cette tendance à une "seconde toscanisation" (1999, http://www.decitre.fr/livres/langues-et-cultures-regionales-de-france-9782738487179.html ), curieuse à l'époque de l'hégémonie française. Certains mots dont la forme est populaire dans tous les dictionnaires corses (et majoritaire dans l'usage) sont intellectualisés (ou italianisés) dans l'usage récent:
  1. crisa n. f. (l. crisis). Crise physique, morale, économique, politique (M.Ceccaldi, DPE)
  1. Corsica in crisi di tramutu (P.Marchetti, 0322)
Le même auteur dans son récent dictionnaire revient à la forme populaire (estampillée comme "gallicisme") en indiquant comme solution alternative la forme crisi (la justifier davantage).
Comme c'est souvent le cas la fluctuation engendre des hypercorrections. Pégase, le cheval.ailé de la mythologie grecque, acquiert en corse un –I final que rien ne justifie (grec Pegasos, latin Pegasus, italien Pègaso) si ce n'est l'équivalence automatique qui se crèe entre les mots français en <–se> et les mots (pseudo)savants corses en <-si> (métastaSE = metastaSI), bien qu'il s'agisse ici d'un masculin
  1. PÉGASE: Pegàsi (Muntese, LFC)
Outre la question de la voyelle finale, ce dernier exemple montre que la difficulté principale est celle de la place de l'accent tonique.
Le problème est suffisamment complexe pour que nous y revenions dans une prochaine chronique.
J. CHIORBOLI, 13 aout 2013